Du beau monde pour les espoirs du sport romand
Attention, Stéphanie Krieger va vous hypnotiser!

Cette jeune Fribourgeoise est la seule Suissesse à pratiquer l’hypnotisme sur scène. Disciple du célèbre Messmer, Stéphanie Krieger rêve de se produire un jour à Las Vegas. En attendant, elle fait tomber les Romands comme des mouches!
Elle croit avoir gagné 1 milliard! La jeune femme en larmes tient son faux chèque dans la main en jurant vouloir partager avec tous ses camarades sur scène, comme elle en état d’hypnose, et persuadés d’avoir participé à un vrai loto. Stéphanie Krieger les réveille d’un claquement de doigts. Etonnamment, personne ne proteste malgré la désillusion; certains sourient, d’autres semblent un peu absents, chacun retourne à sa place dans la salle de spectacle de Châtel-Saint-Denis.
«Cette expérience va vous rester toute votre vie, l’argent, par contre, ça va, ça vient!» lance l’hypnotiseuse mi-goguenarde, mi-sentencieuse, avec son look botté de cuir et minijupe rappelant la Bardot des années 70. Ce concentré d’énergie de 28 ans ne renie pas un petit côté femme fatale. Stéphanie, ou plutôt Infinity, son nom de scène, est une show woman qui aimerait marcher comme le Chat botté sur les traces de son mentor, Messmer, le célèbre mentaliste canadien. Si la star se vante d’avoir hypnotisé 100 000 personnes, Stéphanie en revendique 4000 en Suisse romande. Pas si mal pour cette jeune femme qui croit dur comme fer à la méthode Coué et à la loi de l’attraction. Le genre de fille à ne jamais se prendre de bûche sur son pare-brise, «parce que je me branche avec l’univers pour ne pas en avoir».
Elle enseigne aussi l’hypnose de spectacle et de rue et la pratique sur elle «tous les jours, tout le temps». «Vous savez, dit-elle en plantant ses deux prunelles dans les vôtres (on se méfie un peu…), toute hypnose est de l’autohypnose, personne n’accepte une suggestion qui ne lui plaît pas.» Si vous avez été induit par elle sur scène à retomber en enfance ou à danser un air de country avec un chapeau de cow-boy, «c’est parce que votre inconscient l’a accepté, insiste-t-elle, il pense que c’est fun»!
Il y a du peps à revendre chez cette blonde extravertie qui travaille en parallèle comme responsable sportive au Club Med. Pour ceux qui ont réservé cet été à Djerba, elle va faire en sorte que vous suiez dans la bonne humeur. Mais de gentille animatrice à artiste professionnelle, il y avait un saut qu’elle rêvait de franchir. Ça tombe bien, elle a de l’entraînement. «Mon rêve, c’est Las Vegas. Mais en même temps, j’adorerais aller dans tous les coins les plus reculés de notre pays, j’adore les gens!»
A son actif encore, la mise en catalepsie de l’ex-Miss Suisse Christa Rigozzi dans l’émission Incroyable Talent. Sous les yeux éberlués de Gilbert Gress et de DJ Bobo.
10% de gens très réceptifs
Pourtant, avant tout ça, la Fribourgeoise faisait elle-même partie des sceptiques. «Et puis Messmer m’a hypnotisée dans un spectacle… Le lendemain j’achetais tous les bouquins sur le sujet. Un mois plus tard je mangeais avec lui. «Je ne peux pas croire que tu m’aies fait oublier mon prénom», lui ai-je dit. «Parce que tu t’en souviens?» m’a-t-il répondu en claquant des doigts…» Rire.
La jeune femme est en tout cas aussi rapide que son modèle pour faire tomber comme des mouches les spectateurs qui s’aventurent sur scène. «Ils ne sont pas endormis, ils entendent tout, c’est juste un état de conscience modifié, ils peuvent en sortir mais n’en ont tout simplement pas envie parce qu’ils sont bien», nuance la jeune femme.
A l’écouter, on se dit qu’on doit manquer quelque chose d’essentiel si l’on ne fait pas partie des 10% de gens très réactifs à l’hypnose et incapables de décoller leurs index au moment du test de réceptivité qui ouvre son spectacle. «Etre en état d’hypnose, c’est lâcher prise, oublier ses soucis, se reconnecter en quelque sorte à l’essentiel: s’écouter et être heureux!» Stéphanie a des spots qui s’allument dans ses beaux yeux bleus. «Je me souviens de cet homme qui avait fondu en larmes après avoir été hypnotisé. Il est revenu le lendemain en me disant que je l’avais libéré d’un grand poids!»
Mais les situations les plus cocasses vécues sur scène ne doivent pas faire oublier que cette technique est aussi utilisée pour soulager des douleurs, diminuer la prise de médicaments ou soigner des phobies. L’imagerie médicale a même permis aux scientifiques de découvrir que les zones du cerveau activées sous hypnose sont différentes de celles liées à une simple relaxation.
Si l’on se plonge dans son passé, rien ne prédestinait ce Capricorne ascendant Verseau, née le 25 décembre, à jouer les ensorceleuses publiques. Une enfance un peu chaotique, sur fond d’alcool paternel et de violences verbales, des problèmes de poids qui lui ont valu d’être rejetée par ses camarades. «Jusqu’à mes 15 ans j’étais une boule de négativité. Je me scarifiais parce que la douleur physique faisait moins mal que la douleur morale, mon seul réconfort, c’était mon chien et ma grand-mère.»
Stéphanie Krieger entamera malgré tout un apprentissage bancaire, et réalisera un premier rêve à 19 ans: le tour du monde sac au dos. Avant de revenir s’occuper de fonds de placement et d’assurance vie à l’UBS. Son quotidien en jupe tailleur pendant quelques années. Avant que l’artiste qui sommeillait en elle ne se réveille définitivement. «Je suis vraiment la preuve qu’il faut croire à ses rêves!» dit-elle souvent.
Au fait, côté cœur, hypnotise-t-elle tous les hommes qui ont le mérite de lui plaire? Elle passe la main dans ses cheveux et sourit. «Je fais souvent un peu peur aux hommes. Soit ils me fuient, soit ils me surestiment!» Bon, on l’a compris, l’hypnose a ses limites!
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Le premier écoquartier de Suisse sort de terre

A propos de la nouvelle loi et de la votation du 21 mai, Marc Ponzio présente le premier quartier de Suisse totalement autonome en énergie. Propre et renouvelable, bien sûr.
A Thierrens, sur les hauteurs du Gros-de-Vaud, s’achève la construction de trois immeubles, quinze appartements et deux bureaux. Si, à première vue, rien ne distingue ce petit quartier des nombreux qui apparaissent dans les villages du pays, celui-ci sera le premier en Suisse à être, en matière d’énergie, entièrement autonome. C’est-à-dire que les différentes installations solaires, éoliennes dont il est équipé, l’isolation renforcée et de nouvelles méthodes de stockage de l’énergie assurent à ses habitants le chauffage, l’eau chaude, l’électricité, y compris le chargement de leur voiture dans le garage souterrain.
Monde meilleur
Au départ de cette réalisation, Marc Ponzio, son initiateur, cherchait de nouveaux bureaux pour son entreprise d’études sanitaires. Depuis sa création par son père en 1970, le bureau a œuvré sur de très gros chantiers comme celui du CHUV ou une partie de l’UNIL, et accumulé des connaissances notamment dans le domaine de la récupération de la chaleur ou de l’eau de pluie. Ayant opté pour une nouvelle construction, c’est tout naturellement que l’entrepreneur s’est soucié de son implication environnementale. «J’arrive à 60 ans, j’ai proposé à quelques amis de créer une société pour rendre le monde meilleur, tout en nous faisant plaisir pour la fin de notre carrière!»
Aujourd’hui directrice technique de la société, Anny Frosio abonde dans le même sens: «La Suisse signe des traités climatiques, à un moment il faut s’y mettre, proposer de nouvelles solutions.» Ingénieur en génie climatique, elle a, en vingt ans de pratique, participé au spectaculaire développement des différentes énergies renouvelables, des chauffages à bois aux panneaux solaires les plus perfectionnés tels ceux installés à Thierrens.
Développés dans le cadre de l’Université de Gävle en Suède, ils sont la propriété de la firme Solarus, qui les fabrique chez elle, aux Pays-Bas. C’est important parce que, question philosophie, cette jeune entreprise ne voudrait pas de panneaux fabriqués à l’autre bout du monde, à moindre coût peut-être, mais qui perdraient alors beaucoup de leurs vertus écologiques et éthiques. Au contraire, l’entreprise prévoit de pouvoir les fabriquer au plus près d’où ils sont demandés.
Les panneaux installés sur les toits de l’écoquartier de Thierrens sont hybrides, parce qu’ils permettent de produire à la fois de l’électricité et de l’eau chaude. Ils sont fabriqués en plastique, un peu comme des phares d’automobile. A l’intérieur de chaque caisson, pesant à peine 50 kilos, des capteurs photovoltaïques et un miroir en forme de gouttière renvoient les rayons du soleil sur les tuyaux dans lesquels circulent de l’eau. «Ce ne sont pas les seuls modèles existants, mais c’est vraiment une révolution.»
Précieuse énergie
En chiffres, ces 320 m2 de toiture solaire hybride, plus 320 m2 de toiture photovoltaïque traditionnelle, 80 m2 de toiture thermique haute température, plus encore 200 m2 de route d’accès, elle aussi photovoltaïque, produiront quelque 150 000 kWh d’électricité par année; 50 000 kWh sont nécessaires pour la consommation des quinze appartements, 10 000 kWh pour les deux bureaux et 55 000 kWh pour la mobilité, c’est-à-dire le chargement des voitures électriques.
Dans ce Haut-Jorat où la bise souffle volontiers avec force, quatre ou cinq petites éoliennes verticales compléteront le dispositif. Et comme toute énergie est précieuse, elle sera aussi récupérée des eaux usées. «L’eau des douches s’écoule à 35 °C en moyenne et on peut encore récupérer 15 à 20 °C avant de la mettre à l’égout. Toute énergie est noble.»
L’autonomie énergétique des trois bâtiments est aussi assurée par un immense réservoir de 85 000 litres à l’intérieur duquel des serpentins et un principe de bain-marie permettent de stocker l’eau chaude nécessaire aux ménages; et même pendant l’été, de redistribuer du froid dans le système de ventilation à double flux (qui récupère aussi l’énergie contenue dans l’air vicié). Notez que l’eau de pluie est elle aussi récupérée pour alimenter les WC et les machines à laver le linge. «L’eau pluviale n’a pas de valeur énergétique mais c’est un principe de durabilité. On a essayé de tout faire.»
C’est ainsi que le groupe Ponzio fut en 2015 invité, à l’enseigne de «La Suisse dans les idées», à présenter son projet durant la COP21, conférence des Nations unies sur le climat qui s’est tenue à Paris cette année-là. «Des gens du monde entier ont manifesté leur intérêt, pour l’équipement d’un complexe touristique en Guadeloupe, pour des dispensaires en Afrique. Dans le réservoir, la température peut atteindre 100 °C, on pourrait désinfecter des instruments médicaux. Ici, pendant l’été, on pourrait aussi produire de l’électricité avec cette vapeur.»
Pour Marc Ponzio, l’écoquartier de Thierrens fonctionne vraiment comme un laboratoire. «Une fois l’occupation des appartements et des bureaux achevée (les premiers habitants vont emménager d’ici à un mois et il reste quelques appartements libres), les bâtiments permettront une analyse plus précise des cycles de consommation. Nous serons nos propres cobayes.»
Au cœur du système se trouvent encore des batteries qui, dès lors que leur coût a baissé, peuvent désormais être installées dans des maisons et résoudre la question du stockage de l’énergie électrique. Ainsi, celle produite «en trop» durant la journée sera utilisée la nuit pour charger les voitures. Le constructeur de voitures électriques Tesla se montre d’ailleurs très intéressé à produire lesdites batteries. «Ce qui nous ramène en Californie, où les hippies des années 70 qui construisaient des serres et récupéraient l’eau de pluie avaient expérimenté beaucoup de ces principes. Nous les avons réunis et perfectionnés.» Ainsi la cuve garantirait trois semaines d’eau chaude sans soleil et la batterie de 400 kWh quatre jours de fonctionnement (sans la recharge des voitures).
A la question posée en votation le 21 mai prochain à propos de la Stratégie énergétique 2050, les concepteurs de l’écoquartier de Thierrens apportent leur expérience pratique: en 2017, il est déjà possible de construire un bâtiment à la fois autonome et fonctionnant entièrement grâce aux énergies renouvelables. Tout le contraire de la douche froide annoncée par les opposants à la nouvelle loi sur l’énergie. Marc Ponzio remarque aussi qu’en moins de deux ans, son groupe a déjà créé plus de quinze emplois – des ingénieurs en électronique, en hydraulique, des électriciens, des chauffagistes – et formé de nouveaux spécialistes. «Nous sommes déjà en 2050!»
Principalement à cause de l’isolation particulièrement soignée, Marc Ponzio estime le surcoût de ses constructions à 20% par rapport à des bâtiments similaires dans la même région. Au prix de l’énergie (électricité, mazout, essence), cette différence sera rapidement amortie. Même chose en adaptant le système sur des bâtiments anciens. «Laisser quinze ou vingt ans d’énergie propre à ses enfants, c’est une vraie richesse. Aujourd’hui, un héritage, ce n’est pas uniquement de l’argent, c’est aussi de l’énergie.»
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Mme Burkhalter a adopté le brave Eagle

Ambassadrice de la Croix-Rouge suisse, Friedrun Sabine Burkhalter est la nouvelle marraine d’Eagle, un chien de sauvetage.
Elle a grandi entourée d’animaux, dans la ferme de son grand-père, en Autriche. «J’aime les chiens, j’ai passé mon enfance avec eux», explique Friedrun Sabine Burkhalter, qui ne se sépare jamais de Fidèle, son chien d’eau romagnol. Ambassadrice de la Croix-Rouge suisse, l’épouse du conseiller fédéral responsable du DFAE n’a donc pas hésité à donner de son temps et de son argent pour parrainer Eagle, un berger australien âgé de 7 ans, membre de Redog, la Société suisse pour chiens de recherche et de sauvetage. La marraine et son protégé à poil se sont rencontrés il y a quelques jours non loin de Genève, où était organisé un exercice de simulation de sauvetage après un tremblement de terre. «Le chien n’est pas seulement le meilleur ami de l’homme, il peut aussi sauver des vies», rappelait l’ambassadrice et nouvelle marraine de ce toutou au flair hors pair. A. J.
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Les SugaZz font vibrer le téléviseur

Ce trio de chanteuses lausannoises a su mettre le public de The Voice dans sa poche. Leur coach Mika est sous le charme.
Pourquoi on parle d’elles? Parce qu’avec leur énergie, leur enthousiasme et leur look, ces trois-là enflamment la scène de The Voice, télécrochet de TF1, 6e saison.
C’est qui ces filles? Betty Mukundi et Natacha Mbangila, 28 et 27 ans, sont cousines et chantent ensemble depuis l’enfance. Hélèni Evripidis, 28 ans, a rencontré Betty «en 2001, à l’école de Villamont. Elle m’a présenté sa cousine et bam, c’était comme un coup de foudre amical.»
Et depuis? Elles ne se quittent plus. Elles chantent ensemble, se voient tout le temps, s’appellent quotidiennement et forment un trio ultrafusionnel.
Quand elles ne chantent pas, elles font quoi? Hélèni, affectueuse et solaire, fait des remplaçements dans une garderie. Betty, plus réservée et calme, étudie l’économie d’entreprise à Yverdon. Natacha, l’action woman énergique, travaille dans la communication pour la marque de vêtements de sa sœur.
Un rituel? «Pas un, trois! On pousse un cri de guerre, on a un geste de la main spécial et on médite, aussi.»
Un péché mignon? «Le plat officiel des SugaZz, c’est les sushis!»
Un rêve? «Vivre de la musique. On ne se voit pas devenir les futures Beyoncé mais on aimerait pouvoir ne faire plus que ça, les trois, ensemble, en restant nous-mêmes, fidèles à notre style, à nos valeurs.»
A The Voice, elles chantent pour la gagne? «On a surtout envie de montrer ce qu’on sait faire, que les gens nous aiment pour nos qualités propres. Pour nous, la carotte, c’est plus la tournée que la victoire.»
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New York succombe à la fièvre du fidget
Sainte-Croix, point de départ de Pascal Broulis

Alors que le second tour se joue dimanche, le grand vainqueur des élections vaudoises est d’ores et déjà le chef des Finances, en tête du premier tour avec plus de 100 000 voix. Rencontre dans son fief nord-vaudois, là où il a effectué ses premières armes et forgé sa vision politique.
En fermant les yeux, il voit encore les milliers d’ouvriers s’engouffrer chaque matin dans ces imposants bâtiments jaunes posés à l’entrée de Sainte-Croix et entre lesquels il jouait aux gendarmes et aux voleurs quand il était enfant. «Ici, il y avait Paillard, là Thorens, plus loin Reuge.» Il y a de la fierté et de la nostalgie dans la voix de Pascal Broulis. De ces usines sortaient les mythiques caméras Bolex - l’orgueil d’une région - ou des boîtes à musique d’une précision inégalée. C’est attiré par cette économie alors florissante et avide de main-d’œuvre que son père, immigré grec, est venu s’installer en terre nord-vaudoise, épousant une fille de L’Auberson.

Pour ce portrait réalisé à la suite de son élection au Conseil d’Etat, l’élu PLR a donné rendez-vous au cœur de cette immense friche industrielle, aujourd’hui transformée en appartements et bureaux. C’est ici le début de l’histoire. Il a hésité. Personnalité ouverte, affable, tout en rondeur, Pascal Broulis n’en garde pas moins la retenue des gens de la montagne. Sa vie privée, il la préserve farouchement. Et Sainte-Croix, c’est sa famille, sa femme Brigitte et son fils Alexandre (13 ans), ses amis, son clan. «C’est ma protection», confie-t-il.
Fermeture d’usines
Mais pour comprendre l’homme, sa vision politique, son attachement au compromis, impossible de ne pas monter dans cette cité accrochée au Balcon du Jura. Il y est né le 3 avril 1965 et ne l’a jamais quittée. Pour en parler, il invite à prendre un café à La Tanière, le quartier général de ses jeunes années. Le premier souvenir qu’il évoque est celui de ses 13 ans, quand la crise frappe la région de plein fouet. Déclassées par les bouleversements de l’électronique et de l’informatique, les usines ferment. «La population de Sainte-Croix a chuté de 8000 à 4000 habitants d’un coup, se souvient Pascal Broulis. Ma classe est passée de 26 à 12 élèves. Beaucoup de copains sont partis avec leur famille… On voyait les volets des maisons se fermer, les stores des commerces se baisser, mais on ne comprenait pas trop.» La ville devient fantomatique. Vu la baisse du trafic, la commune finit même par vendre ses feux rouges à Prilly.

Sainte-Croix est au creux de la vague. Mais la crise libère les énergies. Pour le jeune Pascal Broulis et ses copains, cela se concrétise par une profusion d’engagements. Ils organisent concerts et tournois de volley, développent la Maison de la jeunesse et de la culture et - surtout - lancent le carnaval, qui deviendra une institution. D’abord trésorier, le futur édile en devient rapidement le président. Il n’a pas son pareil pour fédérer les forces, trouver les sponsors, mais aussi pour organiser les tours les plus pendables, comme la fois où ils emmurèrent le chef des Travaux de la commune chez lui, en pleine nuit. Une plaisanterie qui se termina au tribunal.
Chef de bande
Pascal Broulis est sans conteste le chef de la bande. Dès l’âge de 16 ans, chaque été, il va entraîner ses amis dans de grands voyages à travers l’Europe, d’abord en Interrail, puis en voiture une fois le permis de conduire en poche. Jusqu’à ce mémorable périple à travers l’Asie Mineure à huit dans un minibus que, grand amateur de Charlie Hebdo et de Fluide Glacial, il baptisa «Lez héros» en hommage à Reiser. Pascal Broulis s’impose comme le leader, une fois encore. «Tous les parents de mes copains étaient venus me voir pour me dire que j’étais responsable de leur enfant. J’avais un peu la pression», rigole-t-il aujourd’hui. Ces aventures lui donneront le goût du voyage, à tout jamais: Amérique du Sud, Chine, route de la Soie et Samarkand qui le renvoient à ses lectures de Corto Maltese, et surtout la Russie. Il apprécie le «spleen baudelairien» de ce pays, qu’il parcourt des îles Solovki aux steppes du Kamtchatka.

Attiré très jeune par la politique, le Sainte-Crix siège à 20 ans au Conseil communal. «Il y avait des débats, bien sûr, mais socialistes et radicaux y travaillaient ensemble pour le bien de tous. La solidarité n’était pas un vain mot», se remémore celui qui recréera cet esprit de collaboration quelques années plus tard au gouvernement vaudois avec son collègue socialiste Pierre-Yves Maillard. Et 1990 restera comme une année charnière. Alors que le carnaval boucle peut-être sa plus belle édition, avec la construction d’un drakkar qui restera dans les annales et sur lequel Pascal Broulis défile dans les habits de l’amiral Paspoil von Karott, il est élu au Grand Conseil, devenant le plus jeune député de l’histoire à 25 ans. Il s’y illustre en présidant la Commission des finances. En parallèle, il mène une carrière bancaire, débutée par un apprentissage à la succursale du Crédit foncier vaudois de Sainte-Croix et qui le mènera jusqu’au poste de directeur adjoint de la division logistique de la BCV à Lausanne. En 2002, la banque lui propose une belle promotion. Au même moment, son parti l’approche pour être candidat au Conseil d’Etat. Il sonde alors ses amis. Une majorité lui souffle de rester à la BCV, plus sûr, plus stable. Il choisit la politique. Il ne le regrettera jamais. A 36 ans, encore peu connu, il n’est de loin pas favori de l’élection. Mais poussé par le Nord vaudois, où il fera des scores «fidelcastristes», il crée la surprise. Le banquier reprend les rênes des finances cantonales qu’il ne lâchera plus.

Quinze ans plus tard, auréolé du redressement des comptes vaudois, il réalise, le 30 avril dernier, un score canon au premier tour des élections cantonales: 60,42%. Surtout, il est le premier candidat à dépasser la barre symbolique des 100 000 voix. Et c’est avec une énergie inaltérable et un plaisir presque enfantin qu’il se lance dans ce quatrième mandat, qui pourrait ne pas être le dernier.

Lui qui se rêvait architecte ou archéologue est heureux d’être là, combatif comme jamais: «Ceux qui prônent aujourd’hui la décroissance sont des inconscients. Celle-ci ne provoque que départ d’entreprises et perte d’emplois. Je l’ai vécue. Cela crée des drames. Il faut se battre pour la croissance. Rien n’est jamais acquis.»
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Article 3
Francine Simonin: «Je rêve de lacs, de vagues, d’orages»

Chaque semaine, L'illustré rencontre une personnalité au coeur de l'actualité culturelle romande. Aujourd'hui: l'artiste-peintre Francine Simonin qui expose ses grands «Léman» récents à Lausanne.
En face, à Lausanne, elle expose une vingtaine de ses grandes gravures, des pointes sèches sur monotype réalisées à Pully dans l’atelier de l’ami Raymond Meyer, maître taille-doucier avec lequel elle collabore depuis 1965. L’artiste expose dans le magnifique Espace Arlaud, là où était installée l’Ecole des beaux-arts dont elle était sortie diplômée à 20 ans, en 1956. Les volutes de ses inséparables cigarettes se dispersent comme ses souvenirs. «Enfant, j’habitais place Chauderon, vis-à-vis de la Dent-d’Oche, mon père était marchand de vin, mon grand-père l’inventeur de la gentiane.» De sa prime jeunesse, Francine porte toujours la mémoire d’un frère jumeau décédé à l’âge de 2 ans. «Quand je rencontrais un gars, il fallait qu’il lui ressemble ou je me disais: «Qu’est-ce qu’aurait fait Jean-Marc?» Et ça ne collait jamais. Je n’étais pas très généreuse, j’étais tellement révoltée!»
A 81 ans, Francine Simonin brûle toujours d’un grand feu, de ses joies et de ses colères qu’elle exprime à grands traits vigoureux: «Mon plus grand amour, c’est la peinture, des fois mâle, des fois femelle, l’art n’a pas de sexe.» En 1968, un échange d’artistes l’avait conduite à Montréal, où elle s’est installée et où elle réside toujours une partie de l’année. «J’y ai un grand atelier, ici, c’est un mouchoir de poche. Un copain qui pourrait être mon fils m’a aidée à mettre de l’ordre dans mon merdier. Maintenant, je vois à peu près ce que j’ai fait.» En six décennies de travail souvent frénétique, Francine Simonin a réalisé près de 10 000 œuvres, des peintures, des dessins, des gravures, des estampes, à gros traits généreux et tout en nuances, d’un expressionnisme à la fois vigoureux et délicat. Elle a peint en Normandie, au Portugal, elle a pris pour thème les jardins, les musiques de Nina Simone ou de Miles Davis. Elle a œuvré aussi au fil de ses lectures, Henry Miller, Michaux, René Char, Proust.
Au soir de son œuvre, cette petite femme vive et colorée comme sa palette trouve que les artistes ont toujours trop d’ego. «Moi, j’aime mieux être considérée comme une fille qui gribouille et qui reste en marge.» Et qui n’est pas prête à se laisser mettre en boîte, fût-elle de crayons de couleur. «La Suisse, je l’aime et je la déteste. Les Vaudois sont sages et renfrognés, comme Wawrinka que j’aime bien. Les Québécois ne sont pas râleurs mais vraiment susceptibles. Certains trouvent que je suis maladroite, mais je dis toujours ma vérité.»
Léman, une exposition de Francine Simonin, Lausanne, Espace Arlaud, jusqu’au 2 juillet, www.musees.vd.ch/espace-arlaud
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"Je me fais harceler tous les jours dans la rue"

Dans les lieux publics, 72% des Lausannoises subissent des remarques. Malgré la volonté politique de faire bouger les choses, la société est démunie face à la complexité du problème. Enquête à la première personne.
Bien confortable dans mon vieux training, je sors acheter le journal. La rue est calme, il fait beau, je suis en mode dimanche. Mon canard sous le bras, je passe devant la terrasse d’un café PMU quand, soudain, des cris me tirent hors de mes pensées: «Ouaf ouaf! Grrrrr, ouaf!» Quatre hommes me regardent, hilares. Non, je ne rêve pas, ce sont bien eux qui viennent d’aboyer. Une façon pour le moins créative d’exprimer l’appétit que mon corps leur inspire, manifestement. Regard consterné. Prise au dépourvu, je reste bouche bée et je passe mon chemin. Je les entends éclater de rire. Cette scène, aussi ahurissante soit-elle, est pourtant monnaie courante. Ces sollicitations non désirées, répétées, souvent à caractère sexuel portent un nom: le harcèlement de rue. Et 72% des Lausannoises âgées de 16 à 25 ans en sont victimes.
Du haut de mes 23 ans, je suis l’archétype de la cible. J’ai pu m’en rendre compte en réalisant ce sujet. Pour la moitié des victimes, les épisodes de harcèlement ont eu lieu au moins une fois par mois. Pendant les trois semaines qu’a duré cette enquête, pas un jour n’a passé sans que je reçoive de remarque. Trois interpellations verbales par semaine en moyenne. Trois cris. Et j’ai cessé de compter les regards qui déshabillent après en avoir listé sept en deux jours. Un affront quotidien. En matière de harcèlement de rue, la capitale vaudoise n’est bien sûr pas une exception. Londres, New York, Paris, Bruxelles, New Delhi, partout autour du globe, des études révèlent en effet l’ampleur de ce phénomène, jusqu’alors passé sous silence: le harcèlement de rue toucherait 84% des femmes à travers le monde, d’après les chiffres récoltés dans différents pays. Si bien que le problème commence à attirer l’attention des politiques. A Lausanne, c’est Léonore Porchet, présidente des Verts de la ville et élue au Grand Conseil vaudois, qui a lancé l’alerte, en mars 2016. Sa lettre à la municipalité a donné lieu à un sondage, dévoilant la proportion de victimes dans la capitale vaudoise. Le municipal chargé de la sécurité et de l’économie, Pierre-Antoine Hildbrand, avoue être tombé des nues en découvrant cette réalité, et entend bien «lutter contre ce fléau». Mais pour lui, le harcèlement de rue n’est qu’un des éléments des agressions qui touchent à l’intégrité sexuelle. C’est pourquoi il veut incorporer cette lutte dans une stratégie globale.
Pour l’heure, très peu d’actions concrètes sont en place et les politiques en la matière sont embryonnaires. A Lausanne, une cellule de réflexion a été créée fin février 2017. Elle est notamment constituée de représentants de la police municipale, du planning familial, de VoGay, qui défend les droits des homosexuels, de GastroLausanne, ainsi que des Transports publics lausannois, pour cerner tous les champs d’action nécessaires. Le municipal PLR soutient qu’il faut prendre des mesures immédiates, comme le renforcement de présence dissuasive dans les quartiers particulièrement fréquentés le soir, mais aussi des mesures à plus long terme, telles que la prévention et l’éducation. «Agir sur ce terrain est très important, mais plus long à mettre en place. Et en attendant, il faut s’occuper des cas de harcèlement dans la rue à 2 heures du matin.»
D’après le sondage effectué par la municipalité, ce comportement survient le plus souvent la nuit, dans les parcs, la rue ou les bars. Mais que les Lausannoises se «rassurent», les correspondants de nuit sont là pour veiller sur elles. Enfin, à leur manière. Ces employés de la ville, ne faisant pas partie de la police, circulent dans certaines rues entre 18 heures et 2 heures du matin et n’ont qu’un rôle de médiateur. Comprenez que leur présence est surtout dissuasive, et qu’elle n’est pas ciblée. Leur statut ne leur permet pas d’intervenir physiquement. «Ils incarnent un genre de contrôle social light, précise le municipal. Si les choses dégénèrent, ils doivent appeler le 117.» D’autres équipes, policières cette fois, patrouillent en voiture dans les zones sensibles et interviennent sur demande. Ces mesures n’ont pourtant pas évité à plus de 4 femmes sur 10 d’avoir été suivies. C’est notamment pourquoi beaucoup modifient leur itinéraire en fonction de l’heure.
Lacune juridique
Force est de constater que la police lutte contre un adversaire invisible: il n’y a aucun moyen de savoir à quelle fréquence le harcèlement dégénère en agression. De plus, les statistiques annuelles montrent une baisse globale de ces dernières. «Les remarques et sifflements ne sont pas audibles à moins d’être à une distance proche, et on ne peut pas imaginer une densité policière telle qu’elle dissuade tout comportement dérangeant», concède Pierre-Antoine Hildbrand. Il insiste toutefois sur l’importance d’annoncer les faits à la police. «Si plusieurs victimes donnent le même signalement, cela nous permet d’être mieux renseignés et d’augmenter nos chances de coincer le type.» En 2016, seules une dizaine de plaintes pour harcèlement ont été déposées.
La discrétion. C’est l’atout majeur des harceleurs. Comment repérer des chuchotements lancés en croisant une passante? Les malotrus se sentent d’autant plus à l’aise que la loi ne prévoit pas de sanctions pour le harcèlement de rue proprement dit. Les insultes (63% des cas, selon la même étude lausannoise) et les attouchements (32% des cas) entraînent des conséquences pénales car ils sont considérés comme des agressions. Les remarques, les interpellations non verbales comme les sifflements (88% des cas), les bruits de bisous ou les gémissements se trouvent dans une lacune juridique. La faute, notamment, à l’absence de définition officielle du harcèlement de rue. Le canton de Genève et les autres villes vaudoises se penchent aussi sur la question, ainsi que Zurich et Winterthour. «Il est très difficile de constituer une base légale solide et universelle pour définir le harcèlement, regrette Pierre-Antoine Hildbrand. Si on part de l’idée que cela doit être «sanctionnable», il faut qu’on ait un point d’accroche réglementaire. Mais la définition même du harcèlement est subjective, car elle varie selon la sensibilité de chaque victime. Nous devons pouvoir nous raccrocher à des éléments objectifs.» Pour offrir aux femmes une plus grande marge de manœuvre, le municipal envisage de faire élargir les trottoirs de la ville. Une mesure à l’image du désarroi général.
Les origines du mal
La solution n’est d’ailleurs peut-être pas politique. Pour Caroline Dayer, docteure et experte en prévention des violences et des discriminations à Genève, la dimension politique est essentielle, mais prendre le problème par le bout de la sécurité est une erreur. «Si on veut s’attaquer de façon efficace au harcèlement de rue, il faut s’en prendre au système qui le produit: le sexisme. Combattre ce comportement par la sécurité revient à mettre un pansement sur une plaie béante.» Plus ou moins discret, presque subliminal, le sexisme est si profondément ancré dans la culture qu’il fait partie de ces mots dont on n’est plus certain de connaître le sens. «Attitude discriminatoire fondée sur le sexe», rappelle le Larousse. Le sexisme et ses codes sont donc intimement liés au genre, et surtout à la représentation stéréotypée de ce que doivent être le masculin et le féminin. «Le harcèlement de rue est une manière de contrôler et de sanctionner la personne visée, expose la chercheuse. La femme, pour la représentation sexualisée et «objectifiée» que la société donne d’elle. Mais aussi les personnes qui dérogent aux codes genrés ou à l’hétérosexualité.» Les harceleurs se sentent donc légitimes pour faire intrusion dans l’intimité des femmes. Qu’ils soient seuls ou en groupe. Même entourés de témoins.
Il se cache derrière un arbre
Après ce que nous appellerons «l’incident des aboiements», je ressors me balader. Cette fois, j’ai troqué mon training contre un legging, que je porte avec des bottes et un blouson. J’emprunte une rue peu passante. La fréquence des remarques m’a poussée à développer un genre d’anxiété. J’anticipe malgré moi la réaction de chaque homme que je croise. Un quadragénaire arrive, justement. Je lui jette un rapide coup d’œil et tente de l’analyser. Nous nous croisons, et pile quand je me sens soulagée qu’il n’ait rien dit, il me lance un très désagréable bruit. Aigu, à mi-chemin entre le coassement et le sifflement. Cette fois, je ne me laisse pas faire. «Pardon? Je n’ai pas compris ce que vous avez dit.» Je hausse la voix car il est déjà quelques mètres plus loin et me tourne le dos. Il m’ignore. J’insiste. «Vous voulez me dire quelque chose?» Il me lance un regard gêné et se cache derrière un arbre. «Non, rien, j’ai rien fait.» Nous continuons ainsi de longues secondes. Je veux comprendre ses motivations. «Rien, je ne sais pas.» Il s’enfuit. Je ne vais quand même pas lui courir après… Surréaliste. «Je ne sais pas.» Sérieusement? C’est donc pour ça que les jeunes femmes vivent de telles scènes chaque jour? Lui-même n’a pas eu l’air de savoir ce qui l’a poussé à agir. Qu’en pense Magdalena Burba, psychologue et spécialiste en sexologie? «Nous sommes dans une société malade du lien. Les gens ont de moins en moins l’habitude d’être en relation face à face. Au point que certains ne savent plus comment communiquer. Avec l’accessibilité de la pornographie, par exemple, certains hommes n’arrivent pas à différencier la femme-objet qu’ils y voient de celle qui marche dans la rue. C’est une façon d’imposer leur virilité et leur domination.»
Contrôler leur corps à tout prix
Au fil du temps, cette emprise sur le corps féminin a évolué. «Il y a eu différentes formulations de la féminité à des époques différentes, explique Marylène Lieber, sociologue à l’Université de Genève. Ce qui a changé aujourd’hui, c’est que les femmes rejettent le contrôle qu’on voudrait exercer sur leur corps et leur sexualité. Certaines s’approprient cette image sexualisée pour la dénoncer.» On le voit notamment dans les clips. Les plus grandes icônes féminines actuelles se mettent elles-mêmes en scène comme des objets. N’est-ce pas une façon de contribuer au problème ? «L’ennui, explique Léonore Porchet, c’est qu’on fait le lien entre «elle fait ce qu’elle veut avec son corps, donc je fais ce que je veux avec son corps». La notion de barrière et de respect de l’autre n’est pas claire. C’est la société qui crée ces clips, pas l’inverse. Les femmes ont le droit de disposer de leur corps.»
Culture du viol
Ma tenue à moi n’est pas vulgaire quand je sors du travail, le jour d’après. Pourtant, je n’ai pas fait 500 mètres qu’une voiture ralentit à ma hauteur. Par la fenêtre, le conducteur me lance «Ça va? T’es bonne!», avant de mettre les gaz. Soit. Je n’ai pas pu répondre, ni même voir le visage du grossier personnage. C’est lâche et ça me frustre. C’est surtout dommage. A l’instar de nombreuses victimes de harcèlement, toute cette hostilité me rend très méfiante. Sur Internet, certains hommes se plaignent de ne plus pouvoir draguer sans que les femmes deviennent «hystériques au moindre truc». Tout dépend du contexte. Mais après trois commentaires sexuels dans la même journée, on est forcément sur la défensive.
Ces discriminations sexistes engendrent une tendance à la minimisation de la responsabilité des hommes qui harcèlent ou agressent sexuellement les femmes. En France, un sondage édifiant sur les violences sexuelles a révélé que 40% des sujets interrogés considèrent que la responsabilité du violeur est atténuée si la victime a eu une attitude provocante, ou si elle portait une tenue sexy (27%). Pire encore, 19% estiment que lorsqu’une femme répond non à une avance sexuelle, ça veut dire oui. «On éduque les enfants à penser qu’il y a un certain habillement ou un certain comportement des femmes qui donnent implicitement le droit de les toucher, fulmine Léonore Porchet. Cela s’appelle la culture du viol. Nous devons absolument éduquer au consentement!» C’est le mot-clé qui fait la différence entre drague et harcèlement.
Développer son sens critique
Il semble donc crucial d’apprendre aux enfants à déconstruire les stéréotypes de genres, et de leur permettre de développer leur sens critique. Si chaque famille se charge d’inculquer ses propres valeurs, l’école publique, fréquentée par 95% des enfants, joue un rôle crucial. Selon le Plan d’études romand, les professeurs ont un certain nombre de périodes dédiées à l’enseignement des branches classiques. A côté de ça, le programme inclut la «formation générale». C’est un genre de pack qui comprend notamment l’éducation à la santé, y compris l’éducation sexuelle, ainsi qu’au vivre-ensemble. Avec ce dernier thème, il est question d’aborder des sujets comme la citoyenneté, l’écologie, l’autorité, mais sans que des moyens d’enseignement et des contenus exhaustifs soient imposés aux professeurs. «Les enseignants réagissent en fonction du quotidien, précise Olivier Maradan, secrétaire général de la Conférence intercantonale de l’instruction publique. Le traitement des questions de sexisme ne relève ainsi pas d’un moment précis, mais d’opportunités où cela fera sens pour les élèves.»
Je rentre chez moi après une soirée avec mes amis. Les rues sont sombres et peu animées. Pas question de mettre mes écouteurs, je tiens à entendre les sons qui m’entourent. Un groupe d’hommes me croise sans rien dire. Normal. Pourtant je suis soulagée qu’ils m’aient ignorée. Je ne me sens pas tranquille avant d’avoir franchi la porte de mon immeuble. Surtout, ne pas oublier d’envoyer à mon copain l’indispensable texto: «Bien rentrée.» Un jour peut-être, nous pourrons toutes nous en passer.
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FC Sion: Carlitos ou la victoire en dansant

Amoureux du ballon, souvent irrésistible, le meneur de jeu portugais du FC Sion reste l'un des plus épatants créateurs du championnat suisse. Ce jeudi à Genève, il tentera de conduire le FC Sion à une quatorzième victoire en autant de participations à la finale de la Coupe de Suisse. Du jamais vu. Le magazine Sport l'avait rencontré chez lui, à Chamoson, après le dernier sacre sédunois en 2015. Rappel.
De l’extérieur, on repère l’appartement de Carlitos à la parabole dressée sur le balcon. Perspicace, notre traducteur portugais ne s’y trompe pas: «C’est un appareil pour capter les télévisions du pays. Il habite là, vous allez voir.»
Bien deviné: le joueur vedette du FC Sion, celui qui a éclaboussé de toute sa classe la dernière finale de la Coupe accueille bel et bien au quatrième étage de cet immeuble de Chamoson, avec ascenseur privé et terrasse courant tout autour de l’appartement. On y entre à pas de loup. Lara, sa petite fille, est née vingt jours plus tôt. Edna, l’épouse de Carlitos, l’avoue dans un sourire: «Les nuits sont courtes, c’est vraiment le début…» L’attaquant acquiesce: «Tout s’est très bien passé. Le président Constantin nous a même prêté son avion pour l’accouchement à Lisbonne, pour l’aller et le retour. Je l’en remercie.»
Le balcon offre une vue épatante sur une affolante paroi rocheuse d’un côté et la vallée du Rhône de l’autre. On est dans le Valais à la fois vertical et accueillant, très loin des dédales de Lisbonne. Le joueur doit faire un effort pour se remémorer sa ville, là où tout a commencé. Dans son quartier d’Amora, tout le monde aimait le ballon. «Le football des rues, c’est le meilleur apprentissage. Tu apprends à être malin. A te sortir de tout petits espaces, à expérimenter des feintes de toutes sortes.» Il y excelle. C’est un technicien pur sucre, qui ne vit vraiment qu’avec le ballon dans les pieds. C’est aussi un «Benfiquiste». «Toute ma famille l’est et allait aux matchs. Je rêvais d’être sur le terrain. Mes souvenirs de jeunesse les plus forts, c’est l’équipe de Rui Costa, de Paulo Sousa.»
D'abord la poisse
A Amora, il est repéré par un agent de joueurs lié au Benfica, José Veiga. Il commence par faire ses classes à Estoril, à une trentaine de kilomètres. L’équipe est promue et Carlitos tape dans l’oeil du Benfica. «Peu de joueurs ont ainsi passé d’un club de deuxième division à un poste de titulaire dans un des trois grands du Portugal, Benfica, Porto ou Sporting. Je crois même que j’ai été le seul…» Là, la scoumoune s’abat. Carlitos se blesse gravement dès le stage de préparation, en Suisse. Puis une deuxième fois en cours de saison. Alors que l’entraîneur, Giovanni Trapattoni, le voit comme un titulaire, il ne pourra jamais défendre ses chances.
«J’espérais donner davantage au club de mes rêves.» Benfica veut se débarrasser de lui. «J’ai eu des offres de beaucoup d’équipes portugaises, comme Braga ou Setubal. Mais Benfica ne voulait pas que je joue dans un autre club national. Le directeur sportif m’a dit que j’étais un diamant brut à polir et que je pourrais revenir.»
En 2006, Sion se présente. Le nouveau venu prend vite ses aises au bord du Rhône. Il crée, il marque, il ne souffre pas trop des inévitables crises du club du Vieux-Pays. «Ici c’est un peu Constantin City. Mais cela ne me dérange pas. Je suis un gars tranquille, je m’entraîne, je rentre chez moi avec ma famille.» Prochaine étape: Bâle. Il y glane deux titres de champion. «Avec tout le respect que j’ai pour le FC Sion, c’était le sommet. J’ai beaucoup appris là-bas, notamment en expérience. Je parle d’ailleurs encore souvent avec le président bâlois.»
En 2010, il obtient sa deuxième chance d’intégrer un grand club, sa première dans un grand championnat. Le jackpot se nomme Hanovre, où il signe pour deux ans. Encore une fois, la guigne s’en mêle. «Je me suis blessé dès le premier match, après deux minutes de jeu! Rupture des ligaments croisés. Six mois d’arrêt. Surtout, j’ai été mal opéré. J’ai dû refaire une seconde opération, par un autre médecin. Onze mois de réhabilitation, cette fois. Cela a été très dur. Dommage, car j’apprécie le football allemand, l’ambiance positive dans les stades toujours pleins. A Benfica, si tu manques un contrôle devant 50 000 personnes, tu es mort.»
Sa chance vient de passer. Le club allemand ne veut plus de ce joueur sans cesse blessé. C’est de cette époque-là, où il expérimente une réelle solitude, que date la forêt de tatouages à tendance religieuse qui recouvre son bras droit. «Ils représentent un remerciement. Depuis ces graves blessures, je suis devenu très croyant. Ce genre de problèmes change le rapport que tu entretiens avec ton travail. Quand tu te demandes chaque jour comment tu vas faire vivre ta famille, tout est transformé.»
Retour au Portugal, dans ce club d’Estoril qui l’avait vu débuter. Il s’y relance. L’équipe termine quatrième et cinquième du championnat et il redevient le créateur de jeu qu’il aime être. «Le football, c’est le spectacle. Le dribble, la passe courte. Il faut en donner au public pour son argent. En Suisse, peu de joueurs ont la capacité de passer à un contre un. On mise plus sur l’agressivité.»
Retour gagnant au FC Sion
Les portes du FC Sion s’ouvrent à nouveau devant lui, à 31 ans. C’est un pied de nez, car le transfert à Bâle avait été si mal digéré par les fans que Carlitos se faisait insulter à chaque fois qu’il revenait à Tourbillon. «Christian Gross, mon entraîneur, préférait me mettre sur le banc quand on jouait à Sion. Le public me huait et les footballeurs sédunois me cherchaient.» Mais le football est une histoire d’éphémère: «Un ou deux buts et tout est oublié. Maintenant, le public scande souvent mon nom.» Philosophe, il en sourit.
La veille de notre rencontre, il a marqué le but égalisateur à Vaduz, de la tête. «Un joli but, non? Je n’aime que les beaux goals. Sinon, je passe la balle…» Avec bonheur: souvent taxé d’égoïsme, il distille énormément de ballons, mais il subit beaucoup de fautes. Il s’en moque un peu: «Mon style de jeu provoque cela, mon amour du dribble. Avec le temps, je connais les joueurs qui viennent pour me casser, j’anticipe.»
Il regarde sa minuscule Lara, qui ne sait encore rien du FC Sion, ni de Benfica, ni de la règle du hors-jeu. «Je me vois bien jouer jusqu’à 40 ans, pourquoi pas?»
Traduction: André Teixeira
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Reprenons du poil de la bête!
Marie-Thérèse Porchet de retour 20 ans après

Vingt ans après le succès de son premier spectacle, Joseph Gorgoni rejoue «La truie est en moi».
Pourquoi on en parle? Parce que la blonde truculente est en tournée en Suisse romande avec son tout premier spectacle, créé il y a vingt ans. «A l’époque, j’avais donné plus de 600 représentations, explique Joseph Gorgoni, son interprète. La dernière fois que je l’ai joué, c’était en 2000 à l’Olympia.»
D’où vient ce titre? Il est inspiré de L’exorciste. «Avec un ami, on avait regardé le film des centaines de fois et on rigolait beaucoup de ces histoires de possession, explique le Genevois. A l’époque, nous sortions énormément. Il nous arrivait de nous appeler les lendemains de fête pour se dire: «La truie est en moi, j’ai bu comme un cochon!» C’est resté.»
Et c’est qui, au fond, Marie-Thérèse? Un mélange de plusieurs femmes qui ont inspiré Joseph Gorgoni, notamment son ancienne cheffe de bureau, mais aussi sa grand-mère. «Elle était très rigolote, j’adorais son second degré. J’avais 18 ans quand elle est décédée. Je regrette qu’elle n’ait jamais connu Marie-Thérèse.»
Au fait, on allait oublier… Sur présentation d’une pièce d’identité, les Marie-Thérèse ont droit à une place gratuite au spectacle. «Avouez que je ne prends pas beaucoup de risques», sourit Joseph Gorgoni. A. J.
«La truie est en moi», les 26 et 27 mai au CO2 de Bulle, puis à Monthey, Neuchâtel, Mézières et Morges, infos: marie-therese.ch
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«Le dragon du Muveran» prend vie

Passionnés par le roman policier de Marc Voltenauer, des élèves d’Aigle ont recréé son univers dans une exposition à découvrir début juin dans leur collège.
Son polar a fait frissonner plus de 26 000 Romands. Parmi les lecteurs conquis par Le dragondu Muveran, première œuvre du Genevois Marc Voltenauer, figurent des élèves de l’Ecole de la transition, à Aigle. A tel point que ces jeunes, encouragés et supervisés par deux de leurs enseignants, se sont lancé le défi original de recréer de leurs mains l’univers flippant du roman policier: le décor de Gryon, le Café Pomme du village, le poste de police où se déroule l’enquête, le temple du crime, et puis le dragon, forcément. L’exposition, fruit de deux mois de travail, sera présentée au public début juin, en présence de l’auteur. A cette occasion, les visiteurs auront même la chance de trinquer autour d’un verre de Milan noir, le fameux pinot présent dans le roman.
L’exposition est à découvrir le jeudi 8 juin de 16 h à 20 h et le vendredi 9 juin de 16 h à 22 h. Entrée libre.
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Sébastien Buemi, pilote impérial à Paris

Le Vaudois s’est imposé à Paris, aux Invalides, en formule E, le championnat de voitures électriques. Numéro un du classement, il fait le bonheur d’Alain Prost, son patron. Rencontre avec un champion cool.
En plein cœur de Paris, au sein de l’écurie tricolore Renault e.dams, on affichait le sourire des grands jours samedi, à l’issue de la course de formule E, le Championnat international de voitures électriques. Avec Sébastien Buemi, le pilote suisse de 28 ans, la plus haute marche du podium est presque une habitude: cinq fois en six courses depuis le début de la saison. Laura Flessel, la nouvelle ministre française des Sports, a fait le déplacement et c’est Anne Hidalgo, maire de la capitale, qui remet la coupe au Vaudois après deux bises amicales. L’hymne suisse retentit avant la Marseillaise, le vent a permis d’éviter la pluie, l’ambiance est festive. Sur la grande scène, Alain Prost, copropriétaire de l’écurie avec Jean-Paul Driot, donne de grandes tapes sur l’épaule de son poulain. Il apprécie autant le compétiteur que l’homme. «L’entente dans l’équipe est très importante, notamment grâce à lui. Et, en plus, Sébastien est très difficile à battre. Il progresse sans cesse.»

Premier du classement du Championnat du monde depuis la saison dernière, le Romand s’impose une semaine après Monaco, mettant un terme aux ambitions de Jean-Eric Vergne de l’écurie Techeetah. Le Français rêvait pourtant de briller devant les 46 000 spectateurs, «son» public.
Sa femme, son équilibre Sébastien Buemi, comme dans le jeu de Nagui, tout le monde veut prendre sa place. Le Brésilien di Grassi, l’Argentin Lopez ont essayé. En vain. L’an dernier, le premier a fini en tête à Paris. Cette fois, entre accrochage et sortie de route, il n’a connu que des déboires. Buemi ne lui cède rien. Après la bataille, il bénéficie désormais de 43 points d’avance sur lui, deuxième au classement général. Mais le Suisse est modeste. «Pour être honnête, je ne m’attendais pas à être aussi compétitif.»
En marge de ses étincelles en formule E, Buemi participe également au championnat d’endurance (WEC). Cette double carrière lui pose un sacré problème de calendrier. Il songe même à faire l’impasse sur la toute première course dans les rues de New York, samedi 15 et dimanche 16 juillet. Au même moment, il devrait être en Allemagne, à bord de sa Toyota, sur le Nürburgring.
On se demande où il puise sa force et sa sérénité. Marié depuis 2015 à Jennifer, il est papa d’un petit Jules, né l’an dernier. «J’ai la chance d’avoir une femme incroyable. Elle est infirmière en pédiatrie», glissait-il, la veille, jouant avec son alliance Mood, marque suisse dont il est l’ambassadeur. «Ma femme me connaît depuis quinze ans. On a un peu grandi ensemble. Elle sait ce qu’est ma vie, les sacrifices, mes absences. Pour rester compétitif, vous devez bénéficier d’une forme de stabilité. Lorsque je rentre chez moi, elle est mon pilier. Je déconnecte, je me repose. Et je repars, concentré, d’attaque.»
Dans cette joute électrique, les bolides font «fizzz» et pas vroum vroum. «La grande différence, c’est la batterie placée à l’arrière, le Powertrain. La voiture est lourde, pas facile à piloter. Lorsqu’on la pousse, ça «emmène» pas mal!» Contrairement aux idées reçues, les dangers sont réels. Sébastien Buemi a débuté en karting à 10 ans; ancien pilote de F1 et pilote d’essai en formule 1, ce n’est pas un casse-cou. «J’essaie de trouver le juste équilibre entre risque et sécurité. Il faut essayer de ne pas dépasser ses limites. Ma femme en est consciente: tout peut arriver. Elle me fait confiance. Ma mère, elle, s’y est habituée après vingt ans. Des accidents, on en a connu. Jules Bianchi était un très bon copain, il est décédé en course (ndlr: le 17 juillet 2015).»

C’est pour cette raison que le coéquipier de Sébastien, Nicolas Prost, 35 ans, a passé son enfance loin du téléviseur, lorsque son père pilotait. «A l’époque, en F1, c’était très dangereux. Il y avait un accident par course. Je ne voulais pas qu’il voie ça étant petit, commente Alain Prost. Avec sa mère, nous nous étions mis d’accord. Or, la première course qu’il a suivie en direct, c’est triste, c’était le 1er mai 1994. Imaginez si cela m’était arrivé…» Ayrton Senna, 34 ans, perdit la vie en fracassant sa Ferrari à 210 km/h contre un mur en béton.
Samedi à Paris, Jean-Eric Vergne a fini lui aussi dans le mur, sans gravité. Les dix équipes et leurs vingt pilotes – douze nationalités différentes – ont retrouvé un tracé très technique. «Beaucoup de virages, pas très longs, une partie très bosselée avec un asphalte très vieux, précise Buemi après les repérages. Sur la partie pavée – classée – on a ajouté un petit goudron neuf pour les besoins de la course. Il a une adhérence différente. A nous de trouver le meilleur réglage de la voiture.»

Le châssis des véhicules est identique, comme les pneus et la batterie de stockage. Le but du jeu est non seulement de rouler le plus vite possible, mais en plus de savoir gérer la consommation d’énergie, jeu stratégique et spectaculaire. En freinant, on récupère un peu d’énergie. Cela nécessite toutefois deux voitures par pilote. «Chacune est munie d’une batterie de 200 kW, soit 270 ch pour les qualifications (ndlr: 170 kW en course)», souligne-t-il. Une perspective qui devrait changer dans les cinq à six ans. Les batteries auront alors une capacité supérieure. A Monaco, Buemi a fini la course avec 1% d’autonomie sur la ligne d’arrivée.
Sous le regard de Napoléon
L’enjeu est aussi bien économique et technologique qu’écologique. Les compétitions sont le laboratoire des moteurs du futur. Un marché de la voiture «propre» en plein essor. Paris, comme d’autres capitales, a servi d’écrin à la formule E qui n’a connu que trois saisons. La F1, elle, a 60 ans. La tour Eiffel, le Musée d’Orsay et les Invalides, que rêver de mieux? L’édifice surmonté d’une coupole dorée abrite le tombeau de Napoléon. Dans la cour pavée, la statue en uniforme et bicorne en impose. Elle est coulée dans le bronze des canons pris à l’ennemi en 1805. La main gauche du personnage est posée sur le ventre; il souffrait d’un ulcère. Buemi, lui, brandit sa coupe oubliant un instant la fatigue et la figure sévère qui le domine. «Paris reste l’une des courses les plus prestigieuses du championnat», s’émerveille une dernière fois notre champion avant de songer à Berlin, prochain rendez-vous de l’Aiglon, Buemi le conquérant.
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Elections vaudoises: l’alliance féminine de gauche l’emporte

Au terme d’une campagne à l’agressivité rarement vue en terre vaudoise, la gauche a maintenu sa majorité au Conseil d’Etat, en faisant élire Béatrice Métraux et Cesla Amarelle. L’illustré a plongé au cœur d’une journée électorale sous haute tension.
Sur une parcelle accrochée aux pentes du Suchet, un tracteur aligne les allers-retours. Au volant, Jacques Nicolet s’affaire à ratisser le fourrage, avant que son fils vienne le charger. A quelques jours du second tour de l’élection au Conseil d’Etat, le candidat UDC consacre quelques heures à son domaine agricole, à Lignerolle. Il en profite. La vue sur la plaine de l’Orbe est splendide, avec en ligne de mire Yverdon, la rive sud du lac de Neuchâtel et, plus loin, la chaîne des Alpes. «Cela me fait un bien fou; je me ressource», raconte l’agriculteur-politicien. Travailler la terre lui permet de prendre un peu de recul avec ce scrutin décisif. L’homme a sa chance. Il y croit, tout en restant conscient qu’une victoire sera compliquée. «Cela reste une élection. On ne joue pas sa vie», relativise-t-il enfin, le bon sens en bandoulière.
Pour Jacques Nicolet, cet après-midi aux champs représente surtout un moment de calme bienvenu au milieu de la frénésie d’une campagne électorale à nulle autre pareille au pays de Gilles. Le premier tour avait, comme attendu, été plan-plan, avec son lot de débats à fleurets mouchetés, aboutissant à la confortable réélection de cinq sortants emmenés par le duo Pierre-Yves Maillard et Pascal Broulis, chantres du compromis à la vaudoise. Un Parlement à droite, un exécutif à gauche, la formule semblait devoir être reconduite sans sourciller avec l’élection au second tour de l’écologiste Béatrice Métraux et de la socialiste Cesla Amarelle. C’était compter sans l’arrivée de la vert’libérale Isabelle Chevalley, déboulant comme un chien dans un jeu de quilles et dynamitant les lignes de front. Menant trois semaines de campagne à la hussarde, pugnace, elle s’en prenait d’entrée à Cesla Amarelle, qu’elle traitait de «communiste». Le ton était donné.
«La carpe et le lapin»
Surprise, bousculée, vexée aussi, la gauche s’est aussitôt braquée, attaquant l’union «contre nature» entre Isabelle Chevalley et l’UDC Jacques Nicolet, une alliance soutenue par la puissante machine électorale du PLR. La formule du «mariage de la carpe et du lapin» sera martelée à l’envi par le camp rose-vert. Mais de pages Facebook aux courriers des lecteurs dans la presse traditionnelle, les débats vont virer à la foire d’empoigne, avec un déferlement d’attaques personnelles, laissant un goût saumâtre. A gauche, le doute a fini par s’insinuer… «Mathématiquement, si son électorat se mobilise, la droite peut rafler les deux sièges», relevait même, à deux jours du scrutin, Stéphane Montangero, président d’un Parti socialiste vaudois sous haute tension et qui décrétait la mobilisation générale.
Dimanche matin, jour de l’élection, une surprise semble toujours plausible. Comme pour l’anticiper, les médias défilent à Saint-George, au cœur du Parc Jura vaudois, chez Isabelle Chevalley. Entourée de ses cinq chats, elle se montre radieuse. «Je n’ai rien à perdre», lance-t-elle. Joueuse, elle a tenté un coup de poker. Elle sait qu’elle peut perdre. Son colistier, lui, a réuni sa garde rapprochée au secrétariat général de l’UDC, au cœur de Lausanne. Les visages sont fermés, concentrés sur les premiers résultats. Il est 11 h 30. Jacques Nicolet arrive en tête dans de nombreuses petites communes. Il cartonne même dans le Pays-d’Enhaut. Mais l’écart ne semble pas suffisant. «Il me faudrait au minimum 6000 voix d’avance avant que les résultats des villes ne tombent», analyse le Nord-Vaudois. Il en a 4000 à ce moment-là.
La droite se réunira ensuite dès midi au XIIIe Siècle. Dans les caves de l’emblématique bar-club de la Cité, l’ambiance n’est pourtant pas à la fête. La conseillère d’Etat PLR Jacqueline de Quattro résume le sentiment général: «Ça va être très dur.» Isabelle Chevalley est décrochée et Jacques Nicolet est en ballottage plutôt défavorable. A 13 h 10, un militant UDC ne peut s’empêcher de lâcher un soupir. Le résultat de la première ville, Vevey, vient de s’afficher sur les écrans: la gauche est de très loin en tête. La messe est dite. Suivront Yverdon, Morges, Nyon… et surtout Lausanne, véritable coup d’assommoir. Cesla Amarelle y devance Jacques Nicolet de près de 7000 voix! Un gouffre. Le secrétaire général de l’UDC, Kevin Grangier, ne peut que constater les dégâts et se déclarer «attristé» pour la campagne vaudoise qui ne fait plus le poids face aux centres urbains.
Chez les militants de l’alliance rose-verte, au contraire, l’heure est à l’euphorie. A 14 h, ils retrouvent leurs candidats au pied de la cathédrale. Les embrassades succèdent aux cris de joie. Reconduire du même coup dans un exécutif cantonal une majorité de gauche et une majorité de femmes est historique. Même l’expérimenté Pierre-Yves Maillard ne peut cacher son émotion. Ce succès symbolise pour lui la confirmation de sa politique d’ouverture et de compromis menée depuis cinq ans. «J’avais des doutes. Aujourd’hui, ils sont dissipés», confirme-t-il. «Les électeurs ont plébiscité le miracle vaudois», s’enflamme de son côté l’économiste socialiste Samuel Bendahan, reconnaissable grâce à son éternel pull rouge. Pour la petite histoire, c’est lui, en tant que premier «vient-ensuite», qui remplacera Cesla Amarelle au Conseil national.
Véritable ruche
Le joyeux cortège remonte ensuite les rues de la Cité jusqu’au nouveau bâtiment du Parlement vaudois, où attendent télévisions et radios, transformant la salle des pas perdus en une véritable ruche. Les résultats définitifs sont projetés au mur. Sont élues la verte Béatrice Métraux (49,96%) et la socialiste Cesla Amarelle (43,88%). Elles devancent l’UDC Jacques Nicolet (39,71%), la vert’libérale Isabelle Chevalley (38,01%), puis les deux «petits» candidats Guillaume «Toto» Morand (9,7%), du Parti de rien, et la PDC Sylvie Villa (6,39%). Bien que féroces, ces trois dernières semaines de campagne ne semblent pas avoir fait bouger les lignes, les électeurs vaudois ayant confirmé leur vote du premier tour. A l’heure des premières analyses, une évidence s’impose. Contrairement à la droite visiblement démobilisée, et en particulier l’électorat PLR qui n’avait plus de candidats en lice, la gauche a su faire preuve d’une impressionnante capacité de mobilisation, ainsi que d’une discipline de vote de fer.
Sur les plateaux, la nouvelle conseillère d’Etat, Cesla Amarelle, 43 ans, reste la plus demandée. Elle enchaîne les interviews, jusqu’à ce que le chancelier Vincent Grandjean vienne la chercher. Il est l’heure de la traditionnelle photo officielle du gouvernement vaudois, qui sera réalisée sur le toit du bâtiment. «C’est vraiment à ce moment que j’ai réalisé que j’étais élue», confiera plus tard la socialiste. Après encore un dernier débat en direct à la radio romande, elle pourra enfin rejoindre les siens au café-restaurant du Bleu Lézard pour fêter ce succès. Il y a sa famille, ses amis, mais aussi de nombreuses figures de la gauche vaudoise. C’est l’ambiance des grands soirs. Chaque discours est ponctué de longs applaudissements. «Ce soir, je tiens ma revanche», glisse l’écologiste Luc Recordon à Cesla Amarelle, faisant référence à sa non-réélection au Conseil des Etats. Dans le coin de la salle, discrète, Yvette Jaggi immortalise les scènes de joie à l’aide de son téléphone portable. A 76 ans, l’ancienne syndique de Lausanne et éternelle militante est allée tracter tous les jours dans les quartiers de sa ville.
Carrière entre parenthèses
La nuit sera courte pour Cesla Amarelle. Le lendemain matin, elle s’offre une pause dans un café de la place Pestalozzi, à Yverdon, avant de filer en train à Neuchâtel. A 11 h 30, cette professeure d’université doit donner un cours de droit constitutionnel. Une carrière académique qu’elle devra mettre entre parenthèses. Cette élection, c’est pour cette mère de deux filles, née en Uruguay, l’aboutissement d’une candidature préparée de longue date et de huit mois et vingt jours – elle a tenu un décompte précis – d’une campagne harassante. Très tendue durant les dernières semaines, la nouvelle conseillère d’Etat se dit aujourd’hui sereine. Fatiguée, mais sereine.