
Paraplégique après une terrible chute au Supercross de Genève, il y a neuf ans, l’ex-champion de motocross, qui aura 35 ans le 21 décembre, se livre à cœur ouvert: son handicap, ses amours, ses voyages.
Vous semblez hyperpositif et dynamique; c’est un masque?
Il n’y a pas de masque dans la paraplégie. Quand ta vie bascule en une seconde, tu deviens entier, sincère. Tu te demandes simplement si les autres vont t’accepter comme tu es. Pour moi, ça a été clair dès le départ: au lieu de me dire: «Je ne peux plus faire ceci et cela», je me suis demandé ce que je pouvais faire. Et je me suis rendu compte que je pouvais faire plein de choses. Je travaille, je conduis ma voiture, je voyage. Je suis autonome à 100%. Donc je suis de bonne humeur, je souris, je suis content qu’on se rencontre.
Au quotidien, vous oubliez votre handicap?
On ne peut pas l’oublier, parce que le système te le rappelle tout le temps. Tu vas quelque part, tu vas être face à des escaliers, tu ne vas pas trouver une place de parc, si tu trouves un travail on va dire: «Désolé, mais on ne peut pas vous prendre parce que nos locaux ne sont pas adaptés.» Mais moi, je n’ai pas de problème avec ma situation de handicap.
Vous devez faire des contrôles?
Non, je ne vais jamais à l’hostio, mais je dois prendre soin de mon corps. J’habite dans un appartement normal, au rez-de-chaussée. J’ai ma salle de bains adaptée. Je vis seul, je n’ai besoin de personne. Je fais mes courses, je sors mon chien. Mais je fais de la physio et de la muscul’ pour maintenir ma forme physique. Je travaille beaucoup avec Sylvain Millet. C’est un ami d’enfance qui s’occupe du club Sport Quest, à Plainpalais.
Vous vous sentez libre?
Oui, c’est superimportant. J’ai envie de faire plein de trucs, tout le temps! Je n’ai pas arrêté de voyager cette année! Je suis allé trois fois aux Etats-Unis et au Canada, pour voir des courses de moto. Il y a un mois, je suis allé quatre jours à Paris avec des potes. On avait loué un appartement au troisième étage, sans ascenseur. Mes potes ont dû me porter sur leur dos pour monter. J’ai la chance d’avoir des potes qui sont hypervolontaires. C’est des mecs réels et ils m’acceptent comme je suis.
Le handicap ne vous arrête pas?
Je suis un athlète. J’ai commencé la moto à 7 ans, je suis passé pro à 15 ans. Je me suis toujours entraîné pour être le meilleur, mais l’échec, dans la vie d’un athlète, c’est tous les jours. Tu te fais une compète, tu en prends plein la gueule, tu recommences l’entraînement le lundi, tu te fais redéfoncer le dimanche… (Rire.) Et même quand tu gagnes, tu te fais redéfoncer la semaine d’après, mais les moments où tu accomplis ce pourquoi tu te relèves tous les jours sont indescriptibles. Tu es juste habitué à recevoir des claques! Je dirais que ma vie est devenue «plus facile» maintenant.
Après l’accident, vous n’avez pas eu envie de vous flinguer?
C’est une pensée que j’ai eue tout de suite, mais de façon vague. L’accident a eu lieu vers 20 h 45, on m’a dit que je ne remarcherais plus vers minuit-1 heure, j’étais semi-conscient pendant six, sept jours et me suis réveillé au Centre suisse des paraplégiques, à Nottwil. Quand on te dit que tu ne pourras plus remarcher, tu te dis: «Si je ne peux plus remarcher, je ne peux plus refaire de la moto, donc je ne suis plus athlète. Alors, je vais faire quoi de ma vie?»
Vous aimez votre nouvelle vie?
Avant, j’avais la vie que j’avais choisie; après, j’ai recommencé mes études, j’ai fait un bachelor en management et communication marketing. Je me suis retrouvé sur les bancs de l’école. C’était chaud, parce que ce n’est pas la même vie. C’est autre chose, d’autres fréquentations, d’autres sujets de conversation. J’ai eu l’accident le 30 novembre 2007 et j’ai repris les cours à la fin 2008. Je travaille depuis au Service cantonal du sport, où je m’occupe de la communication et de différents events.
Vous avez trouvé un sens à votre accident?
Au début, il n’y avait pas de sens. Aujourd’hui, l’accident m’a apporté plein de choses. J’ai envie de dire que c’est une expérience. C’est une expérience hard, je ne suis pas en train de dire que c’est une expérience comme une autre. Je n’en suis pas là. Cet accident, je le vis tous les jours, je ne peux pas dire que ce n’était rien, mais c’est une expérience qui m’a fait grandir, qui m’a ouvert aux gens. Ma vie d’athlète me correspondait mieux, mais elle n’est pas plus ou moins intéressante que celle d’un musicien ou d’un médecin.
A quoi ressemble votre journée?
Je me lève hypertôt, vers 5 h 30. Là, je commence une espèce de rituel. Tu es dans ton lit, tu passes de ton lit à ta chaise, tu passes de ta chaise aux toilettes, tu passes des toilettes à ta chaise, tu passes de ta chaise à la douche, tu passes de ta douche à la chaise, tu te rhabilles dans la chaise, tu passes de la chaise à la voiture, tu démontes ta chaise, tu la mets dans ta voiture, tu remontes ta chaise pour ressortir… Tu as déjà fait dix transferts, c’est-à-dire dix fois où tu soulèves le poids de ton corps. C’est comme si tu faisais dix fois des tractions. C’est pour cela qu’il faut faire de la muscul’ pour le haut du corps. Le handicap, c’est un métier! (Rire.)
Et sur le plan psychique?
Je suis assez spirituel. Je médite presque tous les jours. Ça me permet d’être dans le moment présent.
Vous avez une copine?
Depuis l’accident, j’ai eu deux relations, une plus longue et l’autre plus courte. Mais en ce moment, je suis seul.
Vous vivez un chagrin d’amour?
On va dire que j’en sors… (Rire.) Je sors d’une relation un peu particulière, qui a duré un an et demi. C’était une relation superenrichissante. On s’est quittés il y a trois mois. Elle est musicienne, elle fait plusieurs styles de musique, assez trash. C’était très passionné, je dirais qu’on avait tous les deux une petite part de folie! (Rire.) Elle avait une part de folie, un peu différente de la mienne. C’était superenrichissant, très intense.
La rupture a été dure?
Chacun avait ses trucs, en fait, je sentais que ça n’allait plus. Mais disons que quand tu es entier, authentique, sincère, fidèle et loyal, comme je le suis, tu ne vis pas ça de manière légère. C’est dur, une rupture sentimentale. C’est dur, mais ça va.
Malgré le handicap, on peut faire l’amour normalement?
C’est une façon de faire l’amour qui est beaucoup plus cérébrale. Souvent, quand on parle avec les potes qui sont en situation de handicap, on se dit que ça aurait été cool d’avoir le corps qu’on avait avant et de faire l’amour comme on le fait maintenant. On est beaucoup plus attentif à l’autre et moins concentré sur son plaisir personnel. Du coup, tu as des relations physiques normales. Après, tout dépend de ce qu’on appelle normal, mais c’est supercool.
Vous voulez vous marier, avoir des enfants?
Oui, mais ce n’est pas ma priorité quand je me lève le matin. Le jour où je devrai rencontrer une femme, je la rencontrerai. Je ne suis pas à la recherche de la mère de mes enfants.
Vous faites confiance à la vie?
Je suis dans l’acceptation de tout! Même de la mort! Je ne vais pas sauter du cinquième étage, mais ce que je veux dire, c’est que si tu poursuis tes envies, tes souhaits, tes objectifs, tu auras forcément des obstacles sur ton chemin. Mon accident, je ne peux pas dire aujourd’hui qu’il a été négatif. Il est négatif dans le sens où j’ai dû arrêter ma carrière de manière brutale. Pour moi, ne plus pouvoir faire de moto, c’était un scandale. Mais maintenant, depuis neuf ans, j’ai une autre vie.
Ce n’est pas une injustice?
Non. J’ai pris ma moto, je suis allé faire une compète, je suis tombé. Le résultat, c’est que je suis en chaise roulante. C’est tout! C’est ma responsabilité, mes choix, mon handicap. Ça ne veut pas dire que c’est facile. Ça veut dire que je suis responsable de mes choix. J’ai beaucoup lu, ça m’a aidé à trouver du sens.
Quels livres vous ont marqué?
Le pouvoir du moment présent, d’Eckhart Tolle, que je trouve incroyable. Tu le lis une fois, deux fois, il te parle chaque fois autrement. Il y a aussi Le guerrier pacifique, de Dan Milman, qui est incroyable, La prophétie des Andes, de James Redfield. Il y a aussi, dans un autre genre, le livre de Mike Horn, Conquérant de l’impossible.
Vos tatouages sur les bras sont liés à la moto?
Non, au voyage. J’ai fait un tatouage sur le dos, il y a dix ans. C’est une espèce de troisième œil qui symbolise la méfiance. Quand je roulais à moto, mon maillot était coupé dans le dos et le mec qui était derrière moi, il voyait mon œil. J’ai un autre tatouage, il symbolise le voyage, l’Italie, la Suisse, la Californie, trois endroits auxquels je suis très attaché.
Vous êtes mieux en Californie qu’en Suisse?
La Suisse me manque quand je suis en Californie mais, en Californie, je me sens libre parce que tout est adapté. Je peux aller et venir comme je veux! Et puis, c’est le bassin de la moto! C’est le rêve américain pour le rider. J’adore arriver à Los Angeles. Je fais le plein de Starbucks, le plein de moto, le plein de sport et puis je rentre.
Et ce tatouage qui représente une ancre?
Je l’ai fait à Las Vegas, j’y suis allé exprès. L’ancre, ça veut dire le voyage. Etre ancré, en spiritualité, ça veut dire être connecté à la terre, être présent.
Le voyage est votre nouvelle passion?
C’est une forme d’ouverture, aller à la rencontre des autres, se tourner vers l’extérieur pour revenir à l’intérieur de soi. Je suis allé aussi au Japon l’année dernière, j’ai trouvé incroyable cette forme de respect des gens. Ils font tout pour que tu sois bien. Et puis, il y a le côté samouraï qui m’intéresse énormément. Il y a aussi les arts martiaux que j’aime beaucoup. Je suis allé voir une compétition de kyokushin avec Sacha Décosterd. Lui, c’est l’esprit guerrier. Moi, c’est plutôt l’esprit guerrier pacifique. C’est plutôt guerrier pour soi-même, pour éclairer peut-être les autres à un moment.
Vous avez essayé un exosquelette, qui permet aux paraplégiques de marcher?
Oui, j’ai essayé trois modèles, mais je m’en fous. Ça ne sert à rien. Avec ça, tu vas mettre deux heures pour aller acheter du pain à la boulangerie. Tu mets ce truc, tu as des cannes, t’avances une canne, t’avances une jambe… C’est très bien au début, mais j’en reviens toujours à la question de base: je veux aller d’un point A à un point B, le plus rapidement possible, de la manière la plus autonome possible. Si je prends ma chaise, je vais où je veux. Si je prends l’exosquelette, j’avance à deux à l’heure. J’adore être debout, c’est une impression fantastique, mais je n’ai pas que ça à foutre. Le plus important, c’est d’être au mieux physiquement pour être intégré socialement.
Le pire risque, c’est l’exclusion?
C’est le monstre risque, oui. Je suis positif, je suis autonome, mais il y a des gens qui s’en battent les couilles. Pour eux, tu es une personne handicapée, point barre! Donc tu n’es bon qu’à éplucher les patates. J’ai entendu des filles qui disaient: «Je ne sors pas avec un mec qui ne fait pas 1 m 80 ou qui n’a pas fait d’études universitaires.» Alors quand tu arrives avec ta chaise…
L’hiver est plus dur, avec un handicap?
Il y a de la neige, donc tu dois te réadapter, changer tes itinéraires. Je n’irai pas dans les Rues basses où il y a des pavés, mais au centre commercial de Balexert. En général, je me casse en hiver mais, là, j’ai envie de passer Noël avec mes parents. Depuis l’accident, notre relation est encore plus forte. La souffrance, ils l’ont aussi, autant que moi.
Vous vous demandez parfois où vous en serez dans vingt ans?
Je ne sais même pas où j’en serai demain! (Rire.) Même pas ce soir! J’espère que j’aurai une belle gueule… Pour un mec comme moi, vingt ans, c’est loin!