Quantcast
Channel: L'illustré - Suisse Romande
Viewing all articles
Browse latest Browse all 1064

Nom de code: Opération Vulcain

$
0
0
Blaise Kormann
En deux jours, les équipes du col de la Croix ont capturé et marqué 4673 papillons. Au col de Cou, 32 kilomètres plus loin, 2438 ont été capturés. Cinq papillons marqués au premier col ont été retrouvés au second: un petit miracle.
Reportage

Chaque année, début octobre, des milliers de papillons vulcains traversent la Suisse pour migrer vers le Sud. Au col de la Croix, une équipe de scientifiques ont, pour la toute première fois dans le pays, marqué les insectes afin d’analyser leurs déplacements. Reportage.

De loin, on dirait un ballet. Arabesque, jeté, plié, battement, changement de pied. Mais le jeu de jambes est trop malhabile et les bras qui s’agitent, façon pales d’hélicoptère, trop gauches pour que le rendu soit gracieux. A l’effet comique de ce danseur de zumba alpine s’oppose le vol anarchique mais véloce et si léger du papillon chassé par cette ballerine d’un jour. L’insecte volette, à gauche, à droite, en haut, en bas, tente d’échapper à cette silhouette qui lui apparaît comme un prédateur menaçant. Coincé entre l’épuisette de l’humain et un grand filet, tendance badminton, le lépidoptère finira prisonnier des mailles, grâce à un coup de poignet rapide comme l’éclair, le geste enfin précis.

Bienvenue à l’Opération Vulcain. La mission de cet objectif à consonance militaire est d’attraper le maximum de Vanessa atalanta, le nom scientifique des papillons vulcains qui transitent par ce col de montagne en ce début d’octobre. En guise d’armes, les mercenaires du jour, chapeau de soleil ou casquette vissée sur le crâne, n’ont que filets et feutres de couleur. Avec ces derniers, ils vont indiquer des points de teintes distinctes, à même les ailes du papillon, le site, le jour et l’heure de sa capture. Le but? Etudier la rapidité de vol de l’insecte, ses distances parcourues et le trajet de sa route migratoire. En pleine période de migration, le vulcain  s’apprête à parcourir plusieurs milliers de kilomètres à travers l’Europe. Alors, pour mesurer la vitesse de déplacement des papillons, deux équipes ont synchronisé leurs montres. A 32 kilomètres du col de la Croix, entre Villars-sur-Ollon et les Diablerets, terrain de chasse des Romands, à vol d’oiseau, ou plutôt de papillon, au col de Cou, huit Alémaniques de l’Université de Berne tentent de capturer les insectes marqués par les Welsches.

Vaud autorise le permis de chasse

Michel Baudraz, 45 ans, ingénieur EPFL en génie rural et directeur de la Grande Cariçaie, est le général du jour, l’organisateur de cette mission scientifique. Au moment de donner les consignes de marquage, le voilà qui s’emballe un peu. «Le rose va là, tu notes le bleu, un point sur l’aile, dans la tache blanche!» «Je n’ai rien pigé», s’exclame, hilare et larguée, Anne Freitag, conservatrice du Musée de zoologie à Lausanne, qui va faire office de scribe toute la matinée. Il faut dire que l’expérience est une première et, pour les treize bénévoles de l’équipe, principalement des biologistes, l’enjeu important. «Cela fait deux ans que l’on prépare cette opération», raconte le responsable, qui détaille ses tests pour savoir ce qui tiendra sur les ailes du lépidoptère sans trop abîmer la fragile membrane ou se décoller à la première ondée.

Ce matin, les mercenaires de l’Opération Vulcain sont arrivés à l’heure où la rosée est encore humide sur l’herbe verte. Sur la crête du col, ils ont tendu d’immenses filets. «Le canton nous a accordé une autorisation: c’est presque un permis de chasse!» se marre Vincent Baudraz, 42 ans, géologue. Cet autre Baudraz, frère du premier, partage avec son frangin la passion des papillons depuis l’enfance.«Pour que le pâturage de l’Opération Vulcain soit libre au moment du marquage, on a demandé gentiment au paysan de virer ses vaches.» Une fois ces problèmes techniques réglés, l’équipe a dû attendre le créneau météo parfait pour lancer l’opération cette année. «L’an dernier, au moment de la migration des vulcains, il y avait une forte bise et il pleuvait. Les papillons volaient superhaut: impossible de les attraper.»

Une fenêtre météo parfaite

En 2016, soleil radieux et vent de face, voici les premiers insectes qui remontent, pile à la bonne hauteur, à 1 mètre au-dessus du flanc de la montagne. Leur vol est anarchique, à peine ralenti par les filets tendus. Arabesque, jeté, plié, battement, changement de pied, le ballet des humains commence. A chacun son épuisette et sa technique. La proie est coriace, l’environnement hostile. «Bêche cette motte, je t’en supplie, c’est la misère», s’exclame Alex, chasseur trébucheur. Les blagues fusent: «On dirait Intervilles avec le papillon en guise de vachette.» Bientôt les filets sont pleins. «Arrête de chasser et viens me filer un coup de main, lance Noémie, un lépidoptère coincé entre le pouce et l’index. Je suis débordée au marquage.» Un peu sonné, l’insecte relâché va se poser sur un brin d’herbe voisin. «Il va reprendre des forces au soleil», rassure un biologiste. Le vulcain vole le jour et se repose la nuit. Grandes de 5 à 6 centimètres, ses ailes noires sont décorées d’une bande rouge-orange et de taches blanches. Pour se ravitailler, le papillon se nourrit de nectar de fleurs ou du jus des fruits tombés. Les bénévoles, eux, épuisés par cette chasse sportive, croquent des mangues séchées ou s’envoient vite fait une ration de sucres lents: un tupperware de spaghettis froids, sauce tomate à l’ail...

«Il faut manger là, maintenant. Hier, on a fait une pause à midi, quelle erreur! C’était le pic de passage», explique, entre deux bouchées, Vincent Baudraz. Entre 11 et 13 heures, l’équipe va attraper 1808 papillons. Sans compter tous les malins, plus rapides, plus agiles et plus chanceux, qui passeront entre les mailles du filet.

Le fragile équilibre de l’effet papillon

Entre deux vagues de papillons, les membres de l’équipe, ornithologues en puissance, commentent à voix haute les oiseaux qui volent au-dessus de leurs têtes: «Oh, un pinson», «Regarde, toutes ces hirondelles!» «Tu as repéré des rapaces aujourd’hui?» C’est en baguant des oiseaux sur ce même col que l’idée a germé d’y étudier les nombreux vulcains qui franchissaient la montagne à cet endroit. Un groupe de marcheurs s’arrêtent, captivés par le spectacle de ces adultes sautillants. C’est l’occasion pour les bénévoles d’expliquer la démarche. A quoi peut bien servir cette expérience? Que peut-on apprendre de la vitesse de vol d’un papillon? La réponse de Michel Baudraz est quasi philosophique: «La biodiversité va mal en Suisse. Le pays est petit, très industrialisé, et les pressions économiques, celles de l’agriculture notamment, font que la moitié des espèces de papillons du pays sont considérées comme menacées. La préservation des espèces est un enjeu de société. Pour les générations futures, d’abord, afin qu’elles aient la chance de pouvoir les connaître, les observer. Enfin, pour l’équilibre de la planète. Or, pour préserver la nature, une espèce, il faut la connaître: d’où cette expérience scientifique.»

Au-dessus de l’herbe vole une nuée de syrphes, ces petites mouches qui ressemblent à des abeilles. Puis un papillon, ailes blanches immaculées: c’est une piéride du chou. Suivie d’une petite tortue. Enfin, un c-blanc, autrefois appelé robert-le-diable. Autant d’espèces dont les mystères restent à percer.

Découvrez ici les images de cette mission extraordinaire


La folle migration des vulcains

il41_reportagepapillons_mapok.jpg

1 Les vulcains observés ici sont nés en Scandinavie. 2 Fin août, les chenilles, devenues papillons, s’envolent à travers l’Europe, au rythme de près de 100 km par jour. 3 Ils volent jusqu’en Allemagne, en France, en Suisse, qu’ils traversent en septembre. En octobre, ils continuent direction le sud. 4 Ils passeront l’hiver cachés dans des recoins de forêts ou d’habitations, à l’abri du froid au sud de la France, en Italie ou en Espagne. Fin mars, ils vont se reproduire et pondre leur œufs sur de jeunes orties. Les vulcains adultes vivent huit à neuf mois. 5 Ce sont leurs bébés, devenus adultes, qui migreront dans l’autre sens, en direction des pays du Nord, pour passer l’été loin de la chaleur des pays méditerranéens.

Plus d’infos sur www.lepido.ch et dans le livre «Guide d’identification des papillons de jour de Suisse», Vincent et Michel Baudraz, 2016, 30 fr., vente en ligne sur https://cscf.abacuscity.ch

Flux: 


Viewing all articles
Browse latest Browse all 1064

Trending Articles