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La délicate alchimie de Viviane Fontaine

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Jean-Blaise Besençon
L'artiste-peintre Viviane Fontaine expose ses oeuvres au Musée d'art et d'histoire de Fribourg jusqu'au 25 juin.
Tête-à-tête

Chaque semaine, L'illustré rencontre une personnalité au coeur de l'actualité culturelle romande. Aujourd'hui: l'artiste-peintre Viviane Fontaine, qui expose tout en beauté ses œuvres de papier à Fribourg.

Eclairé de deux grandes fenêtres ouvertes sur la nature, l’atelier de Viviane Fontaine, à Cerniat, baigne dans la douce lumière de la Gruyère. «La transparence me suit», explique l’occupante des lieux, petite femme presque frêle en réalité délicate et sensible comme les matières, chiffons blancs, plantes ou feuilles, qu’elle couche en papier, au terme d’une puissante alchimie.

A Genève, où elle est née en 1955, «ma mère faisait de la couture, mon père était très bricoleur, il avait construit leurs premiers meubles et moi, j’ai toujours dessiné. Enfant, j’étais hyper-timide et très sauvage, j’ai passé des heures à lire, à écrire et à dessiner.» A l’époque, Le crapaud à lunettes récompensait par un prix les lecteurs qui lui envoyaient le plus beau dessin. Mais c’est dans la section sculpture que la jeune femme s’inscrit à l’Ecole des beaux-arts, sitôt qu’elle peut se passer de l’autorisation que lui avaient refusée ses parents. Là, le goût du dessin la rattrape rapidement tandis qu’elle découvre celui du papier, celui que l’on fabrique soi-même, ainsi qu’elle l’expérimente une première fois au cours d’un stage en Californie.

Au rez-de-chaussée de sa belle maison du début du XIXe siècle, l’atelier est assez vaste pour accueillir les participants aux stages qu’elle organise régulièrement. Espace pour cuire les chiffons et les végétaux, des plateaux de pierre sur lesquels marteler les plantes pour en révéler les fibres et puis des tamis, des petits très coûteux en bambou, d’autres en aluminium pour laisser filer l’eau et retenir la nouvelle matière. Viviane Fontaine parle de renaissance, d’un passage qui, à des feuilles mortes ou à des bribes de vieux chiffons, donne une nouvelle vie. «Au début, le papier Japon, je n’y arrivais pas», raconte celle qui a dû se rendre là-bas, y trouver un maître, y retourner à plusieurs reprises, y apprendre un peu la langue pour en découvrir les secrets. Acanthe, agave, bouleau, chèvrefeuille, hortensia, luzule, genêt, lavande, mûrier, tremble, tabac, verveine ou encore vipérine, l’artiste incorpore des dizaines de plantes différentes, feuilles ou tiges, à ses créations. «Quand je partais directement des plantes, le résultat était trop beau, j’ai dû les apprivoiser autrement, elles prenaient trop d’importance.»

Au chant des trembles, l’exposition du Musée d’art et d’histoire de Fribourg, raconte cette belle histoire en quelque 70 œuvres. Des bols, petits ou grands, toujours légers, «et déjà pleins de vide, à quoi bon y mettre autre chose», des vêtements «importables, des boucliers en fibre de mûrier, des cocons d’ortie ou de ramie, rehaussés d’algues ou d’asperges, des cocons peut-être refuges des grands papillons de prêle et de physalis, ou encore de l’ange en feuilles de tremble. Simplement magnifique.

Viviane Fontaine – Au chant des trembles, Musée d’art 
et d’histoire, Fribourg, 
jusqu’au 25 juin, www.fr.ch, www.vivianefontaine.ch

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Article 5

Barbara Polla: "Je suis une personne de désir"

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Didier Martenet / L'illustré
Barbara Polla, qui êtes-vous en quatre mots? "Fragile, passionnée, travailleuse, reconnaissante."
Interview intime

Médecin, ex-conseillère nationale, galeriste, la Genevoise Barbara Polla, 67 ans, a chamboulé sa vie pour vivre pleinement sa passion pour l’art. Un choix de liberté qui correspond à son nouveau livre, Femmes hors normes (Ed. Odile Jacob).

Il y a dix ans, vous affichiez l’image du bonheur parfait: un mari, quatre filles. Vous avez divorcé et cette image 
a volé en éclats.

Je n’affichais rien, je laissais simplement transparaître mon bien-être. C’était une image simplifiée, liée à mes différentes activités: j’étais médecin, j’étais conseillère nationale, je travaillais dans l’institut de soins de Luigi Polla, Forever Laser, tout cela me passionnait, mais d’autres priorités ont pris le dessus.

Vous appelez votre ex-mari par son nom pour le mettre à distance?

Au contraire, c’est une manière de le considérer dans sa personne et non pas dans une fonction qui n’est plus la sienne, puisqu’il n’est plus mon mari. Donc j’étais effectivement une mère comblée et une épouse heureuse. Les médias s’intéressaient à cette image, plus qu’à moi, Barbara Polla. J’ai évolué en dix ans, mais je n’ai pas implosé. Je suis toujours moi! J’ai 67 ans et je suis riche de tout ce que j’ai vécu.

Pourquoi avez-vous divorcé?

Je voulais me consacrer de plus en plus à l’art et à l’écriture. J’avais besoin de me rapprocher de moi-même et de mes vraies envies, la poésie, la beauté. Je m’étais mariée à 30 ans, après la naissance de ma première fille, alors que j’étais enceinte de la deuxième. Je ne me souviens pas de la date de mon divorce. Ça doit faire cinq ou six ans. Avec Luigi Polla, il y a eu un éloignement progressif.

Vous vous sentiez prise en cage?

Non, pas du tout! (Rire.) Ma vie est une suite de ruptures et de renouveaux. Quand j’ai arrêté la médecine pour faire de la recherche, ce n’est pas parce que je me sentais en cage, mais pour suivre mon désir. Quand j’ai quitté l’institut familial pour approfondir ma passion pour l’art, c’était aussi pour suivre mon désir. Cela a créé de la distance avec Luigi Polla, qui aimait beaucoup quand je m’occupais des filles et qu’on travaillait ensemble à l’institut.

C’était un déchirement?

C’était devenu plutôt une évidence. Quand vous tournez une page, vous ne la déchirez pas. Vous faites un pas pour vivre vos envies, mais vous recevez en retour une énergie beaucoup plus grande. J’aime bien prendre l’exemple du coming out. Vous sortez de la case, vous dites: «Je ne suis pas ceci, je suis cela.» C’est une libération, ça fait du bien! On peut dire bien sûr qu’un divorce, c’est un échec, mais c’est aussi un nouveau départ. Mes filles voient d’ailleurs que je suis bien.

Où vivez-vous?

Entre Genève et Paris, mais ma base reste Genève. J’ai un appartement à Chêne-Bourg. C’est tout petit et très joli.

Vous ne regrettez pas votre somptueux appartement dans la Vieille-Ville?

Non. Je ne suis pas une personne de regret. Ce n’est pas un interdit que je me donne, mais je suis une personne de désir. C’est ma position dans la vie: 
je désire ce qui va venir.

Et à Paris?

J’habite dans le Marais, dans un mouchoir de poche. J’ai des activités multiples. En ce moment, je suis commissaire d’exposition pour la Maison européenne de la photographie, l’an dernier la ville de Nanterre m’a demandé de faire une exposition sur «Art et prison». Je voyage beaucoup.

Vous n’avez pas été entravée par des normes traditionnelles?

J’ai toujours refusé les normes. A 20 ans, j’ai quitté la maison familiale, qui était modeste mais belle. Mon père était enseignant, ma mère artiste peintre. J’ai fait mes études de médecine en travaillant pour les payer. Je suis sortie d’un cadre confortable pour faire quelque chose qui était vraiment difficile, mais qui m’a apporté une énergie extraordinaire. Quand j’ai rencontré Luigi, j’avais 24 ans et c’était un coup de foudre. J’étais depuis six ans avec un homme que j’aimais beaucoup. Là aussi, ce fut une rupture pour aller vers Luigi.

Vous n’avez pas été bridée par la maternité?

Non, pas du tout! J’ai adoré le fait d’avoir ces quatre petites filles, c’était génial. Elles m’ont rendu l’existence très drôle, très belle, foisonnante. Elles continuent de le faire, d’ailleurs, car nous avons de très belles relations. C’était mon choix et c’était magnifique.

Dans votre livre, votre fille aînée, Ada, 40 ans, explique qu’elle n’a pas voulu avoir d’enfants. Elle fait ce que vous auriez voulu faire?

Absolument pas, mais je respecte son choix. Ce qui me touche, c’est qu’elle vive pleinement en accord avec elle-même. Elle sort de la norme qui veut que les femmes aient forcément des enfants.

Vous êtes heureuse?

Quand on me pose cette question, je réponds: «Je suis bien.» C’est une question de sémantique mais les mots m’importent beaucoup. Je préfère dire «Je suis bien», parce que le bonheur, c’est quelque chose de très évanescent. Par contre, être bien, c’est le sentiment d’être là où l’on veut être et de faire ce que l’on veut faire.

Comment vos filles ont-elles vécu votre divorce?

Allez leur demander! (Rire.) Moi je dirais que c’était challenging. Je pense que pour tous les enfants, même lorsqu’ils sont adultes, les parents incarnent une fonction. Quand vous divorcez, vous gardez la fonction de père ou de mère, mais vous perdez la fonction de parents. Vous devenez deux individus et c’est un déséquilibre pour les enfants, quel que soit leur âge.

Vous travaillez encore avec elles pour l’institut familial?

Non, mais nous sommes toujours très proches. J’ai organisé un premier événement culturel avec ma plus jeune fille, Roxane, qui a 27 ans et est étudiante en médecine. Nous avons organisé une lecture poétique à Lausanne sur le thème «Ma chair médecine».

Que font les autres?

Ada vit aux Etats-Unis, entre Washington et La Nouvelle-Orléans, où elle développe la gamme de produits que nous avons créée. Elle est mariée, c’est son deuxième mari. Il est Américain comme le premier. La deuxième, Cyrille, a 36 ans, elle s’occupe de la communication à l’institut. La troisième, Rachel, qui a deux ans de moins, dirige l’institut.

Vos livres parlent de sexualité et de liberté. Vous n’avez pas vécu le mariage comme un enfermement?

J’ai été fidèle pendant mon mariage parce que cela me convenait, pas parce que je pensais que c’était moral. Aujourd’hui, je vis seule, mais j’ai une vie riche, et chaque relation est une découverte. J’ai des amants, mais je ne vous en dirai pas davantage. (Rire.)

Vous êtes pour la fidélité?

Je suis une personne fidèle, mais ça n’a rien à voir avec le mariage. Je suis contre la notion de tromper. Avoir une aventure, ce n’est pas tromper. C’est autre chose. Cette notion de fidélité et son corollaire, tromper, c’est ce qui ne va pas dans le mariage. Quand on se marie, on se jure fidélité, mais c’est absurde. Comment imaginer qu’un homme ne désire que moi pendant toute sa vie? Cela n’a aucun sens! Je ne le voudrais pas, d’ailleurs. Ou bien on désire en général, ou bien on ne désire pas. J’ai écrit un livre, Eloge de l’érection. Par «érection», j’entends le désir, le fait d’être dans le désir.

Ce sont surtout des désirs intellectuels?

Intellectuels, artistiques, culturels… Des désirs relationnels, aussi. J’explore le potentiel de transformation de mon esprit et de ma vie. Mon prochain livre portera sur la décapitation, la torture et l’amour. J’essaie de parler d’amour, j’aimerais faire ressentir tout l’amour du monde.

Le Blick avait une rubrique «Qu’est-ce qui est meilleur que le sexe?». Pour vous, ce serait quoi?

La poésie! Elle est très importante dans ma vie. Elle a été longtemps une manière de vivre ma vie avec mes enfants et avec mon mari: je voulais que tout soit beau. J’écris aussi des poèmes. Le premier, je l’ai écrit à 7 ans. Je vais publier cet automne un recueil de mes poèmes de 2009 jusqu’à 2017. J’écris en anglais, à cause du rythme de la langue. Tenez, je vais vous faire lire ce poème érotique! J’ai déjà décidé que sur ma tombe, ce sera juste écrit: «Barbara Susanna Imhoof, poète.»

Vous faites des soins pour rester jeune et belle?

Mon credo, c’est «Vieille et jolie»! (Rire.) Je vais écrire un livre sur le vieillissement. Pour la plupart des gens, l’existence est une sorte de courbe en cloche: on est enfant, adolescent, jeune, adulte… Et puis on décline. La vieillesse, c’est alors l’histoire de la perte, de la démence. Mais moi, je ne vois pas les choses ainsi. Je pense à ma mère, décédée il y a deux ans et demi. Elle m’a appelée un jour en me disant qu’elle ne savait plus où elle en était. Elle m’a dit: «Tu sais, je suis une exploratrice.» Elle a réussi à exprimer exactement ce qu’elle ressentait: elle explorait des territoires que nous ne connaissons pas. Il y a des choses que je peux faire aujourd’hui, que je peux penser, alors que je ne pouvais pas le faire à 30 ou 40 ans.

Vous faites des soins au laser?

Oui, bien sûr, si j’ai une tache sur le bout du nez, je la fais enlever, oui! (Rire.) Mais je n’ai pas fait de chirurgie. Je prends soin de moi, ça se voit, non? (Rire.) Je fais attention à la nourriture, je suis active, je fais de l’exercice… Mais j’ai eu un accident très grave, en 2009, et j’ai quand même toute ma jambe droite en métal.

C’était quoi, cet accident?

J’ai été renversée par une voiture rouge à Paris, sur la place de la Concorde, j’ai vu la mort arriver en voiture rouge. C’était très beau, d’ailleurs, c’est devenu le titre d’un chapitre d’un de mes livres. La voiture m’a percutée mais je ne suis pas morte parce que, comme je suis légère, au lieu de tomber sous la voiture, j’ai giclé et je suis retombée très loin sur la nuque. Pendant tout le temps du vol plané, avant de perdre connaissance, je me suis dit: «Voilà, j’ai fait ce que j’ai fait; ce que je n’ai pas fait, je ne l’ai pas fait.» Sereine. Et quand je me suis réveillée, je me suis dit: «Cool, je vais pouvoir faire encore plein de choses!»

En général, l’envie s’affaiblit avec le temps.

Pour moi, elle augmente. J’ai carrément envie de changer le monde avec mes livres! Je ne suis pas Shakespeare, je ne suis pas Barack Obama, mais je crois que quand on fait quelque chose de bien, cela influence le cours du monde. Je n’ai pas de croyance religieuse, mais je crois à la conscience humaine et à la possibilité du bien.

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Les parents d'Adeline: «C’était un procès juste et digne»

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Didier Martenet / L'illustré
Esther et Jean-Claude Morel au premier jour du procès de Fabrice A., l’assassin de leur fille. Ils ont pris le tram pour se rendre au Palais de justice en compagnie de Fabianne, la soeur d’Esther, et de Stephan, son mari, derrière eux, venus de Thoune.
Justice

Ils ont de nouveau affronté 
le tueur de leur fille Adeline 
au Tribunal criminel de Genève, qui jugeait Fabrice A. Ils ont supplié la cour de prononcer l’internement à vie, le procureur l’a requis. Esther et Jean-Claude Morel reviennent avec nous sur les moments les plus intenses de ce procès hors norme.

Ils ne pourront bien sûr jamais tourner la page. «La souffrance est tellement intense qu’elle nous habitera jusqu’à la mort», affirment-ils, mais ils peuvent envisager enfin un vrai travail de deuil. Le procès de Fabrice A. qui vient de se clore a été «juste et digne» à leurs yeux. Rien à voir avec le cafouillage d’octobre dernier qui avait obligé la justice à nommer un nouveau tribunal. Esther et Jean-Claude Morel, les parents d’Adeline, la sociothérapeute assassinée le 12 septembre 2013 par Fabrice A., attendent, sereins, le verdict qui tombera ce mercredi 24 mai à 17 heures. Malheureusement hors délai pour la parution de notre article. Mais le fait que le procureur ait requis l’internement à vie est «déjà une victoire», assurent-ils. «Si le tribunal ne prononce qu’une mesure d’internement simple, confie Esther, ce sera une déception mais, comme nous l’a dit le procureur en audience, cela ne voudra pas dire que nous avons perdu notre combat. Simplement, c’est important pour nous que la peine la plus sévère soit prononcée. Qu’il en reste une trace, même si ce jugement est cassé ensuite par le Tribunal fédéral. Pour que les gens qui auront à statuer à l’avenir sur Fabrice A. sachent qu’il a été condamné une première fois à rester toute sa vie en prison. J’aimerais vraiment être sûre qu’il ne pourra plus jamais faire de mal à ma famille.»

Puissance du lien humain

Ils sont arrivés lundi dans le même état d’esprit, prêts à affronter l’assassin de leur fille et forts du soutien de leur famille, des amis d’Adeline, fidèles au poste. «La puissance de ce lien humain si intense qui s’est créé autour de nous après la mort d’Adeline est quelque chose d’extraordinaire», disent-ils. Quand Fabrice A., t-shirt turquoise et bas de training informe, est entré dans la salle, Esther l’a regardé droit dans les yeux. «Lui ne m’a jamais regardée.» Jean-Claude, lui, a croisé le regard du tueur une seule fois: «Il n’y avait que du vide.»

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Une épreuve quotidienne pour les parents d’Adeline: faire face chaque jour à l’assassin de leur fille, assis à quelques mètres d’eux. Photo: Didier Martenet

La journée certainement la plus difficile. Entendre pendant des heures le prévenu revenir, avec un détachement sidérant, sur la chronologie macabre qui a précédé le crime. Un véritable show à sa gloire parfois, où il va jusqu’à s’en prendre à l’avocat de la famille, Me Simon Ntah, resté stoïque. «Vous êtes d’une mauvaise foi resplendissante», lui lance Fabrice A., en lui assénant au passage un cours accéléré de psychologie, menaçant encore de quitter la salle s’il persiste à poser des questions qui le dérangent. Difficile encore pour les proches d’Adeline de l’entendre prétexter «un voile noir», une amnésie à chaque question du président tentant de lui faire avouer ce qui s’est réellement passé durant le dernier quart d’heure de vie d’Adeline, attachée à un tronc d’arbre, menacée par un couteau, subissant un baiser forcé puisque l’ADN de Fabrice A. a été retrouvé sur ses gencives.

Et puis devoir écouter une énième fois la précision de la taille de la blessure, 18,5 centimètres, le fait que l’assassin est resté plusieurs minutes à voir sa victime se vider de son sang. Quand Fabrice A. réfutera la préméditation, alors qu’il l’avait admise en octobre, cela fera l’attaque de tous les articles de presse du lendemain. «Nous nous étions préparés, assure Esther, de toute façon il ment tout le temps.» Au procureur qui lui demande «Ça vous a fait quoi d’entendre Adeline vous supplier de ne pas la tuer car elle voulait revoir sa fille?» Fabrice rétorque comme s’il parlait d’un fait insignifiant: «C’est entré par une oreille et sorti par l’autre, j’étais dans un état animal dénué de tout raisonnement.»

«Le plus difficile, soutiennent les parents, c’est de ne jamais savoir ce qui s’est vraiment passé. Contrairement à ce qu’il affirme, je suis persuadée que ma fille a essayé de se défendre…» affirme Esther Morel.L’immobilisme du prévenu durant les cinq jours du procès les a frappés. «Il n’a jamais bougé d’un centimètre, 
ni marqué le moindre soubresaut, même quand le procureur a requis l’internement à vie!»Quand il a avoué sa réticence à se rendre sur les lieux pour la reconstitution du crime où «Adeline avait rendu son dernier souffle», a-t-il lancé, «par peur de les profaner», les parents n’y ont pas cru une seule seconde. «A-t-il eu peur de profaner le lieu de ses exploits?» s’est demandé Jean-Claude. Eux-mêmes ont essayé par deux fois de retrouver cet endroit, en vain. «La végétation était devenue trop importante.»

«Un crime
 de toute-puissance»

L’audition des experts français et suisses, mardi et mercredi, n’a rien appris à la famille qu’elle ne savait déjà. Fabrice A. est un psychopathe, mais ce n’est pas une maladie mentale. «Le président du Tribunal criminel, Fabrice Roch, a bien cadré les débats», souligne Jean-Claude. Esther a apprécié «son regard plein de compassion à notre égard». Même si les psychiatres, comme la plupart des scientifiques, ne peuvent pas garantir une incurabilité à vie, ils ont relevé l’extrême dangerosité du tueur. La mort d’Adeline constitue «un crime de toute-puissance», ont affirmé les experts français, avec une composante sadique pour les experts suisses. Le pouvoir de donner la mort lui a procuré «un orgasme dans le cerveau». Quid d’un traitement psychiatrique? Son immodestie et sa tendance à en rajouter et à se glorifier après coup de ses actes ne plaident pas en sa faveur. «Il faudrait qu’il commence à faire des cauchemars, à s’effondrer pour que ce soit possible.»

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La tombe d'Adeline au cimetière d'Athenaz (GE) est toujours très colorée et fleurie. La photo de la jeune femme change avec les saisons et sa fille de 4 ans y dépose de petits présents. Photo: Didier Martenet

«Une étincelle
 en chaque détenu»

Esther Morel n’a pas dormi de la nuit pour écrire son texte, mais sa voix est claire et ferme lorsqu’elle évoque à la barre sa fille, cette jeune femme brillante et solaire qui consacrait sa vie à aider les autres. «Elle voyait une étincelle en chaque détenu, la suite nous a montré qu’elle a eu tort», déclarera-t-elle dans un silence religieux. Certains, même sur les bancs de la presse, ont la larme à l’œil quand elle parle de sa petite-fille, la fille d’Adeline, qui va devoir grandir sans sa mère et a confessé récemment à sa grand-mère qu’elle avait le cœur lourd parce qu’il y avait sa maman dedans. «Espérons de tout cœur que son sourire, venu de sa maman, traverse les ombres de ce monde», a dit Esther Morel, avant d’ajouter: «Nous ne sommes ni en colère ni révoltés, mais nous lutterons de toutes nos forces pour qu’un pareil drame ne se reproduise jamais.» Jean-Claude, plus succinct, parlera de ces deux questions qui le hantent: comment Fabrice A. a-t-il pu fomenter un projet aussi machiavélique de meurtre et de fuite en détention? Pourquoi a-t-il été accepté dans le centre de sociothérapie La Pâquerette alors que des experts avaient évoqué la dangerosité de ce récidiviste au profil de psychopathe, déjà condamné pour deux viols?

Juan Poy, le compagnon d’Adeline et père de leur fille, parlera à son tour pendant une heure et demie avec beaucoup de dignité et d’émotion. «Ma fille est mon espérance, je gère comme je peux tout cela, et ça demande beaucoup d’énergie.» Comment appréhender le moment où elle découvrira les circonstances horribles de la mort de sa maman? se demande-t-il. «Ce crime modifiera toute sa vie. Elle devra vivre avec ça.»

L’internement à vie requis

«Adeline est morte pour que Fabrice A. puisse avoir un orgasme», martèle le procureur Olivier Jornot à l’heure du réquisitoire. Le magistrat semble rétif dans un premier temps vis-à-vis de l’internement à vie qu’il qualifie de «gadget», rappelant que l’internement simple est largement suffisant pour protéger la société 
d’un criminel aussi dangereux que Fabrice A. «On a eu peur, on s’est regardés, 
mon mari et moi», confie Esther, soulagée quand Olivier Jornot finira par demander malgré tout une peine de prison et un internement à vie pour «assassinat, séquestration, contrainte sexuelle et vol (ndlr: l’argent d’Adeline et le véhicule de la Pâquerette).»

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Nés en 1950 et 1943, Esther et Jean-Claude Morel auront marqué les esprits au procès par leur dignité mais aussi leur chaleur humaine. Leur foi catholique est un grand réconfort. Photo: Didier Martenet

Au dernier jour du procès, Me Ntah, leur avocat, rappellera avec force que, consciente de sa mort prochaine, Adeline avait certainement pensé encore une fois aux autres. A sa fille qui allait devoir se passer de son amour, à son compagnon, à ses parents qui allaient devoir l’enterrer. Peut-être aussi, serait-on tenté d’ajouter, à son grand-père adoré, Johan, sur qui elle avait fait son travail de maturité et qui avait grandi sans famille. Arrivé tout seul en Suisse à l’âge de 6 ans, après que sa mère l’eut mis dans un train en Allemagne pour le sauver de la barbarie nazie.

«La souffrance des proches d’Adeline me transperce», avouera le dernier jour du procès un des avocats de Fabrice A., Me Yann Arnold, en se retournant vers le banc de la famille. «Un geste qui nous a touchés», reconnaissent les parents, qui comprennent bien que l’homme de loi ne fait que son métier lorsqu’il demande au tribunal de ne pas fermer 
la porte de l’espoir pour Fabrice A.On les quitte dans le jardin de leur villa genevoise, à quelques mètres du cimetière où Adeline repose. Il y a des roses éclatantes et d’autres qui ne demandent qu’à éclore. Ces fleurs qu’Adeline adorait. 

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Article 6

Olivier Guéniat: il était une fois
 un flic

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Darrin Vanselow
Olivier Guéniat en gentleman-farmer, au sommet de la Roche (1246 m) à hauteur de Concise (VD). A son côté, un de ses deux chiens, Marie-Louise, un basset hound – une inspiration pleinement revendiquée de l’inspecteur Columbo dont il était fan.
Hommage

Entre stupeur et incompréhension, c’est l’histoire d’un policier dont la mort émeut aujourd’hui toute la Suisse romande. C’est qu’Olivier Guéniat n’était pas n’importe quel policier: un superflic qui avait placé l’humain au centre de sa vie professionnelle. Il vient de mettre fin à ses jours, d’une balle dans la tête. Il avait 50 ans.

«En chaque policier, il y a un homme avec ses forces et ses faiblesses», déclarait-il en 2013 dans l’émission intimiste de Mélanie Croubalian, sur les ondes de la radio suisse romande. Entre les lignes, parlait-il d’abord de lui, de sa propre fin, en murmurant encore au micro de Lydia Gabor: «J’ai une relation très saine avec la mort, il faut que je le dise, ni peur, ni pour moi, ni face aux autres, ni avec les autres, c’est quelque chose de complètement intégré pour moi.»

Il était devenu un visage si familier de tous. Olivier Guéniat le superflic, le communicateur vulgarisateur-né, omniprésent, celui que l’on imaginait si fort, inoxydable, maîtrisant ses sujets à la perfection, bardé de diplômes, de titres, cet esprit d’une fine intelligence analytique, d’une grande rigueur scientifique, expert reconnu bien au-delà de nos frontières, était en fait un homme avec des fêlures profondes. Comment expliquer l’inexplicable? Où trouver les raisons de son acte désespéré? La Suisse romande est aujourd’hui sous le choc et s’interroge depuis la découverte de son corps inanimé, lundi 15 mai dernier en début d’après-midi, à son domicile de Fresens (NE). Les regrets sont unanimes, les éloges démesurés, à l’image de la trace profonde qu’il aura laissée chez tous ceux qui l’ont connu ou approché.

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Olivier Guéniat avait acquis une notoriété d’expert en police scientifique bien au-delà de la Suisse romande – ici dans son bureau de la police judiciaire de Neuchâtel. Soucieux de son image, il cultivait aussi l’élégance, toujours en chemise et cravate noires. Photo: Olivier Allenspach/24 Heures

Des racines en héritage

«L’Olivier», comme on l’appelait affectueusement dans son Ajoie natale, ce n’était pas n’importe qui. C’est d’abord un nom, presque une dynastie. Avec un grand-père connu loin à la ronde, professeur de sciences naturelles à l’Ecole normale de Porrentruy, une sorte de professeur Tournesol rigoureux qui adorait les abeilles, et fils d’un médecin-dentiste que les enfants appelaient Dupont, qui était en fait «anarchiste conformiste déguisé en Maigret», comme le décrira plus tard Olivier Guéniat, qui trouvera chez lui l’origine de sa vocation. Dans la bibliothèque, la collection complète de la Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique. Le jeune Olivier la dévore et, pas peu fier, il estimera la boucle bouclée quand, bien plus tard, il signera à son tour des articles dans cette prestigieuse publication de référence.

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Olivier Guéniat préférait sans doute les animaux aux humains. Ici, dans le restaurant de la Béroche tenu par ses amis Laurent Larmusiaux et Nicole Jeannet. Photo: Darrin Vanselow

Il avait un peu tout fait, tout connu, il avait même été punk durant sa jeunesse après un voyage à Berlin, il aimait Lou Reed, les Sex Pistols et David Bowie, il adorait Blaise Cendrars (le premier livre qu’il avait lu était L’or), mais il avait aussi été un joueur d’échecs exceptionnel.Une enfance heureuse à Courtedoux dans la maison familiale, partagée avec les fermiers voisins auprès desquels il apprend «des valeurs fortes», alternant ensuite «les phases de sagesse et les phases de bêtises», le jeune Olivier avait suivi ses classes au village avec un «professeur exceptionnel, un naturaliste extraordinaire» qui lui avait fait «adorer la nature». Il était devenu incollable, connaissait la vie des abeilles et des papillons presque mieux que celle des êtres humains sur lesquels il n’avait plus beaucoup d’illusions. Car il avait longtemps cru, comme Rousseau, «que l’homme était bon». Dans le canton de Neuchâtel, sur les hauteurs de Saint-Aubin, quittant parfois son job de chef de la police judiciaire, «un des plus éprouvants du monde», il entamait des marches effrénées en pleine nature, souvent la nuit, «car c’est un autre monde, avec ou sans lune».

Etrange prétexte

Alors, une fois encore, pourquoi? A l’image de la mort du grand chef Benoît Violier, l’opinion publique peine à se satisfaire du seul silence de la mort et du poids du mystère. On ne peut pas partir comme ça, sans rien dire à personne, sans laisser de message – aucune lettre d’adieu n’a été écrite avant son geste fatal, mais la police a retrouvé des papiers, non datés, «aux pensées funestes». Peu avant, sa maman passe des vacances chez lui, mais ne constate rien qui puisse l’alerter. «Il était absolument normal, je n’ai vraiment rien perçu de particulier», confie-t-elle. Une maman, déjà veuve depuis le début des années 90, qui n’aura guère été épargnée par les chagrins, après la mort de son compagnon il y a quelques semaines et puis le décès effroyable de son fils qu’elle apprend par les médias, en consultant une alerte sur son téléphone portable alors qu’elle vient d’arriver chez elle en voiture. «On ne comprend pas ce qui a pu se passer», murmure-t-elle, désemparée.

Le matin même, Olivier Guéniat s’était rendu à son travail le plus normalement du monde quand, tout à coup, alors qu’il était au rapport avec ses hommes, il avait prétexté un rendez-vous chez le vétérinaire avec ses chiens avant de s’éclipser. On ne le reverra jamais.

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Lundi 22 mai 2017, dans la grande salle de Saint-Aubin-Sauges (NE), en présence de Laurence, sa compagne depuis 18 ans, de Ghyslaine sa maman et de toute sa famille, proches et policiers ont dit un dernier adieu à Olivier Guéniat. Sur la scène, des fleurs et un petit arbre qui sera replanté en son souvenir. Photo: Darrin Vanselow

Et déjà courent les rumeurs dans les cafés de quartier et les dîners en ville, des plus simples aux plus folles, toutes invérifiables et souvent fantasmées. Ses proches, ses amis, tous cherchent dans les tréfonds de leur mémoire, tentent de déceler dans la vie et les actes des dernières semaines des signes, un petit détail, un geste, un rien qui pourraient donner un éclaircissement, un début d’explication. «L’échec de la fusion des polices jurassienne et neuchâteloise a été un crève-cœur, analyse un policier neuchâtelois qui l’a bien connu. Il a aussi été affecté de ne pas avoir été nommé en 2015 à la succession de Pierre Margot, son professeur qui partait à la retraite, comme directeur de l’Ecole des sciences criminelles de l’Université de Lausanne.» D’autres imaginent qu’il portait peut-être un lourd secret, plus personnel, devenu ingérable, sans aucune issue. «Est-ce lié à l’honneur? s’interroge un observateur avisé de la vie neuchâteloise. Le mot «hara-kiri» revient souvent dans les conversations depuis sa mort, comme si elle devait être comme ça et pas différente.»

Et puis, bien sûr, il y a toujours ces phrases, ses propres déclarations, qu’on reprend et qu’on tente de lire d’un œil différent au regard de sa mort brutale. Cette citation à L’illustré, par exemple, en octobre 2007. On lui demande de parler de sa ligne de vie, il répond en se résumant ainsi: «J’ai eu la chance d’avoir accès aux études, puis d’explorer, dans mon métier, le monde passionnant des rapports humains. Je suis libre parce que je n’ai pas d’enfants, donc personne à qui passer le témoin.» Oui, libre. Libre aussi de décider le jour et l’heure de sa mort. Peut-être parce que, comme l’écrivait Camus, «il n’y a pas d’amour de vivre sans désespoir de vivre».

A noter que L'illustré n°21, toujours disponible, publie également sur ce sujet les hommages du procureur neuchâtelois et écrivain Nicolas Feuz, proche du défunt, ainsi que du journaliste Blaise Calame, qui a très bien connu Olivier Guéniat durant leur enfance commune à Courtedoux (JU).

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Lea Sprunger lance parfaitement sa saison

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Julie de Tribolet
Lea Sprunger a suivi les traces de sa sœur aînée, Ellen, grande spécialiste de l’heptathlon.
Athlétisme

L’athlète vaudoise a réalisé un week-end canon, pulvérisant le record suisse du 300 mètres.

C’est qui, Lea Sprunger? A 27 ans, la spécialiste du 400 mètres haies née à Nyon, médaillée de bronze des derniers Championnats d’Europe d’Amsterdam, est l’un des fers de lance de l’athlétisme suisse.

Pourquoi on en parle? En ce début de saison de plein air, la jeune femme a réalisé un week-end de l’Ascension parfait. Jeudi, à Langenthal, elle a couru le 300 mètres en 35’’70, soit la quatrième meilleure performance mondiale de l’histoire et record suisse – évidemment – pulvérisé! Deux jours plus tard, Lea Sprunger a récidivé, remportant le 400 mètres haies du meeting d’Oordegem, en Belgique, avec plus de deux secondes d’avance sur sa première dauphine.

Pourquoi ces résultats font plaisir? Ces deux belles performances permettent de relancer Lea Sprunger après son échec de l’hiver, où elle a «craqué» en finale du 400 mètres des Championnats d’Europe en salle de Belgrade, une course qui lui était promise. Depuis, elle a mis toutes les chances de son côté, en changeant son rythme de foulée et en entreprenant un travail avec un hypnothérapeute.

Et la suite? Lea Sprunger souhaite briller dans les meetings de la Diamond League, en particulier Athletissima, le 6 juillet, meeting dont elle est l’ambassadrice. La Vaudoise visera également une performance aux Championnats du monde de Londres, au mois d’août, avec un œil sur les records de Suisse du 400 mètres et du 400 mètres haies toujours détenus par une certaine Anita Protti. 

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Roger Moore, le gentleman qui aimait la Suisse

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Keystone/DR
Un homme, un héros. Roger Moore, alias James Bond 007, à gauche à Saint-Moritz en 1981, assis sur le capot d’une Lotus Esprit Turbo, lors du tournage de «Rien que pour vos yeux». Pas cloche, Sir Roger aimait aussi le made in Switzerland.
Hommage

Celui qui incarna James Bond vivait six mois par an à Crans-Montana avec Kristina, la femme de sa vie. Il a rendu son dernier souffle à ses côtés, à l’hôpital de Sion. Jörg Romang a été son prof de ski pendant 20 ans à Crans. Il raconte sa vie chez nous et ses tout derniers instants.

Roger Moore avait en Suisse, à ses côtés depuis vingt ans, un ami, suisse, fidèle parmi les fidèles. Jörg Romang, 53 ans, était le prof de ski et le couteau suisse de James Bond à Crans-Montana. Mercredi dernier, le monde apprenait la disparition du gentleman comédien. Il s’est éteint aux côtés de sa femme et de celui qui était devenu, au fil des ans, son secrétaire, son homme de confiance et, en de très rares occasions, son garde du corps. Entre eux, tout a commencé en 1997 par un léger malentendu horaire. Il témoigne entre rire et larmes.

Une chute dans le vide

«Je rentrais d’Australie, Jimmy Rey, mon chef, m’a dit: «Tu vas t’occuper d’un VIP. Tu commences dès demain à 8 h 30.» Jörg Romang peu enthousiaste rechigne: «Nous sommes plus de 150 moniteurs, pourquoi moi?» A force d’insistance, son supérieur lui confie qu’il s’agit de Sir Roger Moore. Le jeune Jörg, skieur émérite, fort bien élevé, parle six langues, connaît le protocole et les bonnes manières. Il a déjà eu, entre autres clients, le groupe U2, Christopher «Superman» Reeve et le roi Fahd, et devrait faire merveille.

A 8 h 30 le lendemain, le mono est à l’heure à son rendez-vous dans le lobby de l’hôtel Crans Ambassador. A 9 h, rien. A 9 h 30, toujours personne. «On m’offre la presse du jour, des cafés en abondance. Je commençais à m’impatienter.» Il est 10 h 30. A la réception, les deux poings sur le comptoir, Jörg Romang balance au patron, Freddy Wiederseiner: «Roger Moore ou pas, je me casse!» Au même instant, il sent une présence derrière lui. «C’était magnétique. Je me suis retourné et là, j’ai vu Roger Moore, immense. J’en ai bégayé…» Avec sa voix grave pleine de bonté, son sourire charmeur, l’œil bleu, Moore fit en anglais: «Vous devez être Jörg. Je vois que vous avez du caractère.» Les deux hommes n’allaient plus se quitter. Jörg le complice a même eu droit à une mention amicale dans l’autobiographie de son patron parue en 2008, Amicalement vôtre. Il lui dédicaça un exemplaire avec malice: «Ne croyez surtout pas ce qui est écrit à la page 315.»

Jörg Romang fut baptisé «Jörganize». «Roger Moore avait un avocat, un responsable financier, des gens dédiés à des tâches précises, mais personne pour tout le reste. Plomberie, déco, réservation d’un restaurant et j’en passe.» On connaît tous les personnages de fiction incarnés par le Britannique pure menthe, l’homme beaucoup moins. Hypocondriaque assumé. «Crans, disait-il, est bien pourvue en pharmacies!» 

007 était le fils unique d’un policier et d’une caissière et il avait la phobie des armes. Les séquelles d’une blessure à la jambe survenue pendant l’enfance lorsqu’un gamin le toucha accidentellement. «Le mot gentleman a été créé pour lui, c’était un roi! Et, dans la réalité, un antihéros d’une maladresse légendaire.» Romang ne tarda pas à le vérifier.

«Notre première sortie à skis s’est déroulée sous un soleil radieux et une neige fraîche, tombée en abondance, nous avions pris le télésiège avec Kristina Tholstrup, son épouse. Roger Moore assis au bord, à gauche, avait les skis croisés et une fesse dehors.» 

L’invincible héros finit par glisser et tomba. «Une chute d’une hauteur de deux étages.» Jörg Romang vit sa vie basculer en même temps que le corps de son client: «J’ai tué Bond! L’histoire ne retiendra rien d’autre», se dit-il. Son épouse hurla si fort «Roger! Roger!» que le préposé à l’installation l’entendit et la stoppa. 

Smart, mais maladroit

«Aucun de mes clients ne m’avait fait un truc pareil avant lui. On a finalement rejoint Moore. Il n’avait pas un bleu. Il était tombé dans plus de 1,50 m de poudreuse. Je lui ai dit: «Alors là, bravo, bien joué! Vous avez réussi votre première cascade sans doublure.» Il m’a répondu: «Pas mal, non?» Que ce soit dans la série Ivanhoé en 1958, Le Saint, Amicalement vôtre puis dans les sept James Bond, Roger Moore n’a quasi jamais exécuté la moindre acrobatie. Cet élégant était un incorrigible gaffeur. Les assureurs lui interdisaient de skier entre les tournages de peur qu’il ne se blesse.

«La fois suivante, il a réussi à coincer sa chaussure de ski dans le rail d’une télécabine à Montana Cry d’Er. Son épouse et moi étions sortis en premier. Nous avons entendu une plainte: «Haaa!» Moore a réussi à dérégler l’installation. Il a bloqué notre cabine, alors que l’autre arrivait…» La collision en chaîne fut inévitable. «Sans chaussure de ski, il aurait eu le pied broyé. Il a fallu quatre jours pour remettre tout en état.»

Sir Roger Moore, anobli par la reine Elisabeth en 2003, une scène dont il gardait une photo souvenir dans le salon de son chalet baptisé Les Papillons au pied des pistes – Kristina les collectionnait sous toutes les formes – vivait un amour exclusif, hors du monde. «Lui et Madame étaient fusionnels. Ils ne se sont jamais quittés.» Elle lui a tenu la main jusqu’à la fin, sur son lit d’hôpital, mardi à Sion.

Au fil des ans, l’humour British de son illustre patron a déteint sur lui, mais là, en plein centre de Crans, il retient ses larmes, le cœur déchiré par la disparition de celui qui fut un ambassadeur cinq étoiles pour la station et tout le Valais. Aujourd’hui, Kristina Tholstrup fait face, avec courage. La perte de Roger Moore laisse un vide immense dans le quotidien de ses proches. Jörg Romang continue à s’occuper des tâches administratives et sert la famille de son mieux. Depuis l’annonce du décès, il effectue sa première sortie dans les rues de la station. Ceux qui le croisent lui présentent leurs condoléances comme s’il avait perdu l’un des siens. «Il y a un mois, l’état de santé de Roger Moore s’est dégradé d’un coup. Il n’est pas mort d’un cancer, comme l’a annoncé le communiqué officiel mercredi, mais de vieillesse. Il avait 89 ans.» Une photo privée, datant de décembre 2016, le montre tenant la une d’un magazine américain sur lequel on voit l’affiche de Ma vie de Courgette, le film d’animation du Valaisan Claude Barras. «J’ai voté pour lui aux oscars», révéla Moore, alors en parfaite santé.

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«Par où commencer?» se demande Roger Moore. En Suisse, il aimait le fendant, la viande séchée, l’émincé de veau à la zurichoise et le fromage, bien sûr. Chez lui, il cuisinait, entre autres, un excellent poulet au curry. Photo: DR

Le comédien eut la vie longue. Il échappa à une double pneumonie dans l’enfance. Il survécut à un cancer de la prostate, à un autre de la peau et portait un pacemaker. «A l’hôpital, Roger Moore m’a dit: «On a connu des jours meilleurs. J’irais bien faire une descente à ski.» Parfois, il lui arrivait de m’appeler «my son» (ndlr: mon fils)», se souvient Jörg Romang avec tendresse. «Il sera incinéré en Suisse. Ses cendres seront ensuite acheminées à Monaco.» La cérémonie se déroulera dans la stricte intimité même si, dit-on, le prince Albert souhaite marquer le coup.

Ambassadeur de l’Unicef

Roger Moore a eu trois enfants: une fille, Deborah, et deux fils, Geoffrey et Christian, avec sa femme précédente, la comédienne Luisa Mattioli, rencontrée sur un péplum. Ils vécurent à Gstaad. Mais c’est dans le sud de la France, à Saint-Paul-de-Vence, que Roger Moore fit la connaissance de Kristina «Kiki» Tholstrup, d’origine suédoise. Elle était la voisine directe de Roger Moore. «Lui possédait un court de tennis, elle une piscine. Les enfants de l’un et de l’autre jouaient entre eux.» Tout commença ainsi et leur mariage fut célébré en 2002. «Ils ont donné beaucoup de leur temps aux différentes œuvres caritatives, l’Unicef notamment», insiste Romang. Roger Moore, alias Le Saint, remerciait souvent son amie, la comédienne Audrey Hepburn, de l’avoir embarqué dans cette aventure dont il fut l’une des figures de proue. Il aimait à rappeler que l’Unicef n’était financée que par des dons privés. «Il aurait dû être présent à Crans à l’occasion de Cycling for Children, le 10 juin à Crans-Montana.» La station reconnaissante songe à baptiser une place «Roger Moore» ou, comme c’est le cas pour Freddie Mercury à Montreux, à lui ériger une statue. Le canton lui avait octroyé ainsi qu’à son épouse le fameux passeport valaisan comme marque de son amour du pays, en mars 2013.

«Un jour, le golf de Crans-sur-Sierre a tenu à le faire membre d’honneur du comité.» Grand fan de tennis et de ski, Roger Moore détestait le golf. «La meilleure façon de gâcher une belle balade», disait-il. Il a improvisé son discours: «Dans le golf, vous avez tous un handicap. Désormais, vous aurez, avec moi, un sérieux handicap!» Avec Sir Roger Moore, les bons mots fusaient. La Suisse était devenue sa seconde patrie. «Il y passait six mois par an. David Niven (ndlr: acteur britannique, décédé en 1983 en Suisse), autrefois basé à Château-d’Œx, lui fit découvrir notre pays. Ici, on leur fichait une paix royale.» Parmi ses amis, il y avait Curd Jürgens – le méchant de L’espion qui m’aimait – ou encore Frank Sinatra. Le chanteur lui offrit un magnifique manteau d’hiver blanc.

Patrouille suisse pour 007

Dans la station, Moore avait ses habitudes. Il aimait le Restaurant de la Plage, à La Moubra, remis l’an dernier par Jean-Paul Sprenger. «Il m’en a voulu! Il venait trente fois par saison, c’était mon meilleur client. Il commandait «de la viande des Grisons». Vous imaginez un peu l’offense pour un Valaisan. C’était devenu un rituel entre nous», se souvient le patron, amusé. Jörg Romang retirait le plat jusqu’à ce que Roger Moore le rebaptise de façon adéquate avec l’accent British: «viônde séchée». «Moore était aussi un véritable cordon-bleu, il cuisinait un délicieux poulet au curry et recevait volontiers dans son carnotset.» Il savait également dessiner et caricaturait son entourage sur les nappes en papier des bistrots. «Moi, je ressemble à Gollum du Seigneur des anneaux», rigole Romang.

Chacun avait pour l’acteur un mot amical qu’il rendait avec une exquise politesse. «Un jour, nous montions à la Plaine Morte. La télécabine de 36 places était truffée de pilotes de F/A-18, Suisses, Américains, Canadiens et Belges.» Le commandant des forces aériennes suisses s’avança vers Jörg Romang et glissa: «C’est Roger Moore? On va lui faire une surprise. Combien de temps nous reste-t-il avant d’atteindre le sommet?» Romang évalua la distance: «Six minutes.» Une fois à destination, à 3000 m, les militaires se mirent au garde à vous. «A ce moment précis, la Patrouille de Suisse passa au-dessus de nos têtes. Ils avaient réussi à calculer à la seconde près. Le chef d’escadron, jet sur le dos, a salué Moore.» L’homme aimait la Suisse. Elle le lui a bien rendu. Adieu gentleman!

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L'album-photo de Roger Moore en Suisse

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Dukas
L'acteur britannique Sir Roger Moore a tiré sa révérence, élégamment, sans faire de bruit. Il s'est endormi à l'hôpital de Sion. Il faut dire que l'ancien interprète de James Bond passait 6 mois par an à Crans-Montana, en Valais, sa deuxième maison. Souvenirs, souvenirs. Ici, Roger et Kristina Moore à la Nuit des Neiges, le 29 février 2004. Leur engagement caritatif était sans faille.
DR
Jörganize, l’ami fidèle. Prof de ski du couple Moore pendant vingt ans, le Suisse Jörg Romang – rebaptisé «Jörganize» – a été son homme de confiance. Pour leur première sortie à skis, l’acteur tomba du télésiège en marche. Même pas mal!
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Home swiss home. Roger Moore et Kristina, en 1998, chez eux au chalet Les Papillons, baptisé selon l’insecte fétiche de Madame.
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Jörg Romang a été le prof de ski de Sir Roger Moore pendant 20 ans à Crans. Il était sans le moindre doute le citoyen suisse le plus proche du comédien.
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Sir Roger Moore recevait ses amis dans le carnotset de son chalet. Ici avec le chanteur français Gilbert Bécaud, un habitué de la station, et Jörg Romang.
DR
Pas cloche. Roger Moore aimait le made in Switzerland. Et ne ratait jamais une occasion d’amuser la galerie.
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Coup de feu à Saillon. Lors de sa visite à la vigne à Farinet, la plus petite du monde, le 21 mars 1998, Roger Moore surmonta son aversion pour les armes et tira un coup de fusil, comme le veut le rituel final.
Keystone
Roger Moore, barbu, face au champion suisse de ski, Bernhard Russi, ici avec sa femme Michèle, le 28 mars 1979, à Gstaad.
Keystone
Le 26 décembre 1985, avec son ami le crooner Frank Sinatra, ils participent à un dîner en faveur des enfants réfugiés thaïlandais.
Dukas
Fashion Roger. L’homme était élégant en toutes circonstances. Ici en 1977, à Gstaad, dans le plus pur style tyrolien.
Dukas
Roger Moore et Tony Curtis, au bar de l’Olden, à Gstaad. Deux jours avant le décès de son complice de la série TV «Amicalement vôtre», le 29 septembre 2010, Moore reçut à Crans-Montana une photo dédicacée de sa part, comme un signe d’adieu.
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Dernière image: Bond vote Courgette. En décembre 2015, dans son chalet, Sir Roger Moore reçoit un magazine de cinéma américain. En une, le film du Suisse Claude Barras. «J’ai voté pour lui aux oscars», dit-il à propos de «Ma vie de Courgette».
Hommage
L'album-photo de Roger Moore en Suisse

Coucouche panier, carton, lavabo!

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Solange Moreira, La Chaux-de-Fonds
Vous avez un lavabo et un chat? Tôt ou tard, le deuxième s'installera dans le premier, comme Kalhesi qui attend son bain. De même pour les cartons, paniers et autres contenants: aucun tigre de salon digne de ce nom ne peut résister à l'envie de s'y installer, aussi inconfortable que cela puisse paraître.
Marianne Müller
Zorro - Retour à l'expéditeur!
Nathalie Pythoud, Estavennens
Sawa - Qu'il est confortable, ce panier à pain!
Christian Wurlod, Lausanne
Chéops - Ce soir, je sors en boîte.
Muriel Schaenzli et Elliot Valentin, Blonay
Plouf - Rien ne vaut une bonne douche!
Marie-Fr. Pont, Lausanne
Tigrou - Tip-top, le carton!
Monia et André Bourquenoud, Semsales
Moustique - Je crois que je suis bien caché, maman ne m'a pas vu.
Catherine L'Eplattenier, Marin-Epagnier
Tito - Colis postal!!
Bestialement vôtre
Coucouche panier, carton, lavabo!

Quelle sécurité pour les concerts en Suisse?

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Getty Images
Tous les festivals de musique organisés en Suisse ont un service de sécurité, notamment à l'entrée, pour filtrer et fouiller les festivaliers.
Terrorisme

L’attentat de Manchester relance la question de savoir comment se prémunir contre une éventuelle attaque lors des festivals d’été.

 

En visant un concert, l’attentat de Manchester ébranle toute l’Europe à la veille de la saison des grands rassemblements musicaux. En Suisse également, la question de la sécurité est sur toutes les lèvres. «C’est une priorité, bien sûr. Elle l’est d’autant plus depuis l’assaut du Bataclan en 2015, qui a été le véritable déclencheur pour tous les organisateurs», relève Pascal Viot, coordinateur de la sécurité du Paléo et fondateur de l’Institut suisse de sécurité urbaine et événementielle (ISSUE). Un important travail de réflexion a été mené, de nouvelles procédures ont été mises en place. L’année passée, après l’attentat de Nice, survenu à quelques jours du festival, des blocs de béton ont été posés pour éviter une attaque au véhicule-bélier. Cet été, pas moins de 1500 personnes, dont 300 policiers et agents de sécurité, seront mobilisées sur la plaine de l’Asse pour assurer la sécurité. Mais Pascal Viot ne veut pas en dire plus sur un dispositif qui doit rester secret, également pour ne pas créer un climat anxiogène.

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Un membre de la sécurité demande à une jeune femme d'ouvrir son sac pour vérifier qu'elle ne transporte rien de dangereux: une scène ordinaire de la vie festivalière, l'été en Suisse romande. Photo: Getty Images

Une attitude de retenue que partagent les autres festivals. Ainsi, le Montreux Jazz ne souhaite pas expliciter les mesures prises et renvoie à un bref communiqué, où on lit que la coordination est assurée par le «Centre d’engagement sous la conduite du commandant de police, en contact avec les plus hautes autorités du pays en cas de menaces». Reste que tous accentuent leur sécurité, comme l’Open Air de Saint-Gall qui scanne les sacs aux rayons X depuis 2016. Le SonntagsBlick révélait même dimanche qu’un grand festival suisse – sans le nommer – allait positionner un tireur d’élite sur un toit environnant. Une mesure extrême.

Contrairement à d’autres festivals, comme les Vieilles Charrues, en France, le Paléo n’impose cependant pas de fouilles systématiques à l’entrée. «Nous ne nous interdisons pas de procéder à des contrôles à l’entrée, comme nous le faisons d’ailleurs depuis plusieurs années. Mais les concentrer en un seul endroit, le plus prévisible par ailleurs, n’a qu’une efficacité relative, explique Pascal Viot. Nous préférons les effectuer sur tout le périmètre du festival, parking compris, en étroite collaboration avec les autorités compétentes.» Un choix que comprend Frédéric Esposito, directeur de l’Observatoire de la sécurité de l’Université de Genève: «Fixer à un moment donné et en un point des milliers de personnes peut poser problème, créant des attroupements, voire des mouvements de foule potentiellement dangereux.» Il en appelle à des contrôles en amont et en aval, avec l’aide de moyens technologiques (détecteurs de métaux, par exemple). «Dans leurs aéroports, les Israéliens travaillent notamment avec des physionomistes», souligne le politologue. Reste que pour le Genevois, le cas de Manchester pose des questions existentielles à nos sociétés: «L’attentat a eu lieu entre la sortie de la salle de concert et la gare, en pleine rue. Faudra-t-il en arriver à «bunkériser» l’espace public? Les citoyens en accepteront-ils les contraintes?»

Surtout, pour Frédéric Esposito, il est nécessaire de travailler davantage à la racine, d’anticiper, de donner plus de moyens à la police fédérale pour «en faire une sorte de FBI», améliorer le poids des villes – plus proches du terrain – dans le système sécuritaire, etc. Des mesures impératives. «Les terroristes ne s’attaquent plus à des pays ou à des villes symboles, mais à notre manière de vivre, en Occident. Notre pays est donc susceptible d’être visé», prévient-il, contredisant une certaine image idyllique d’un îlot de paix. Vendredi encore, une enquête de l’Académie militaire de l’EPFZ révélait que 93% des Suisses se sentent en sécurité ici.  

A noter que L'illustré n°22, actuellement disponible, revient plus directement sur l'attentat perpétré à Manchester

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Marina Rollman, la nouvelle griffe de l’humour

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François Wavre/Lundi13
Marina Rollman pose aux Bains des Pâquis, à Genève, où elle a ses habitudes avec ses amis. De là, on aperçoit le club nautique, où elle prenait des cours de voile, adolescente, avant de se lancer dans l'humour à plein temps.
Portrait

Révélée au public comme chroniqueuse, l’humoriste genevoise de 28 ans présentera son premier spectacle à Morges-sous-Rire. Rencontre avec une femme drôle et nature.

Marina Rollman débarque aux Bains des Pâquis telle une écolière. Robe marinière, ballerines aux pieds et sac sur le dos. «Je ne vous fais pas la bise, j’ai une triple coqueluche», plaisante d’emblée l’humoriste, diminuée par un méchant refroidissement. C’est elle qui a choisi le lieu de la rencontre. «J’aime bien cet endroit. On y voit de tout. Des familles, des babas, des bourgeois.» La Genevoise nous montre le club nautique, en face. Là où elle a fait ses premiers ronds dans l’eau, ado, à l’école de voile. «C’était génial. On se sent tellement libre sur un bateau. Ça me manque», lâche-t-elle, nostalgique.

Un air de Penélope Cruz

A 28 ans, elle n’a plus guère le temps de prendre le large. Chroniqueuse dans l’émission Les beaux parleurs, sur La Première, elle vient d’enchaîner deux week-ends au festival Maxi-Rires de Champéry, rode son premier spectacle, qu’elle présentera bientôt à Morges-sous-Rire, et se prépare à conquérir Paris cet été. «Je suis heureuse de retrouver la scène. J’adore les médias, mais c’est d’abord pour le live que j’ai choisi ce métier», explique celle qui fut aussi chroniqueuse sur Couleur 3 et dans l’émission C’était mieux avant?, sur RTS Un.

L’humoriste pose face à l’objectif comme une pro et s’étonne qu’on lui trouve un petit air de Penélope Cruz. «Personne ne me l’avait jamais faite, celle-là. Mais merci, je prends. Dans la famille, on a de grands yeux écartés et le nez haut. J’ai toujours trouvé que j’avais une tête un peu bizarre», s’amuse-t-elle. Née à Genève, élevée à Champel, l’humoriste franco-suisse possède des origines roumaines. Elle vit aujourd’hui au centre-ville avec Stéphane, son amoureux, producteur de musique. La séance photo terminée, elle commande un thé pour se réchauffer et se met à table. Marina Rollman parle aussi vite dans la vie que sur scène. Avec son air mutin et sa voix un peu enfantine, on lui donnerait (presque) le bon Dieu sans confession. Même quand elle taquine les garçons sur leur rapport obsessionnel aux centimètres de leur entrejambe ou qu’elle se moque des répliques absurdes qui fleurissent sur les sites de rencontres.

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En juillet, l’artiste jouera son spectacle une fois par semaine dans un petit théâtre parisien, Le Lieu. Photo : François Wavre/Lundi13

Au fait, Marina, peut-on vraiment rire de tout? «Oui, à partir du moment où c’est assumé. Après, je pense que les générations d’humoristes avant nous ont épuisé le quota de blagues marrantes sur les Noirs, les juifs ou les homos. Il est temps de passer à autre chose.» La Genevoise appartient à cette nouvelle garde du stand-up romand qui compte dans ses rangs Thomas Wiesel, Alexandre Kominek, Charles Nouveau. Elle aime bien répéter que si la discipline a émergé des banlieues françaises, «en Suisse, l’affaire est plutôt celle d’une bande de petits bourges bien rangés».

Rêves d’internat

Une clique de rigolos où les filles sont assez rares. Pourquoi? «Peut-être parce que cela ne fait pas si longtemps que les femmes osent vraiment prendre la parole et assumer haut et fort leurs idées. Et puis, être drôle, c’est encore dans l’inconscient une qualité réservée aux hommes.» L’humoriste l’a appris à ses dépens. «J’ai commencé à faire des blagues à mes potes en 5e année. J’avais 11 ans. Ça dérangeait déjà les garçons qu’une fille soit plus marrante qu’eux.» A l’école, la jeune Marina rigole un peu moins. «Au collège, je n’arrêtais pas de sécher les cours. A tel point que j’ai demandé à mes parents de m’envoyer en internat. J’imaginais la grande vie et les prairies anglaises à perte de vue. J’ai atterri à Champittet, près de Lausanne. L’angoisse.»

Gad Elmaleh a succombé

Elle obtient sa matu de justesse, met les voiles pour Paris et commence trois facultés sans jamais rien terminer. «En vérité, j’étais plutôt partie rejoindre des potes qu’étudier.» L’un d’entre eux la convainc de participer à un concours de stand-up. «Le fiasco total. Je n’ai fait rire personne.» Cet échec lui fait sérieusement repenser son avenir. De retour à Genève, elle se fait engager par des amis qui lancent un food truck de burgers. Avant, finalement, de se remettre à l’écriture. «J’étais déterminée à remonter sur scène ne serait-ce que cinq minutes pour ne pas rester sur mon échec cuisant. J’ai eu la chance de croiser Thomas Wiesel et les autres.» En 2014, elle est choisie par Gad Elmaleh pour assurer sa première partie à Paris et à New York et décroche le prix François Silvant l’année suivante. «En quelques mois, ça a décollé.» Depuis, plus rien n’arrête Marina. 

Marina Rollman sera à Morges-sous-Rire (Café-Théâtre) le 21 juin à 19 h.

Découvrez ci-dessous l'humoriste genevoise, sur "La Scène Comédie+ à Montreux", posant son regard drôle et acéré sur les banalités et les absurdités du quotidien:

 

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