
Sous l’apparente douceur de la journaliste de 42 ans se cache une femme avec des doutes mais aussi un bon sens terrien qui lui vient de ses origines valaisannes. Son bonheur lui fait parfois un peu peur.
Impatiente et impulsive, dites-vous à votre propos. Que répondre à ceux qui vous voyaient plutôt calme et patiente?
Elisabeth Logean: J’ai des coups de colère (demandez à mes enfants!). Mais comme, en l’occurrence, je déteste me fâcher, du coup, après, je m’en veux beaucoup. En même temps, je n’aime pas le conflit, j’essaie toujours de l’éviter. A la télévision ou dans ma vie privée, je suis toujours à la recherche d’une certaine bienveillance.
Sur le plateau d’Infrarouge, ménager les ego des politiciens ne devait pas être facile. Vous en avez souffert?
Etre une femme a rendu les choses plus difficiles. Une femme qui coupe la parole, c’est beaucoup moins bien perçu que si c’est un homme. L’émission a confirmé ce que je savais déjà: l’inégalité entre hommes et femmes existe (sourire).
Vous avez appris autre chose sur vous-même durant les quatre ans où vous avez présenté cette émission?
Que j’étais capable de me mettre en danger. Vous savez, même si on a bien préparé son sujet, on ne sait jamais ce qui va arriver dans un direct. Je suis quelqu’un qui doute énormément, même si je n’en donne pas l’impression. Avant d’entrer sur le plateau, j’avais la boule à l’estomac, je dormais mal la nuit avant… Je suis fière d’avoir réussi à maîtriser cette angoisse. Et j’ai aussi découvert que j’avais du plaisir à présenter des débats!
Petite, il paraît que vous meniez un combat pour que votre frère participe aux tâches ménagères, est-ce vrai?
J’ai grandi en Valais, à Hérémence, je viens d’un milieu assez traditionnel où mon père ne cuisinait pas; tout ce qui était ménage et maison était réservé aux femmes, je trouvais totalement injuste que l’on me demande de faire des choses que l’on ne demandait pas à mon frère. Je me disputais souvent avec mes parents à ce propos. Finalement, nous sommes arrivés à une répartition plus équitable, j’étais contente.
Vos deux sœurs vous soutenaient dans cette croisade?
Oui, mais j’étais la plus combative. Mon père m’avait d’ailleurs dit un jour: «Tu ne trouveras jamais de mari!» C’est drôle, car mon mari cuisine énormément, il fait les courses et aide aux tâches ménagères. Non seulement j’ai trouvé un mari, mais en plus il participe!
Vous avez mis cet homme idéal en période d’essai avant de l’épouser?
Il n’y a pas d’homme idéal! (Rire.) Mais j’ai assez vite vu que ça marcherait!
Votre époux est médecin, quelle est sa plus grande qualité?
La générosité. Mais, attention, il détesterait que l’on parle de lui!
Vous coprésentez «Mise au point» sur la RTS, en faites-vous beaucoup, vous, des mises au point dans votre vie personnelle?
En permanence. Je suis toujours en train de réfléchir à ma vie mais je dois dire que dans mon existence les choses se sont faites assez naturellement, je n’ai jamais eu à me dire: là il faudrait changer ça!
Les fées se sont donc penchées longtemps sur votre berceau?
C’est vrai, la vie m’a plutôt souri jusqu’à présent, j’ai conscience d’être très chanceuse, mais peut-être que ça porte malheur de dire cela? (Sourire.) Je lutte pour ne pas vivre avec la peur de quelque chose qui pourrait arriver. Notamment à mes enfants. Parfois, je me dis: ce n’est pas normal, ça va trop bien! Même si, comme tout le monde, j’ai eu mon lot de déconvenues privées ou professionnelles.
Qu’est-ce qui est le plus difficile à vivre en 2016?
Mener de front toutes mes activités: journaliste, épouse, maman de trois enfants. Je n’ai pas vraiment fait de choix, car je pense que mes enfants ont compris que c’était important pour moi de travailler. L’autre jour, j’ai dit à mon fils: «Et si j’arrêtais de travailler?» «Oh non», a-t-il répondu. Il a conscience que c’est important pour mon équilibre!
Vous avez deux filles de 12 et 5 ans. Vous ne faites jamais de différence avec votre fils au niveau de l’éducation?
Aucune. Mon fils débarrasse la table comme ses sœurs.
Racontez-nous un souvenir d’enfance qui vous a marquée.
Les départs en vacances. Comme mon père avait une entreprise d’électricité, on restait plusieurs jours avec les bagages prêts en attendant qu’il ait tout bouclé et qu’il soit prêt. Il y avait toujours cette petite excitation; nous partions à l’aventure, direction la mer, sans aucune réservation. Il y a aussi la viande séchée qu’il faisait dans son grenier, les délicieuses merveilles de ma grand-mère, les grands rassemblements familiaux et les pique-niques qui n’en finissaient pas. J’ai eu une enfance heureuse; la semaine à Hérémence et, le week-end, on allait travailler les champs à Aproz, le village de ma mère. On avait des champs de fraises, mais la récolte tombait toujours à la fin de l’année scolaire. Ça, c’était moins drôle, j’aurais préféré aller à la piscine.
Voyait-on déjà se dessiner la future journaliste chez la petite Elisabeth?
Je viens d’un milieu assez simple, personne n’avait fait d’études dans ma famille, la question était plutôt de savoir si j’allais en faire ou pas. C’était plutôt l’envie de se battre pour en faire.
Vous avez dû vous battre, vraiment?
Non, mes parents étaient très ouverts, ils nous ont toujours soutenus, encouragés. Mon père s’était battu pour faire un apprentissage. C’était important pour moi de m’affirmer par rapport à cela. Mais je n’aurais jamais osé rêver devenir journaliste, même si je sentais qu’il y avait quelque chose qui me plaisait là-dedans. Je n’avais aucun modèle, je ne connaissais personne, cela me semblait inatteignable. L’idée, c’était juste de s’ouvrir au monde, regarder par-delà des montagnes.
Que reste-t-il chez vous de vos origines terriennes?
J’ai toujours été fière de mes origines, fière du bon sens de mes grands-parents que j’admirais, même si je ne suis plus du tout quelqu’un de terrien. Je ne fais plus de montagne, j’aime moyennement les week-ends à la ferme, mais j’ai gardé, je crois, un peu de ce bon sens paysan. C’est quelque chose que j’ai envie de transmettre à mes enfants. J’aime aller avec eux en Valais, qu’ils coupent du bois au chalet ou fassent les foins avec mon père.
A part ce bon sens, qu’aimeriez-vous encore leur transmettre?
La tolérance et la générosité. Reçues de mes parents. Mon père a accueilli, sans même demander à ma mère, un réfugié vietnamien qui est devenu comme un frère adoptif. Parfois, je me dis que je n’apprends peut-être pas suffisamment à mes enfants à se défendre, mais je n’ai pas envie de les mettre dans cette position-là. Si j’arrive déjà à en faire des enfants généreux et ouverts, c’est gagné!
«Tout tourne autour de ses enfants», ai-je lu à votre propos. Le premier sentiment qui vous a assaillie quand vous êtes devenue maman?
Ma fille aînée a failli mourir à sa naissance, donc j’ai eu une entrée dans la maternité un peu particulière; du coup, l’instinct maternel a tout de suite pris le dessus! Mais je m’étais demandé, bien sûr, comme bien d’autres, si j’allais ressentir ce fameux instinct maternel, si je saurais m’y prendre…
Quel est votre rapport à l’argent? Par le passé, vous disiez que dépenser plusieurs centaines de francs dans un restaurant gastronomique vous mettrait mal à l’aise…
Je viens d’une famille où un sou est un sou. J’ai baigné dans les récits de pauvreté liés aux enfances de mes parents. Certaines dépenses indécentes me choquent mais je me soigne, je suis déjà allée avec mon époux manger dans un gastro! (Rire.) Aujourd’hui, je culpabilise moins par rapport aux dépenses. Beaucoup moins même! J’ai en revanche souvent la crainte que mes enfants ne soient trop gâtés et je me surprends parfois à leur raconter l’enfance pauvre de mes parents, ce qui, enfant, m’agaçait profondément!
Plutôt que journaliste, pourquoi n’avez-vous pas choisi de devenir politicienne, pour agir sur le monde et en réduire les inégalités?
Je n’ai jamais pensé faire de la politique. J’ai fait mes années de collège alors que l’Europe était en pleine mutation, il y a eu la chute du mur, le non à l’Espace économique européen qui m’a beaucoup marquée. J’avais un prof d’histoire passionnant, qui a contribué à me sensibiliser à la chose publique. Quand je suis arrivée à l’université, à Genève, je manifestais contre tout: le nucléaire, le racisme, on était une équipe de copains et on manifestait! Mais, assez vite, je me suis plus intéressée à raconter des histoires plutôt que les vivre.
Vous adorez Gainsbourg, dont vous apprenez les chansons à vos enfants. Son côté subversif vous séduit?
Oui, peut-être parce que je ne le suis pas du tout.
Vous auriez aimé être plus rebelle?
Non. J’ai grandi dans un milieu catholique et conservateur mais avec beaucoup de liberté. Je devais aller à la messe le dimanche mais je faisais la fête le samedi soir. J’ai même participé à la première Gay Pride pour démontrer qu’il n’y avait pas que des gens rétrogrades en Valais. Mon père m’en a beaucoup voulu.
Quel rapport gardez-vous avec la religion catholique?
J’ai pris mes distances avec elle, je ne me suis pas mariée à l’église, ce que mes parents ont accepté, même si ce fut certainement dur pour eux, mais ils préféraient que l’on respecte nos convictions. Mais je ne renie pas tout, il me reste quelque chose de ces années-là, je me souviens d’avoir été en famille voir Jean-Paul II à Sion; pour nous, c’était une véritable idole! Je me pose beaucoup de questions et je crois qu’il me reste quelque chose de cette éducation. Petite, je lisais l’histoire d’un petit garçon qui parlait à son oranger. Pour moi, Dieu, c’est un peu ça, quelqu’un à qui on peut parler mais on ne sait pas s’il entend.
Qu’est-ce que vous aimeriez améliorer chez vous?
J’aimerais arriver à prendre plus de recul sur les choses. Etre plus zen. Mais que c’est difficile!