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Profession: grands-parents à plein temps

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Olivier Voigelsang
Dans le monde d'aujourd'hui, les grands-parents sont souvent sollicités à plein temps.
Société

Jours de garde, horaires fixes, activités, consignes, déplacements, emplois du temps à aménager: le quotidien des grands-parents ressemble de plus en plus à un cahier des charges essentiel et professionnel. Quel est leur rôle? Comment se perçoivent-ils?

«On leur apprend des choses, eux nous aident à rester jeunes»

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Madeleine et Jeannot, 67 et 70 ans, avec Matteo, 2 ans et demi, et les frères Tristan et Raphaël, 10 et 12 ans, à Corban (JU).

«Quand ils étaient plus petits, je gardais Tristan et Raphaël deux jours et demi par semaine, vu qu’ils habitent à côté. Maintenant, ils sont grands, c’est un peu moins souvent. Mais on a repris du service avec Matteo. Et puis nos deux petites-filles, Amandine et Clémence, qui habitent en Valais, on les garde à la carte. Leurs parents sont confiseurs, c’est à la demande et pendant les vacances aussi.» Madeleine et Jeannot pourraient professionnaliser leur baby-sitting. Leur bible? Un agenda papier, où demandes de garde et programmes noircissent les pages. Troisième enfant d’une fratrie de neuf, Madeleine a «les petiots dans le sang». Dans la grande maison, où ils ont élevé leurs deux filles et leur fils, les petits-enfants ont leur chambre. Il y a aussi les lapins, avec lesquels on joue mais qu’on finit par manger, le jardin et son toboggan, la pelouse où faire du foot. «J’emmène les enfants en forêt, cueillir des fleurs et des plantes pour faire des tisanes avec.» L’amour inconditionnel de Madeleine et Jeannot n’a pas de prix. «Les filles nous donnent un petit quelque chose en échange, parfois des bons, ou des cadeaux, mais on le fait parce qu’on a le temps, et surtout l’envie.» Leur seule crainte: «S’il arrivait quelque chose, ce serait affreux. C’est une grosse responsabilité, ces petits. Mais les parents nous font confiance.» «On tisse ces liens avec eux, on leur apprend des choses et eux nous aident à rester jeunes, se réjouissent-ils. La ligne de conduite avec eux, ce sont les parents qui nous la dictent. Je ne fais jamais de remarques, ils ont leur mode de vie. Nous, on ne les éduque pas, juste, parfois, on serre un peu la vis. Mais on ne dit pas non au fagot de branches de chocolat à 11 heures. Les gâter, c’est notre prérogative.»

«On garde notre avis pour nous, on ne veut pas de conflit»

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Mäggi et Jacques Schriber, 62 et 67 ans, avec Eva, Alyssa et Dario, 11, 16 et 9 ans, à Saubraz (VD).

«Aujourd’hui, les parents ont moins de temps, ils sont plus indépendants, sortent plus, chacun de leur côté, analyse Jacques. Les mères voient leurs copines, les couples partent plus souvent. Et tout le monde travaille, dans un monde de l’emploi plus violent. Rendre service à mes enfants, moi qui ai vécu les meilleures années, c’était normal.» «Au début, se souvient le couple, on ne voulait faire que les exceptions, ne pas être tenus de garder les enfants de façon régulière. Mais les horaires de notre fille et de notre gendre, qui vivent à Gimel, juste à côté, en ont décidé autrement. Du coup, on les garde deux jours par semaine, et on a beaucoup de plaisir. Ça nous fait cravacher un peu! On fait le taxi, on joue aux cartes, on prépare les repas.» Mais Mäggi et Jacques, «Grossi et Grossvater», comme les appellent leurs six petits-enfants, disent quand ils ne sont pas disponibles et ne se sentent pas le moins du monde coupables quand ils partent en vacances. «On a le beau rôle! Pour les règles de vie, on fait comme on veut, on est chez nous. On ne critique jamais les parents, on garde notre avis pour nous, on ne veut pas de conflit. Et puis les enfants sont super, sages et très bien élevés. Ils nous tiennent au jus. On discute beaucoup, c’est précieux.» Pendant un temps, Mäggi et Jacques gardaient les trois Vaudois presque tous les jours. Pour ceux qui habitent à Genève, c’est un dépannage sporadique. Depuis un an, Alyssa a commencé le gymnase. Elle n’appelle son grand-père que lorsque le bus tarde à venir et ne goûte les frites maison de Mäggi que lors des vacances. Les deux plus jeunes ont des copains, des loisirs, l’école. «Forcément, on les voit moins. Ça va faire drôle. Un nid vide une deuxième fois.»

«Je n’aimerais pas avoir l’étiquette de grand-papa gâteau»

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Jean-Paul Bloque, 66 ans avec Quentin et Julie, 8 et 4 ans, à Moutier (BE).

Jean-Paul prête ses cheveux à Julie qui joue à la coiffeuse, ses doigts agiles à Quentin pour construire des cages à lapin. Il prête aussi son jeu de jambes pour des matchs de foot. Il tond la pelouse, range le garage, coache les devoirs, part en balade, fait du vélo. Jean-Paul prête surtout son sens de l’organisation, son enthousiasme et son énergie à ses deux filles, Anne, la maman de Quentin et Julie, et Christelle, qui a elle-même trois enfants, Emma, Flavie et Illan. La grand-maman, elle, travaille encore. Elle assure le soir et les week-ends. «Anne me dit ses jours et je viens chez eux, à la maison, explique le grand-père. Je garde les enfants un ou deux matins par semaine, et parfois au coup par coup, pour dépanner. Même chose pour Christelle. C’est dans ma nature, s’excuse-t-il presque. Je suis à 200%, et je me suis toujours engagé pour tout le monde. Aider mes filles, c’était une évidence. En plus j’aime les gosses. J’ai moins de facilité avec les vieux.» Il concède s’être moins investi, faute de temps, et parfois de patience, avec ses propres enfants. «Aujourd’hui, je suis à la retraite, j’ai plus de liberté. Je n’ai jamais donné mes enfants à garder à mes parents mais c’était une autre époque, les femmes pouvaient adapter leurs horaires en fonction des enfants. Aujourd’hui, tout le monde travaille pour pouvoir s’en sortir, c’est obligé.» Alors Jean-Paul s’adapte et comble les trous entre nounou et école. «L’expérience m’a appris à être moins sévère, plus souple. Mais je n’aimerais pas avoir l’étiquette de grand-papa gâteau. Je mets un cadre. J’élève la voix une fois, mais pas deux. Je joue à ce qu’ils veulent mais j’aime bien leur montrer la nature ou comment utiliser leur potentiel.» La seule chose que Jean-Paul ne fait pas, c’est la cuisine. «Je suis nul, mais je sais réchauffer les plats.»

«On se sent indispensables»

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Jacqueline et Jean-Laurent Montvert, 68 et 63 ans, avec Loïc et Mélissa, 5 ans et demi et 3 ans, Boussens (VD).

Jacqueline et Jean-Laurent, dits Mamou et Papou, ont proposé «une mission de garde par semaine» à leurs deux fils, question d’égalité. Depuis que le petit Loïc, bientôt 6 ans, a commencé l’école, un jour par semaine, ses grands-parents quittent leur domicile pour passer la journée à Boulens, où vivent leur aîné et sa famille. «Nous nous levons avant 6 heures, plus tôt que lorsque nous travaillions encore, remarque, narquois, Jean-Laurent. On assure la relève, avant l’école.» Les parents travaillent beaucoup, avec des horaires irréguliers, de nuit parfois. «On se sent indispensables au puzzle du quotidien familial. C’est une contrainte économique pour les parents: la société ne prévoit pas grand-chose pour les besoins des familles.» Pourtant, ces grands-parents investis – «en hiver, on chope tous les rhumes, on jongle entre les virus en évitant de contaminer les enfants des uns avec les miasmes des autres» – ne céderaient leur place pour rien au monde: «On n’aurait jamais idée de se défausser. On n’est obligés de rien, mais on a un sens de la loyauté. Et puis, sans cela, on les verrait moins.»

Alors, pour que le système fonctionne, Jacqueline et Jean-Laurent posent leur vacances, «comme on le ferait avec un employeur». Parce qu’ils rêvent d’un lien riche, fort et durable avec leurs petits-enfants – «on aime imaginer qu’une fois grands, ils sortiront sur Lausanne et viendront dormir à la maison» – le couple a demandé à pouvoir les avoir pour des moments exceptionnels, hors des jours attribués. «Mais notre fils et notre belle-fille nous ont fait comprendre que ces moments, trop rares, leur étaient réservés. On comprend bien sûr, mais on regrette un peu.» Les grands-parents ont parfois la sensation d’être au cœur des générations, entre parents âgés, enfants qu’ils faut dépanner et petits-enfants dont il faut s’occuper. «On est beaucoup dans l’utilitaire avec Loïc et Mélissa: on gère le départ à l’école, les repas, les sacs, comme le feraient des parents, analyse le grand-papa. Des fois on s’interroge: est-ce qu’on est des grands-parents ou des substituts de parents? Mais ensuite, quand les petits crient «papa» et que mes fils rappliquent, je me dis «tiens, ça ne m’est plus destiné». C’est très émouvant de les voir être de bons pères.»

«Ne pas le garder, ce serait passer à côté de quelque chose»

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Chantal Bapst, 53 ans, avec Nathan, presque 2 ans, à La Roche (FR).

Chantal, jeune grand-maman dynamique, cumule deux emplois, l’un à la cafétéria d’un EMS, et l’autre, quelques heures de coiffure, un 60% bien rempli. Son fait d’armes? Elle a obtenu d’avoir congé tous les jeudis, pour se lever à 5 h 45, rouler quarante minutes et aller chercher son «rayon de soleil», l’adorable Nathan, chez son fils et sa belle-fille qui vivent à Payerne. Retour à La Roche, dans la campagne gruérienne. Dans le jardin il y a un bac à sable, des vaches dans le champ voisin et des promenades à faire. Chantal, mère de trois fils de 30, 28 et 26 ans, dont le cadet vit toujours à la maison, est veuve depuis quatre ans. «La mort soudaine de mon mari a été un immense choc. Alors quand mon fils et ma belle-fille m’ont demandé si je pouvais m’occuper de Nathan, je ne savais pas si j’arriverais à tout gérer: la maison, le travail et ma maman, qui a des problèmes de santé.» Aujourd’hui, elle a installé une barrière sécurisée en haut de l’escalier et profite de Nathan chaque semaine. «Il est ma partie de rire, ma récréation. Son père vient le chercher le soir à la maison et il reste souper. Chaque semaine, je construis un peu plus une relation, un lien avec mon petit-fils, et aussi avec mon fils, que je vois être père.» Dans l’entourage de Chantal, certaines de ses amies l’ont prévenue du surmenage ou de l’investissement que la garde de Nathan et de son petit frère, encore bébé, pourrait constituer. «Je leur ai répondu que le bonheur que cela apporte n’a pas de prix. Je n’ai pas la sensation de devoir les élever comme je l’ai fait pour mes fils. Je crée des souvenirs, c’est plus léger, ça amène de la vie dans mon quotidien. Si je ne les voyais que de temps en temps, j’aurais la sensation de passer à côté de quelque chose.»

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