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Elections vaudoises: l’alliance féminine de gauche l’emporte

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Sedrik Nemeth
Drôles de dames. Aux abords de la cathédrale, Nathalie, une jeune femme, se précipite pour faire un selfie avec les trois conseillères d’Etat de gauche, Nuria Gorrite, élue au premier tour, Cesla Amarelle et Béatrice Métraux (de g. à dr.).
Reportage

Au terme d’une campagne à l’agressivité rarement vue en terre vaudoise, la gauche a maintenu sa majorité au Conseil d’Etat, en faisant élire Béatrice Métraux et Cesla Amarelle. L’illustré a plongé au cœur d’une journée électorale sous haute tension.

 

Sur une parcelle accrochée aux pentes du Suchet, un tracteur aligne les allers-retours. Au volant, Jacques Nicolet s’affaire à ratisser le fourrage, avant que son fils vienne le charger. A quelques jours du second tour de l’élection au Conseil d’Etat, le candidat UDC consacre quelques heures à son domaine agricole, à Lignerolle. Il en profite. La vue sur la plaine de l’Orbe est splendide, avec en ligne de mire Yverdon, la rive sud du lac de Neuchâtel et, plus loin, la chaîne des Alpes. «Cela me fait un bien fou; je me ressource», raconte l’agriculteur-politicien. Travailler la terre lui permet de prendre un peu de recul avec ce scrutin décisif. L’homme a sa chance. Il y croit, tout en restant conscient qu’une victoire sera compliquée. «Cela reste une élection. On ne joue pas sa vie», relativise-t-il enfin, le bon sens en bandoulière.

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Les deux font la paire. L’écologiste Béatrice Métraux et la socialiste Cesla Amarelle ont mené une campagne main dans la main. Dimanche soir, elles fêtaient leur élection entourées de leurs proches au café-restaurant du Bleu Lézard. Photo: Sedrik Nemeth

Pour Jacques Nicolet, cet après-midi aux champs représente surtout un moment de calme bienvenu au milieu de la frénésie d’une campagne électorale à nulle autre pareille au pays de Gilles. Le premier tour avait, comme attendu, été plan-plan, avec son lot de débats à fleurets mouchetés, aboutissant à la confortable réélection de cinq sortants emmenés par le duo Pierre-Yves Maillard et Pascal Broulis, chantres du compromis à la vaudoise. Un Parlement à droite, un exécutif à gauche, la formule semblait devoir être reconduite sans sourciller avec l’élection au second tour de l’écologiste Béatrice Métraux et de la socialiste Cesla Amarelle. C’était compter sans l’arrivée de la vert’libérale Isabelle Chevalley, déboulant comme un chien dans un jeu de quilles et dynamitant les lignes de front. Menant trois semaines de campagne à la hussarde, pugnace, elle s’en prenait d’entrée à Cesla Amarelle, qu’elle traitait de «communiste». Le ton était donné.

«La carpe et le lapin»

Surprise, bousculée, vexée aussi, la gauche s’est aussitôt braquée, attaquant l’union «contre nature» entre Isabelle Chevalley et l’UDC Jacques Nicolet, une alliance soutenue par la puissante machine électorale du PLR. La formule du «mariage de la carpe et du lapin» sera martelée à l’envi par le camp rose-vert. Mais de pages Facebook aux courriers des lecteurs dans la presse traditionnelle, les débats vont virer à la foire d’empoigne, avec un déferlement d’attaques personnelles, laissant un goût saumâtre. A gauche, le doute a fini par s’insinuer… «Mathématiquement, si son électorat se mobilise, la droite peut rafler les deux sièges», relevait même, à deux jours du scrutin, Stéphane Montangero, président d’un Parti socialiste vaudois sous haute tension et qui décrétait la mobilisation générale.

Dimanche matin, jour de l’élection, une surprise semble toujours plausible. Comme pour l’anticiper, les médias défilent à Saint-George, au cœur du Parc Jura vaudois, chez Isabelle Chevalley. Entourée de ses cinq chats, elle se montre radieuse. «Je n’ai rien à perdre», lance-t-elle. Joueuse, elle a tenté un coup de poker. Elle sait qu’elle peut perdre. Son colistier, lui, a réuni sa garde rapprochée au secrétariat général de l’UDC, au cœur de Lausanne. Les visages sont fermés, concentrés sur les premiers résultats. Il est 11 h 30. Jacques Nicolet arrive en tête dans de nombreuses petites communes. Il cartonne même dans le Pays-d’Enhaut. Mais l’écart ne semble pas suffisant. «Il me faudrait au minimum 6000 voix d’avance avant que les résultats des villes ne tombent», analyse le Nord-Vaudois. Il en a 4000 à ce moment-là.

La droite se réunira ensuite dès midi au XIIIe Siècle. Dans les caves de l’emblématique bar-club de la Cité, l’ambiance n’est pourtant pas à la fête. La conseillère d’Etat PLR Jacqueline de Quattro résume le sentiment général: «Ça va être très dur.» Isabelle Chevalley est décrochée et Jacques Nicolet est en ballottage plutôt défavorable. A 13 h 10, un militant UDC ne peut s’empêcher de lâcher un soupir. Le résultat de la première ville, Vevey, vient de s’afficher sur les écrans: la gauche est de très loin en tête. La messe est dite. Suivront Yverdon, Morges, Nyon… et surtout Lausanne, véritable coup d’assommoir. Cesla Amarelle y devance Jacques Nicolet de près de 7000 voix! Un gouffre. Le secrétaire général de l’UDC, Kevin Grangier, ne peut que constater les dégâts et se déclarer «attristé» pour la campagne vaudoise qui ne fait plus le poids face aux centres urbains.

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La victoire semblait «à portée de main», selon les mots de Jacques Nicolet. Mais le manque de mobilisation de son électorat sera fatal à la droite. Au stamm installé au bar-club Le XIIIe Siècle, le candidat UDC pose néanmoins avec la conseillère d’Etat Jacqueline de Quattro pour un selfie. Photo: Sedrik Nemeth

Chez les militants de l’alliance rose-verte, au contraire, l’heure est à l’euphorie. A 14 h, ils retrouvent leurs candidats au pied de la cathédrale. Les embrassades succèdent aux cris de joie. Reconduire du même coup dans un exécutif cantonal une majorité de gauche et une majorité de femmes est historique. Même l’expérimenté Pierre-Yves Maillard ne peut cacher son émotion. Ce succès symbolise pour lui la confirmation de sa politique d’ouverture et de compromis menée depuis cinq ans. «J’avais des doutes. Aujourd’hui, ils sont dissipés», confirme-t-il. «Les électeurs ont plébiscité le miracle vaudois», s’enflamme de son côté l’économiste socialiste Samuel Bendahan, reconnaissable grâce à son éternel pull rouge. Pour la petite histoire, c’est lui, en tant que premier «vient-ensuite», qui remplacera Cesla Amarelle au Conseil national.

Véritable ruche

Le joyeux cortège remonte ensuite les rues de la Cité jusqu’au nouveau bâtiment du Parlement vaudois, où attendent télévisions et radios, transformant la salle des pas perdus en une véritable ruche. Les résultats définitifs sont projetés au mur. Sont élues la verte Béatrice Métraux (49,96%) et la socialiste Cesla Amarelle (43,88%). Elles devancent l’UDC Jacques Nicolet (39,71%), la vert’libérale Isabelle Chevalley (38,01%), puis les deux «petits» candidats Guillaume «Toto» Morand (9,7%), du Parti de rien, et la PDC Sylvie Villa (6,39%). Bien que féroces, ces trois dernières semaines de campagne ne semblent pas avoir fait bouger les lignes, les électeurs vaudois ayant confirmé leur vote du premier tour. A l’heure des premières analyses, une évidence s’impose. Contrairement à la droite visiblement démobilisée, et en particulier l’électorat PLR qui n’avait plus de candidats en lice, la gauche a su faire preuve d’une impressionnante capacité de mobilisation, ainsi que d’une discipline de vote de fer.

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Moment solennel entre tous, la photo du gouvernement officialise de fait le résultat de l’élection. De g. à dr.: Nuria Gorrite, Béatrice Métraux, Jacqueline de Quattro, Pascal Broulis, Pierre-Yves Maillard, Philippe Leuba et Cesla Amarelle. Photo: Sedrik Nemeth

Sur les plateaux, la nouvelle conseillère d’Etat, Cesla Amarelle, 43 ans, reste la plus demandée. Elle enchaîne les interviews, jusqu’à ce que le chancelier Vincent Grandjean vienne la chercher. Il est l’heure de la traditionnelle photo officielle du gouvernement vaudois, qui sera réalisée sur le toit du bâtiment. «C’est vraiment à ce moment que j’ai réalisé que j’étais élue», confiera plus tard la socialiste. Après encore un dernier débat en direct à la radio romande, elle pourra enfin rejoindre les siens au café-restaurant du Bleu Lézard pour fêter ce succès. Il y a sa famille, ses amis, mais aussi de nombreuses figures de la gauche vaudoise. C’est l’ambiance des grands soirs. Chaque discours est ponctué de longs applaudissements. «Ce soir, je tiens ma revanche», glisse l’écologiste Luc Recordon à Cesla Amarelle, faisant référence à sa non-réélection au Conseil des Etats. Dans le coin de la salle, discrète, Yvette Jaggi immortalise les scènes de joie à l’aide de son téléphone portable. A 76 ans, l’ancienne syndique de Lausanne et éternelle militante est allée tracter tous les jours dans les quartiers de sa ville.

Carrière entre parenthèses

La nuit sera courte pour Cesla Amarelle. Le lendemain matin, elle s’offre une pause dans un café de la place Pestalozzi, à Yverdon, avant de filer en train à Neuchâtel. A 11 h 30, cette professeure d’université doit donner un cours de droit constitutionnel. Une carrière académique qu’elle devra mettre entre parenthèses. Cette élection, c’est pour cette mère de deux filles, née en Uruguay, l’aboutissement d’une candidature préparée de longue date et de huit mois et vingt jours – elle a tenu un décompte précis – d’une campagne harassante. Très tendue durant les dernières semaines, la nouvelle conseillère d’Etat se dit aujourd’hui sereine. Fatiguée, mais sereine.

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