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Claude-Inga Barbey: «Enfant, je rêvais d'une vie normale»

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Didier Martenet
"La découverte de la foi m'a sauvé la peau", explique la comédienne.
Interview

Comédienne, humoriste, chroniqueuse, Claude-Inga Barbey, 56 ans, est aussi mère de quatre enfants, petits et grands, et la grand-mère comblée d’une petite-fille de 3 ans. L’âge qu’elle avait lorsqu’elle fut adoptée.

Claude-Inga Barbey s’est mise au travail à 7 heures malgré un violent mal de tête. Elle a rédigé en vain sa chronique pour Les beaux parleurs de dimanche matin sur La Première, l’invité a changé. L’après-midi, elle répétera deux spectacles, Christmas Pudding, autour de la mystérieuse disparition d’Agatha Christie, et puis Femme sauvée par un tableau, également en duo avec Doris Ittig. Périodiquement, la comédienne redevient Brigitte en partenariat avec Patrick Lapp. Et puis, mère attentive, elle élève seule le plus jeune de ses quatre enfants… «Mais il y a des jours où j’ai envie de foutre le camp parce que j’ai du mal à suivre. Etre drôle tout le temps, j’en ai plein le cul parfois.»

Comment êtes-vous devenue comédienne?
J’ai arrêté le collège à la mort de mon père, avant la maturité, et, à 17 ans, je suis entrée à l’Ecole supérieure d’art dramatique de Genève (ESAD), dont je me suis fait virer deux ans plus tard parce que je travaillais déjà trop à l’extérieur. J’avais cette passion.

La mort de votre père a-t-elle influencé votre choix?
Non, je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça. Mon père était pour moi un étranger que je n’avais pas le droit de voir. Je l’ai peut-être croisé quatre ou cinq fois, mais il y avait une interdiction de visite…

Pour quelle raison?
Mes parents étaient toxicomanes… C’était assez rare à l’époque (ndlr: Claude-Inga est née en 1961). J’ai dû être sevrée à ma naissance et prendre des médicaments pendant toute mon enfance. Et puis je leur ai été retirée. A l’âge de 3 ans, après une année d’orphelinat, j’ai été adoptée par les deux sœurs de ma mère. Elles avaient à l’époque 56 ou 57 ans, mon âge actuel.

Comment ressentez-vous ces événements aujourd’hui?
Je trouve que mes tantes ont été extrêmement courageuses de prendre en charge une petite fille de 3 ans, pas facile en plus. Aujourd’hui, ma petite-fille a cet âge, et quand je la ramène chez elle le soir, je suis contente, parce que j’en peux plus! Mes tantes étaient deux, mais elles travaillaient. Aujourd’hui, j’ai encore plus de reconnaissance pour ce qu’elles ont fait.

Quel souvenir gardez-vous de votre enfance?
Rétrospectivement… une enfance heureuse… Mais à l’époque, j’enviais ceux qui avaient une vie… normale. Chez nous, par exemple, on ne fêtait pas Noël, parce que mes tantes étaient athées, avec en plus une espèce de dureté calviniste. La période des Fêtes était toujours un peu difficile. On allait seulement écouter les coups de canon le 31 décembre à la Treille! Mais je leur dois d’être vivante, je leur dois ma culture, je leur dois mon honnêteté et un certain état d’esprit. Je leur dois tout, en fait.

Et votre mère?
Je ne l’avais jamais vue jusqu’au jour où, il y a un peu plus de deux ans, mon demi-frère et ma demi-sœur m’ont appelée pour me dire que notre mère allait mourir… J’ai quitté un tournage pour aller à l’hôpital. Dans ma bagnole, je me disais: «Elle va me demander pardon, cette chienne!» Et puis, quand je suis arrivée à l’hôpital, j’ai vu une personne entubée par tous les trous et là, je me suis demandé: «Pardon de quoi?» Toute ma haine est tombée d’un coup.

Et votre mère n’est pas décédée?
Non, et j’ai passé ces deux dernières années à m’occuper d’elle. J’ai commencé par lui couper les ongles des pieds et puis je l’ai emmenée chez le coiffeur. A la fin, je passais la voir tous les jours. Elle était dans une chaise roulante, vachement diminuée. Je ne sais même pas si elle a réalisé que c’était moi. Peut-être. Mais ces deux ans m’ont permis d’être en paix avec elle. La dernière chose qu’elle m’a dite, alors que j’allais partir après une longue visite à l’hôpital: «Tu ne vas pas me laisser seule? En fait, tu m’abandonnes, c’est vraiment salaud!» J’ai répondu: «Tu as raison, je vais rester encore un moment.» Voilà la leçon que j’ai apprise.

Enfant, que saviez-vous de vos parents?
Rien ou presque. C’était une époque pendant laquelle on n’expliquait pas… J’ai appris beaucoup plus tard, en lisant les dossiers de justice. Enfant, j’attendais que mon père et ma mère viennent me chercher. On me disait: «Oui, oui, ils vont venir.» J’ai attendu très, très longtemps. Ça, je sais faire. C’est aussi une arme, de savoir attendre. On peut tout transformer en force. Tout peut être utilisé en bien ou en mal, c’est un choix que l’on a comme être humain, le choix de l’implication ou de l’indifférence, le choix entre le bien et le mal, c’est la même chose. Par rapport à ma mère, je pouvais prendre ou ne pas prendre sa détresse… Ce n’était pas de la pitié ou de la miséricorde chrétienne. Peut-être le fait qu’on se ressemblait beaucoup, physiquement, peut-être un effet miroir. On a peut-être un lien, quand même, quand on vient d’un ventre… Je ne peux pas expliquer pourquoi mais ça a été merveilleux pour moi.

Votre conversion au catholicisme vous a-t-elle aidée?
Je me suis convertie à la foi… Le catholicisme, c’est un choix paresseux, par élimination. J’ai fréquenté les églises protestantes, que j’ai trouvées tristes et vides. Il n’y a pas de bougies, pas d’odeur, pas de statues, c’est sinistre. Chez les orthodoxes, on part pour des années et des années de catéchisme. Le bouddhisme, c’est quand même un peu new age, et on tombe souvent sur des cas un peu désespérés! L’église catholique, elle est en face de chez moi. J’y vais presque tous les jours, des fois juste cinq minutes pour discuter avec qui de droit. Aujourd’hui, ça fait totalement partie de ma vie.

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Parmi les objets qui ne la quittent pas: cette petite croix discrète mais essentielle. Photo: Didier Martenet

Vous croyez désormais au destin?
Regardez nos vies d’en haut, la dramaturgie est tellement bien foutue, Dieu est un romancier génial! Je pense qu’il y a des choses écrites mais, à chaque fois, on peut prendre le trottoir de gauche ou celui de droite. Et puis il y a des forces qui vous poussent à droite ou à gauche. Malheureusement, nos actes sont de plus en plus régis par la peur, et la peur nous fait faire des conneries, prendre le mauvais trottoir. Aujourd’hui, c’est un peu normal d’avoir peur. Il y a trois siècles aussi, on avait peur, mais on n’avait pas accès au monde entier. On avait à tout casser une catastrophe par année, maintenant, c’est une centaine par jour. De plus en plus de gens souffrent de peur anticipée. On n’arrive plus à vivre au jour le jour parce qu’on est constamment angoissé et on finit tous chez le psy.

Cette «apparition» est survenue à une époque où vous en aviez particulièrement besoin?
Oui, c’était au moment où mon mari est parti, une période très dure. Je pense que ça m’a sauvé la peau.

C’était votre second mariage?
Oui, le premier a duré dix-sept ans avec le père de mes grands enfants, et puis j’ai rencontré le père de Marcel, avec lequel j’ai vécu une passion et puis je me suis plantée. Il avait onze ans de moins que moi. Dans ce sens-là, c’est quand même vite la merde. Il n’y a pas beaucoup de couples qui tiennent le coup. Les Macron, on ne sait pas ce qu’il se passe derrière. Je ne leur laisse pas cinq ans avant qu’il ne se tire avec une secrétaire. Les mecs plus jeunes ont une ambition, le goût du pouvoir. Les romans sont pleins d’histoires comme ça.

Avez-vous aimé être une mère?
Oui, beaucoup! D’ailleurs, je ne sais faire à peu près que ça. J’avais 19 ans quand ma fille est née, et quand Marcel sera adulte j’aurai 60 ans. Je n’ai fait que ça, élever des enfants. Mais on sait pourquoi on est là, les problèmes existentiels sont résolus.

Rêvez-vous d’une nouvelle histoire d’amour?
Je ne l’exclus pas, si quelqu’un se présente dans ma vie. Mais il m’a fallu très longtemps pour recommencer à faire confiance. La rupture m’a bien démoli la gueule. Donc j’ai de la peine à nouer une relation. Je me demande: «Qu’est-ce qu’il me veut? Est-ce parce que je suis connue? Qu’est-ce qu’il attend de moi?» J’ai des prétendants, mais ça ne va jamais plus loin que des repas et des amitiés un peu troubles.

Vous, vous avez aussi écrit un livre sur votre malheur, «Les petits arrangements», que vous avez ensuite adapté sur scène…
Ce n’est pas mon meilleur livre. Il a été écrit dans la souffrance, mais à ce moment-là, écrire m’a aussi sauvé la peau. La rupture, c’était de nouveau un abandon. Dans la vie, les choses sont souvent cycliques, et tant qu’on n’a pas résolu un truc, il vous revient dans la gueule. Moi, je devais encore endurer cette rupture pour pouvoir enfin vivre sans peur de l’abandon. On a chacun nos choses à apprendre. C’est bien quand on y arrive avant de mourir, on peut partir en ayant moins peur de ce qui peut se passer après.

«Femme sauvée par un tableau» et «Christmas Pudding», les 17 et 18 novembre au Bilboquet à Fribourg, du 21 novembre au 2 décembre au Théâtre Saint-Gervais à Genève, du 6 au 10 décembre à la Grenette à Vevey, le 16 décembre à Romont.

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