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Un Suisse dans l'arène des gladiateurs

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Sarah Jaquemet
A Genève, Volkan Oezdemir a affronté Mohamed Amidi en octobre 2012. Un match gagné par TKO (KO technique), décidé par l’arbitre. Il est notamment interdit en MMA de frapper sur la nuque ou la colonne vertébrale.
Arts martiaux

Le Fribourgeois Volkan Oezdemir, installé à Miami, a décroché sa place parmi l’élite mondiale en MMA. Mal connu, ce sport est souvent mal compris. Eclairage. 

Les deux colosses ont terminé le combat le souffle court. Lessivés par quinze minutes d’efforts. Dans la nuit du 4 février au Toyota Center de Houston (Texas), le Fribourgeois Volkan Oezdemir, 27 ans, affrontait l’Américain Ovince Saint Preux, 33 ans, fils d’immigrés haïtiens, sixième mondial dans la catégorie des lourds-légers. 
Ce match de MMA, acronyme de mixt martial arts (arts martiaux mixtes), était primordial pour le challenger helvétique adoubé par l’UFC (Ultimate Fighting Championship). L’entité américaine, numéro un mondial dans l’organisation de cette discipline, a été vendue 4 milliards de dollars l’an dernier au géant hollywoodien WME-IMG actif dans le cinéma, la musique et le sport. Le Suisse, premier combattant du pays à se hisser à ce niveau, vient de signer une victoire. Entré sur le ring au son du rappeur Booba, il a attendu le décompte final victorieux par décision des arbitres avant de brandir le drapeau rouge à croix blanche et de répondre, le visage tuméfié, aux questions du speaker dans la cage octogonale. Bienvenue dans l’arène des gladiateurs, au cœur d’un sport-spectacle au succès grandissant et à la réputation sulfureuse.
Des risques contrôlés
Le 21 février, de retour en Suisse, Volkan Oezdemir retrouvait les siens dans l’appartement parental. Ses proches ne l’ont pas revu depuis son départ à Miami où il s’est exilé il y a un an dans le but de faire carrière. L’athlète de 1,88 m et 93 kilos, ancien patron de bar, s’est fiancé à une Américaine. Stephanie et lui ont gardé le secret, qu’ils dévoileront au dîner. Deux semaines auparavant, celui que l’on surnomme Cousin attaquait son adversaire comme un tigre. «Je suis rentre-dedans dès le premier round. J’aime aller au contact. Je vise le KO par sécurité.» Le géant fribourgeois, assailli par ses nièces, est doux comme un agneau. Mais alors, son sport, le MMA, c’est quoi?
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A Genève, Volkan Oezdemir a affronté Mohamed Amidi en octobre 2012. Un match gagné par TKO (KO technique), décidé par l’arbitre. Il est interdit en MMA de frapper sur la nuque ou la colonne vertébrale. De mettre les doigts dans les yeux de l’adversaire ou de taper sous la ceinture. Photo: Sarah Jaquemet

Il puise ses racines dans le pancrace, mélange de lutte et de boxe, pratiqué il y a deux mille cinq cents ans par les Grecs. «C’est une opposition de styles lancée afin de savoir quel art martial était le meilleur, détaille Volkan. On en a fait un sport de combat avec le moins de règles possible. Par la suite, il y a eu une remise en question: jusqu’où pouvait-on aller?» Au départ, il est peu équilibré, peu régulé et ouvre la porte aux excès puisque sans limite de poids et de temps. Désormais, un combat dure trois fois cinq minutes avec 60 secondes de pause entre chaque round et des adversaires de même corpulence munis d’un protège-dents, d’une coquille et de gants courts.
A Genève, Claudio Alessi, coach de l’équipe suisse de karaté Kyokushin, se souvient: «Il y a vingt ans, j’ai assisté à un match à Las Vegas. Les gens criaient: «Tue-le!» Un protagoniste pouvait sauter à pieds joints avec les genoux sur son adversaire au sol. J’ai quitté la salle. Depuis, ça a bien changé.»
Combattre est devenu une science. «On tape, admet Volkan, mais en conscience et en maîtrisant une panoplie de techniques. En basket, en foot ou en hockey, les fractures ou les torsions sont parfois plus dommageables. Elles résultent d’attaques surprises incontrôlées aux conséquences plus graves.» Un exemple? Le footballeur brésilien Neymar, touché dans le dos par le Colombien Zuñiga lors de la Coupe du monde 2014, fut évacué avec la troisième vertèbre fissurée. 
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Volkan entraîne quotidiennementses techniques, sa souplesse, sa vitesse, sa musculature, son endurance. Photo: McFreddy

Au Texas, Volkan Oezdemir a combattu à la loyale, souvent au sol. Côté soutien moral, il peut compter sur le basketteur genevois Clint Capela, désormais ailier fort au sein des Rockets de Houston. «On s’amuse entre nous. Il me tape pour tester ma résistance.» Les côtes de M. Tout-le-Monde vont s’enfoncer sous la pression, pas les siennes, grâce à un «blindage» musculaire. «Notre corps façonné résiste à la douleur.»
Traumatismes crâniens
Cette discipline complète ne permet pas au néophyte de combattre. Il faut savoir utiliser ses poings, ses pieds, amener l’assaillant au tapis et lutter. On emprunte à la boxe – traditionnelle et thaïlandaise – au ju-jitsu brésilien, à la lutte, au judo. «J’ai beaucoup voyagé et participé à des stages en Thaïlande, aux Pays-Bas, en Amérique, au Brésil où je me suis entraîné avec les plus forts de chaque discipline.»
Volkan a commencé le karaté à 12 ans. «J’ai appris les valeurs de respect, l’esprit du Bushido, l’honneur.» Dix ans plus tard, il se lançait à fond. Le MMA véhicule pourtant l’idée d’une violence aveugle, néfaste pour la jeunesse.
Les galas sont organisés dans des salles privées à Genève. «Les autorités refusent depuis 2009 de nous louer des lieux publics. Les mineurs sont interdits dans la salle», râle Raid Salah, combattant et organisateur. Volkan tempère: «En pratiquant, les gamins vont se rendre compte qu’il ne s’agit pas d’une baston de rue. Le MMA canalise l’énergie. L’art du combat nous révèle qui on est.» 
Plus jeune, il n’avait rien d’un voyou. «J’avais des problèmes à affirmer mon identité. J’étais très renfermé. Le sport m’a permis de m’ouvrir. Plus tard, mes élèves dans le même cas ont pris confiance en eux. J’aime cet impact positif.»
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Après un an d’absence, Volkan Oezdemir, installé à Miami, est revenu dans l’appartement parental, le 21 février après son premier combat UFC à Houston (Texas). Photo: Jeff Botari/Getty Images

Parce qu’il est en passe de supplanter la boxe traditionnelle, le MMA, apparu dans les années 90, subit les mêmes critiques que le full-contact surgi au détour des années 80. Prendre un coup à la tête n’est jamais anodin. Ancien médecin du sport, proche de boxeurs tels que Martelli, Scacchia ou Acariès, le Dr Luc Moudon utilise une image très parlante: «Lors d’un choc frontal, le cerveau, plus petit que la boîte crânienne, va effectuer un mouvement d’aller-retour. Comme une balle de tennis dans une boîte de conserve. Elle tape à l’avant avant de rebondir à l’arrière. C’est une succession de microtraumatismes et de microhémorragies qui nécessitent un mois de repos complet.» 
Michael Kirkham est mort d’une hémorragie cérébrale en juin 2010 après son premier combat pro en Caroline du Sud. Un fait rare. On dénombre 4 décès en MMA chez les professionnels soumis à des contrôles très stricts (certificats médicaux, scanners). Neuf de plus ont péri dans des combats sans encadrement.  
Une étude comparative, publiée par le Clinical Journal of Sport Medicine, a tenté d’évaluer les conséquences afin de savoir lequel de la boxe ou du MMA était le plus dangereux. Elle s’appuie sur un relevé systématique, à Edmonton, au Canada, après chaque match entre 2000 et 2013. Conclusion: «Les blessures visibles sont plus nombreuses en MMA (contusions) mais on dénombre plus de pertes de conscience sur les rings de boxe – commotions cérébrales, traumatismes crâniens – et de sérieuses blessures aux yeux (décollement de la rétine).»
Certains affirment le contraire. Le boxeur suisse Mauro Martelli, 52 ans, par exemple, champion européen et ancien adepte du full-contact. Pour lui, le noble art est moins dangereux. Il fut, en son temps, un as de l’esquive. «Le MMA, j’adore. Mais en boxe, nos poings sont protégés par un mètre de bandage et des gants rembourrés dont les pouces sont cousus afin d’éviter de rentrer dans l’œil de l’adversaire. En MMA, le gant plus petit équivaut à un crochet en pleine figure à mains nues.» 
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A Fribourg, Volkan était accompagné par Stephanie, sa compagne. Le couple s’est fiancé en secret en Suisse. Photo: Julie de Tribolet 

Raid Salah est d’un autre avis. «Le gant de MMA poinçonne (ndlr: court, il permet de saisir l’adversaire). En boxe, des études le prouvent, le gant a un impact plus dévastateur (ndlr: 4 kg de plus selon une étude effectuée par Sports Science).»
L’onde de choc se fait toutefois surtout ressentir au niveau du tiroir-caisse. Encaisser des coups et des sous a longtemps fait le miel de la boxe traditionnelle, talonnée désormais par les arts martiaux mixtes, ses droits de diffusion télé et ses stars, la Californienne Ronda Rousey ou le phénomène irlandais Conor McGregor, grande gueule au poing gauche foudroyant. 
«Ce sport utilise très bien les réseaux sociaux», constate Volkan qui ne s’en prive pas. Sur Instagram, il partage les images et les vidéos des entraînements. 
Tout se monnaie désormais à l’image du tennis, de la F1 ou du football. Un shooting mode, l’apparition dans un film, une pub pour un sponsor, une voiture, un vêtement, une boisson énergétique. Les organisateurs montent de mirobolants projets. L’UFC vise le combat du siècle: McGregor contre Floyd Mayweather. MMA contre boxe. A la clé, des centaines de millions. 
Volkan, loin de ces sommes, combat deux à trois fois par an, la juste moyenne. «On touche 24 000 francs dans la fourchette basse. Ma victoire me permet d’entrer dans le top 10 avec un match télévisé. En bas du classement vous n’en bénéficiez pas. Je vise la huitième place et renégocierai mon contrat.» 
Un «sport business»...
L’attrait des gains change la donne. «C’est un sport business», concède Volkan. 
Les télés relayées par le Net veulent du spectacle. Elles bénéficient d’un effet loupe. Gestes techniques, KO ou incidents spectaculaires attisent la curiosité. L’oreille gauche arrachée de Leslie Smith totalise des centaines de milliers de vues. 
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Dans la cuisine, entouré de ses nombreuses nièces, le tonton champion pose avec sa fiancée, sa maman, Danielle Oezdemir-Collet, et son beau-père, Roger Bielmann (au fond). Photo: Julie de Tribolet

«No pain, no gain», disent les Américains. A Miami, 
Volkan Oezdemir ne roule pas sur l’or mais sa volonté est inébranlable. «Cela ne me permet pas de vivre pour l’instant, mais je vois enfin le bout du tunnel. J’ai toujours vécu dans les chiffres rouges.» Sa mère nous glisse: «C’était nous son sponsor principal.» Danielle Oezdemir-Collet, infirmière en psychiatrie à la retraite, n’a jamais eu le courage d’assister à un match de son fiston, mais encourage sa passion. Fatma, la sœur de Volkan, précise: «On a la force mentale de notre mère et la force physique de notre père.» Et le champion d’ajouter: «Un combat se gagne souvent à la force mentale.» Son nouveau slogan confirme ses ambitions: «V pour Volkan – V pour Victoire.» A confirmer le 28 mai à Stockholm.

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