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Léonard Gianadda: "La Russie a changé ma vie"

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Blaise Kormann/Jean-Pierre Wiswald
Août 1957, à dr.. Déambulant sur la place Rouge, le jeune photoreporter Léonard Gianadda est surpris par un copain photographe lausannois, Jean-Pierre Wiswald. A g. 60 ans plus tard, même lieu, même prestance, même attitude.
Reportage

Ce sont ses clichés, pris à Moscou en 1957 à l’occasion du Festival mondial de la jeunesse, que le Musée des arts décoratifs de Moscou a choisi d’exposer pour commémorer les 60 ans de l’événement. Une reconnaissance qui a bouleversé l’ancien photoreporter valaisan 
lors du vernissage. Séquence émotion.

«Il n’y a rien de plus touchant qu’un homme qui pleure», dit le poète. Mais quand l’homme en question a 82 ans, qu’il culmine à près de 2 mètres et semble plus solide qu’un mur de briques, l’émotion est encore plus vive. A la seconde même où il a pénétré dans la salle au style baroque du Musée des arts décoratifs de Moscou, dépendance du Musée Pouchkine, où ses photos sont exposées jusqu’au 2 octobre, Léonard Gianadda a fondu en larmes. «Soixante ans! Soixante ans! C’est formidable, hein?» a-t-il bredouillé entre deux sanglots, le bouquet de fleurs que la directrice de la mythique institution venait de lui offrir à la main.

«Quand l’homme exprime sa joie, il arrive que les larmes parlent pour sa voix», poursuit le poème. C’est exactement le sentiment qui a traversé le Martignerain, faux dur touché pour de vrai par ce décor d’images qu’il a lui-même façonné. Car, peu le savent, l’entrepreneur qui a bâti sa fortune dans l’immobilier a commencé sa vie active par une carrière de photoreporter. De 1952 à 1957, il a enchaîné les voyages, vendant ses reportages à L’illustré, à Pour Tous, à Radio TV Je vois tout ou encore à L’Echo illustré. «A ce moment-là, un ingénieur gagnait 650 francs par mois. Moi j’arrivais à 1000 francs avec la photo», se remémore-t-il fièrement. Alors, quand l’URSS organise le 6e Festival mondial de la jeunesse, en août 1957, il saute sur l’occasion. «Aller trois semaines voir ce qui se passait derrière le rideau de fer, nourri et logé pour 300 francs, je n’allais tout de même pas manquer ça, non?» lance-t-il, en se défendant de toute sympathie politique. «J’y suis allé sans états d’âme, ni préjugés. De la propagande, il y en avait des deux côtés.» Accrédité par L’illustré, le jeune Léonard, 22 ans, sillonnera la capitale russe presque jour et nuit, son Leica 24x36 et son Rolleiflex 6x6 couleur en bandoulière, pour ce qui sera son dernier et rocambolesque reportage.


Sportivnaïa (en haut) est l’une des 203 stations que compte le métro de Moscou, 12 lignes, 339 km de voies. Elle dessert le stade Lénine, cœur des compétitions du festival en 1957, aujourd’hui rebaptisé stade Loujniki ou stade olympique. Dans ses notes de l’époque, Léonard Gianadda écrit: «Le métro nous frappe par son luxe trop ostentatoire.» Marbre, lustres de verre, mosaïque s’amoncellent souvent dans les stations avec un manque de goût évident. Soixante ans plus tard, les lieux n’ont pratiquement pas changé. Photos : Léonard Gianadda/Blaise Korman

Une expo à succès

Ce n’est pas la première fois, tant s’en faut, que la Russie lui rend hommage. De Moscou à Khabarovsk, en passant par Novossibirsk et Saint-Pétersbourg, ses 120 clichés (sur 1200 réalisés), ont été étrennés dans 17 hauts lieux culturels du pays. Toujours avec le même succès. «Le public russe est avide de témoignages d’une époque où les photos ne circulaient pas à la vitesse du débit internet», commente Jean-Henry Papilloud, directeur de la Médiathèque du Valais, où les originaux sont conservés. En 2010, l’expo a même eu l’honneur de la «maison mère», le Musée Pouchkine, qui est à la Russie ce que le Musée d’Orsay est à la France.

Mais, pour Léonard Gianadda, ce dix-septième rendez-vous a une saveur particulière. Parallèlement aux 100 ans de la révolution d’octobre, prétexte à ces retrouvailles, le pays commémore les 60 ans du «Festival». «Retrouver après tout ce temps des personnes qui ont organisé cette grande rencontre internationale (ndlr: 131 nations y ont participé), a quelque chose de magique», confie-t-il, la voix brisée. C’est le cas d’Irina Antonova, 95 ans, directrice du Musée Pouchkine de 1961 à 2013, et de Valentin Rodionov, son homologue de la galerie Tretiakov, tous deux présents au vernissage, le 14 août dernier. C’est par eux que tout est arrivé.


Aussi taquin qu’en 1957, l’ancien reporter (à dr.) a chipé quelques instants la casquette d’un agent des forces de l’ordre. «Le Festival de la jeunesse était placé sous le signe du dégel du régime soviétique. Pour la première fois depuis bien longtemps, Moscou a fait la fête. Trois semaines durant, la ville a baigné dans une sorte de folle euphorie. (…) On sentait un besoin de se libérer (...). Avec d’autres participants, nous en avons un peu profité.» Photos: Léonard Gianadda/Blaise Kormann

Au début des années 2000, les deux institutions signent un partenariat qui se transformera vite en relation d’amitié avec la Fondation Pierre Gianadda et son fondateur. Des toiles de Chagall et d’autres grands impressionnistes font le voyage de Moscou à Martigny alors que des œuvres de Modigliani empruntent le chemin inverse. Le musée valaisan apporte également son soutien à la galerie Tretiakov pour les expositions Toulouse-Lautrec, Rodin ou encore Claudel.

Décoré par 
Vladimir Poutine

Une intense collaboration qui atteint son apogée en 2009, lorsque le Musée Pouchkine présente une partie de ses collections au coude du Rhône, via l’exposition De Courbet à Picasso. «C’est en me rendant à Martigny que j’ai appris que Léonard avait été photoreporter dans sa jeunesse», raconte la fougueuse nonagénaire, qui découvre à cette occasion les fameuses images de 1957. «Ces documents m’ont plu par leur authenticité et par l’humanité qui s’en dégage», décrit-elle. Quelques mois plus tard, elle leur offrira une vitrine de premier ordre dans son musée moscovite. «La boucle est bouclée», dira ce jour-là Léonard Gianadda, décoré de l’Ordre de l’amitié trois ans auparavant par le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, sur décret du président Vladimir Poutine en personne. «Le premier talent de M. Gianadda est d’avoir su capter l’âme russe et de la restituer à travers ses images», relèvera Patric Franzen, le chargé de mission de l’ambassade de Suisse dépêché à l’événement.

Toujours devant

Après tant d’honneurs, le mécène octodurien ne pensait pas refaire aussi souvent le voyage de l’Est. Seulement voilà, les liens tissés tout au long de ces années l’attirent irrésistiblement vers le plus vaste pays de la planète. «C’est mon trente-cinquième ou trente-sixième voyage, je crois. La Russie a changé ma vie. Et pas seulement parce que l’épisode de 1957 a donné une autre orientation à ma carrière professionnelle, mais aussi parce que c’est là-bas que j’ai noué les amitiés les plus fortes et les plus sincères tant sur le plan privé que dans le cadre des activités de la fondation. J’y ai trouvé une chaleur humaine que peu de gens ont la chance de connaître», assure-t-il, encore étreint par l’émotion.


Le 14 août dernier, Léonard Gianadda ne peut contenir son émotion en découvrant ses images exposées au Musée des arts décoratifs de Moscou, dépendance du Musée Pouchkine : «C’était il y a soixante ans, c’est formidable, non?» A la boutonnière, il porte la médaille de l’Ordre de l’amitié, décernée sur décret du président Poutine. En haut, la photo de 1957, sur laquelle on devine une chaleur toute relative. «Je me souviens de ce groupe d’hommes, mi-surpris, mi-méfiants, venus au stade sans doute sous la contrainte et sur les pattes arrière face aux objectifs des étrangers», raconte Léonard Gianadda. Photos: Léonard Gianadda/Blaise Kormann

Grâce à une santé de fer, celui qui se déplace désormais en jet privé accompagné de sa médecin personnelle, ne se lasse pas d’arpenter les sites qu’il a découverts jadis avec la candeur et la curiosité de ses 22 ans. Place Rouge, métro, Kremlin, stade Lénine où s’est tenu le grand rassemblement du festival, et bien d’autres encore. Toujours au pas de charge et toujours en tête du groupe. «En 57, le voyage avait duré cinq jours. Aujourd’hui, je quitte mon bureau de Martigny à 14 heures et à 18 heures je suis à Moscou», se délecte-t-il. Si, comme le dit avec humour Irina Antonova, «l’art conserve», l’histoire d’amour entre Léonard Gianadda et la Russie n’est donc pas près de s’éteindre...

Cet article est à découvrir dans son intégralité dans L'illustré n°35, actuellement disponible

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