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L'incroyable évasion d'un tueur à gages de la mafia kosovare

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La Liberté
C’est en nouant les draps de son lit que le fugitif a réussi à descendre le mur d’enceinte de la prison dans la nuit du 1er au 2 septembre, comme dans un film !
Enquête

Comment Bashkim L., l’un des assassins de Frasses, considéré comme l’un des détenus les plus dangereux du canton de Fribourg, a-t-il réussi à s’échapper de la prison centrale? Retour sur une histoire insensée.

Il est passé 2 heures du matin, dans cette nuit du vendredi 1er au samedi 2 septembre. En basse-ville de Fribourg, la prison centrale semble endormie quand, soudain, une ombre se jette dans le vide pour atterrir sur l’avant-toit en barbelés du mur d’enceinte. Longue barbe, tout de noir vêtu, l’homme descend en rappel les 4 m 50 qui le séparent du sol à l’aide d’une corde de fortune confectionnée avec des draps noués. Un complice – peut-être plusieurs – l’attend en bas avec un véhicule, qui disparaît rapidement dans l’obscurité… L’évasion est rocambolesque, digne «des bandes dessinées de Lucky Luke», peut-on lire dans le quotidien fribourgeois La Liberté. Pourtant le profil du fugitif, Bashkim L., prête moins à sourire que celui des impayables Dalton, plus bêtes que méchants. Le Kosovar de 35 ans était l’un des détenus les plus dangereux du canton, condamné à la réclusion à vie pour avoir participé à l’assassinat d’un homme en 2013, dans le village broyard de Frasses. La victime, Selim E., avait alors été abattue d’une quinzaine de balles, une exécution sur fond de vendetta à laquelle se livrent deux clans kosovars depuis la fin de la guerre. Dans cette saga meurtrière, où se mêlent trafiquants de drogue et anciens soldats de l’Armée de libération du Kosovo, l’UÇK, Bashkim L. tient le rôle de tueur à gages pour le compte du puissant clan K., dont le parrain, le «narco boss» Naser K., a été placé par l’administration Obama sur la liste noire des criminels les plus dangereux de la planète.

Un clan qui a visiblement décidé de faire «sortir» son porte-flingue. Il est aujourd’hui certain que Bashkim L. a bénéficié d’une aide extérieure. En prison, il a pu utiliser un téléphone portable, avant de se le faire confisquer. Le malfrat a également pu obtenir l’outillage nécessaire lui permettant de venir à bout de la fenêtre blindée, doublée de barreaux, de sa cellule. Selon nos informations, l’homme les aurait sciés – l’opération lui aurait pris plusieurs heures – à l’aide d’un fil diamanté; un ustensile que l’on ne trouve pas dans n’importe quelle boîte à outils. «Cela fait plusieurs mois que je sais que la famille K. allait faire libérer l’assassin de Selim; au pays, ses membres s’en vantaient au mois d’avril déjà», relève le frère de la victime de Frasses, joint par téléphone. Ce Kosovar, qui vit caché de peur des représailles, assure avoir prévenu les autorités fribourgeoises d’une éventuelle évasion, affirmations que contestent vigoureusement ces dernières.

Caméras de surveillance

Cette spectaculaire évasion pose néanmoins une série de questions. Dans sa fuite, Bashkim L. a ainsi été filmé par les caméras de surveillance de la prison, mais aucun gardien ne se trouvait derrière les écrans à ce moment-là. Surtout, le temps que sa disparition soit constatée, le détenu avait certainement déjà passé la frontière. «Une enquête interne a été ouverte pour définir d’éventuels manquements ou des failles dans notre système», concède Didier Page, secrétaire général adjoint de la Direction de la sécurité et de la justice (DSJ) du canton de Fribourg. Il assure cependant que la prison centrale est «très sécurisée». Pour preuve, la dernière évasion a eu lieu il y a douze ans, en juillet 2005, lorsqu’un détenu moldave de 26 ans avait réussi à percer le mur extérieur de sa cellule avec un pied de chaise.

Le seul établissement disponible

Didier Page ne se voile néanmoins pas la face. La prison centrale, qui ne possède pas de quartier de haute sécurité, n’était pas le lieu le plus adéquat pour un tel criminel. Mais le parcours carcéral de Bashkim L., depuis son arrestation le 20 août 2013 à son domicile de Zollikofen (BE), s’est révélé un véritable casse-tête. «Il ne pouvait pas être incarcéré dans l’autre prison fribourgeoise de Bellechasse, son complice dans l’assassinat de Frasses y étant incarcéré, explique Didier Page. Les risques de collusion auraient été trop grands. Nous avons essayé de le placer dans un autre établissement, mais cela n’a pas été possible.» Une détention à Lenzbourg a dû être interrompue en novembre 2016, après quelques mois seulement, car la maison d’arrêt argovienne n’avait plus de place pour lui. Fribourg a également déposé une demande aux Etablissements pénitentiaires de la plaine de l’Orbe (EPO) qui a été rejetée, car le canton de Vaud n’y accepte que des prisonniers dont le jugement est entré en force. Et, malgré le faisceau de preuves contre lui, notamment la présence de son ADN sur les lieux, Bashkim L. avait fait recours de sa condamnation (elle est survenue le 29 janvier 2016), jurant que ce n’était pas lui qui avait appuyé sur la gâchette.

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L’ancien couvent des Augustins transformé en prison par décret cantonal en mars 1850 est situé en plein cœur d’un quartier résidentiel de la basse-ville de Fribourg. Le visage définitif de l’établissement que l’on connaît aujourd’hui résulte de la construction des quartiers cellulaires en 1893. Modernisé en 1979 et 1984, il peut accueillir 100 détenus. Photo: Blaise Kormann

Au printemps de cette année, à deux semaines de l’audience d’appel, Bashkim L. et son complice provoquent même un petit coup de théâtre, promettant d’importantes révélations, dont la cachette de l’une des armes utilisées. Fait inhabituel, l’affaire est alors renvoyée à la case Ministère public, où un complément d’enquête est ordonné. «Les révélations tant attendues, qui mettent opportunément en cause une tierce personne morte entre-temps ou évoquent finalement une arme qui aurait été jetée au fond de la Sarine, donc introuvable, ne permettent guère de remettre sérieusement en cause le jugement de première instance», assure Stefan Disch, l’avocat de la sœur de Selim E., la victime de Frasses. Bashkim L., se rendant compte qu’il ne parviendrait probablement pas à faire réduire sa peine, a-t-il finalement choisi de prendre la clé des champs? C’est une hypothèse. En tout cas, «cette évasion est extrêmement difficile à vivre pour les proches de la victime», témoigne Stefan Disch.

Vers une radicalisation?

Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à penser que Bashkim L. a quitté le territoire helvétique et se cache à l’étranger. «Son signalement a été diffusé au niveau international», note Martial Pugin, porte-parole de la police fribourgeoise. Le frère de Selim E. a, lui, une petite idée de l’endroit où l’évadé aurait trouvé refuge, «en Bosnie, où il a des réseaux». En prison, Bashkim L. s’est laissé pousser la barbe et respectait avec assiduité la Salat, les cinq prières quotidiennes. Selon nos informations, il se serait même surnommé «le djihadiste». Un profil qui, au final, fait nettement moins rire que celui des frères Dalton.

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