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Patrick Fischer: «Je suis assez voyou et moqueur»

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Patrick Fischer avec ses enfants, Raphaël, Elisa et Juliette, en octobre 2015 à Paris.
Interview

Il se dit esthète, passionné de photographie et adepte du second degré. Rencontre avec le journaliste neuchâtelois de «TTC» à l’occasion des 10 ans de l’émission, célébrés le 30 octobre prochain.

Vous êtes régulièrement la cible de l’émission «26 minutes». Cela vous vexe-t-il?
Non. Au contraire, je le prends comme un honneur. Sincèrement. Je pense même que c’est le meilleur canal de rediffusion de TTC. D’autant plus que 26 minutes fait une bonne audience le samedi soir. Ils m’ont fait remarquer le tic que j’avais à prendre ma respiration comme si j’entrais en apnée (il sourit). Franchement, ils sont bienveillants et gentils. Je suis beaucoup plus moqueur et cynique qu’eux.

Vraiment? Ce n’est pourtant pas ce qui transparaît en premier quand on vous voit à la télévision…
Oui, j’ai beaucoup de mal à supporter ceux qui prennent tout au premier degré. Je suis assez voyou et moqueur. Demandez à ceux qui bossent avec moi. Enfin, non, ne leur demandez pas trop, en fait…

Qu’est-ce qui vous fait rire?
L’humour potache. L’équipe du Splendid, Desproges, Coluche. Un type comme Fabrice Luchini, aussi, parce qu’il est provocateur tout en étant brillant. Je ne supporte pas les bien-pensants. Ils me fatiguent. La plupart des humoristes ne me font pas rire, je les trouve tellement moralisateurs. Je n’aime pas qu’on me dise ce que je dois penser. Je me méfie des mouvements de masse; je suis farouchement libre dans ma tête.

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"Je ne supporte pas les bien-pensants", Patrick Fischer. Photo: Didier Martenet

Qu’est-ce qui vous a donné envie de pratiquer le métier de journaliste?
Le côté badaud de cette profession. J’aime être là où ça se passe. L’envie, aussi, de satisfaire une curiosité assez éclectique. Presque tout m’intéresse. Le mécanisme du 2e pilier comme une exposition de Damien Hirst. Journaliste, c’est un métier où l’on est extrêmement privilégié, qui permet de rencontrer les acteurs de ce monde, de décortiquer et de comprendre ses mécanismes, de rendre les choses simples et accessibles. J’avais aussi dans l’idée de pratiquer un métier axé sur les rencontres et les voyages. Je n’aurais pas supporté une profession sédentaire. Même si, aujourd’hui, je suis plus dans mon bureau que sur le terrain.

Qu'auriez-vous aimé faire d'autre?
Adolescent, je voulais devenir vétérinaire. J’ai renoncé après un stage d’été dans un cabinet biennois. Un jour, pendant une opération chirurgicale sur un chien, le vétérinaire m’a tendu le fil et l’aiguille et demandé de recoudre l’ouverture. Entre la chaleur du mois de juillet et la vue du sang, je suis tombé dans les pommes. Cela m’a convaincu de changer de voie. En quittant le gymnase, j’ai choisi les lettres à l’Université de Neuchâtel.

Vous animez «TTC» depuis ses débuts en 2007. Quel est le secret d’une telle fidélité?
J’aime ce qui dure, la pérennité des choses. Nous vivons dans un monde rythmé par un zapping permanent, une obsolescence débridée. Tout cela m’énerve. Je trouve scandaleux qu’avec les connaissances techniques actuelles on ne fabrique pas de téléphone qui dure dix ans, sous prétexte qu’il faut pouvoir en vendre de nouveaux chaque année. Nous sommes tous piégés par cette frénésie. J’aime les repères. Cela me rassure. Par nature, je suis donc engagé dans quelque chose de long.

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Plutôt réfractaire aux nouvelles technologies, le journaliste est resté fidèle à son agenda papier. Photo: Didier Martenet

Depuis toutes ces années, vous n’avez d’ailleurs jamais quitté Neuchâtel. Quel lien entretenez-vous avec votre ville?
Au départ, j’y suis surtout resté pour la proximité avec mes deux aînés, qui y vivaient avec leur mère. Aujourd’hui, c’est davantage par attachement sentimental. J’ai un chouette appartement avec vue sur le lac, les Alpes, la collégiale. J’ai un peu de mal à le lâcher. Ce n’est pas très rationnel ni très logique. Je devrais plutôt habiter à Genève. Mais je me sens plus Neuchâtelois que Genevois.

C’est-à-dire?
Les Neuchâtelois possèdent une certaine humilité que les Genevois n’ont pas toujours. Et puis je suis un homme des montagnes. J’ai un peu ce sale caractère des gens du haut. Je suis né à Bienne mais j’ai grandi au Locle.

Après dix ans de «TTC», quel regard portez-vous sur le rapport des Suisses à l’argent?
C’est peut-être l’un des derniers malaises de la société helvétique. J’ai l’impression que les gens parlent plus volontiers de leur vie sexuelle que de leur fiche de paie. A l’inverse des Etats-Unis, où les riches n’ont aucun complexe à afficher ce qu’ils valent. Ici, on est un peu pudique sur le sujet, assez protestant.

Vous-même, alors, vous acceptez d’en parler et de nous dire si vous gagnez bien votre vie?
Je ne me plains pas de mon salaire. Je gagne un peu moins qu’un prof de gymnase. C’est correct et cela me suffit, mais il n’y a rien d’excessif.

Etes-vous un dépensier?
J’ai un rapport totalement décomplexé à l’argent. J’ai souvent dit que j’étais un peu fourmi pour pouvoir être cigale à d’autres moments. Mais je suis quelqu’un d’assez raisonnable. Je n’ai jamais été du genre à me mettre dans une situation périlleuse, parce que j’ai trois enfants qu’il a fallu accompagner. Je suis prévoyant mais en aucun cas protestant.

Quel genre de père êtes-vous?
N’ayant pas eu mes enfants à mes côtés au quotidien, j’ai développé un côté très papa poule qui doit les énerver prodigieusement. J’aimerais qu’ils soient tout le temps là, j’ai besoin de les couver alors qu’ils sont adultes. Mes deux aînés fêteront leurs 26 et 24 ans. Elisa vient de passer son master en psychologie, Raphaël est en dernière année de master à l’EPFL en ingénierie mécanique. Juliette, ma fille cadette, a eu 18 ans et vient de réussir sa maturité fédérale. Je trouve que nous avons une très belle relation. Ce sont mes meilleurs copains. Je suis très attaché à eux et à nos souvenirs. Nous avons notamment beaucoup voyagé tous les quatre ensemble.

Et vous, quel est votre tout premier souvenir d’enfant?
La visite du père Noël. Nous habitions à Genève, où mon père terminait ses études de médecine. Ma mère travaillait comme laborantine. J’avais 3 ou 4 ans et je me rongeais les ongles. Quand le père Noël a sonné à la porte, il a brandi son fouet et m’a dit: «Je sais que tu te ronges les ongles!» Cela m’a traumatisé. J’ai filé me réfugier sous mon lit. J’étais terrorisé mais ça a marché: j’ai cessé cette mauvaise habitude du jour au lendemain.

Etiez-vous bon élève?
Ça va. Je n’ai pas aimé l’école. J’ai adoré l’école enfantine et l’université, mais pas du tout les années entre deux. J’ai détesté l’encadrement, le formatage de la scolarité obligatoire. Je n’en ai pas l’air, mais j’ai un petit côté rebelle.

Il paraît que vous êtes un passionné de photographie. C’est vrai?
Oui. J’aurais adoré avoir un don pour la musique, mais j’ai arrêté le piano parce que je n’y arrivais pas. Je le regrette encore aujourd’hui. J’aime ce qui est beau, l’esthétisme. La photo permet de rendre la réalité un peu plus belle qu’elle ne l’est.

Comment avez-vous commencé?
A l’école secondaire, pendant des cours d’option. J’ai tout de suite croché. Je me suis acheté du matériel avec mes premiers salaires de jobs d’étudiant. Aujourd’hui, j’ai toujours ma chambre noire et il m’arrive de développer quelques films. Et je m’astreins à réaliser une photo par jour. Un peu comme un journal de bord. J’avais déjà tenté l’expérience en 2010 et j’ai recommencé cette année. Je garde ces images pour moi, j’en fais un album personnel. Rien d’autre.

Qu’aimez-vous photographier?
Tout y passe: les arbres, la nature, les scènes de rue, les portraits. J’aime les gens. C’est aussi pour cela que je ne me sens pas en phase avec l’évolution du monde. Je pense que la gadgétisation de notre société, la course à la technologie ne sont pas toujours là pour nous soulager. On passe son temps à s’énerver sur des machines qui ne fonctionnent pas, qui ne sont pas synchronisées. Il y a une forme d’asservissement, c’est chronophage. C’est comme les réseaux sociaux. Je ne suis inscrit sur aucun d’entre eux. Je suis contre cette dématérialisation de tout ce qui nous entoure.

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