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Philippe Morel, 
le chirurgien rock’n’roll

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Jean Revillard / Rezo
Philippe Morel au guidon de son dernier joujou, une rutilante Harley-Davidson Electra Glide Limited. Tous les matins, à 7 heures, il quitte sa maison de Vandœuvres pour l’hôpital. Presque la Route 66!
Portrait

C’est un chirurgien de renommée internationale qui se bat sans relâche pour le don d’organe. Ses patients l’adorent, ses pairs sont parfois dérangés par le côté atypique de ce fan de Johnny qui vient d’écrire un livre. Par ailleurs, cité en tant que témoin dans une enquête, il entend bien défendre son honneur.

«Babille et s’agite», pouvait-on lire sur ses carnets scolaires. Quelques décennies plus tard, le patron de la chirurgie digestive genevoise a gardé une tchatche et un élan qui ne sont pas près de s’émousser, malgré ses 64 ans. Celui dont le CV est presque aussi long qu’un intestin grêle (médecin-chef du service de chirurgie viscérale des HUG, vice-président de Swisstransplant, médecin responsable du laboratoire des nouvelles techniques chirurgicales, etc.) publie ces jours-ci L’urgence d’être humain*, un bouquin-testament qui retrace l’extraordinaire aventure de sa vie, tout entière confondue avec celle de la chirurgie de transplantation et la vie de ses greffés. Une histoire d’hommes, avant tout, insiste celui qui a des doigts de concertiste, une dextérité assortie et une sensibilité qui le rend «malheureux d’avoir écrasé un escargot». «Même s’il peut traiter trente cas en quarante minutes, il prend toujours le temps pour son patient», lit-on dans ce livre.

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Le professeur forme lui-même les équipes pour chaque intervention. Derrière le robot Da Vinci, ou au contact direct du patient, l’entente est essentielle, assure-t-il. «Nous nous stimulons mutuelle- ment.» Ce lundi 14 novembre, il pratiquait une ablation du côlon et du rectum. Photo: Jean Revillard/Rezo

Pour preuve, le chirurgien a failli adopter le fils d’une patiente décédée, d’autres sont devenus des proches, comme les jumeaux roumains Horatio et Octavien. Il a greffé une partie de l’intestin grêle du second dans le ventre du premier. Une première mondiale en 1998, que L’illustré avait relatée tant elle était périlleuse. Le professeur a été invité au mariage de chacun d’entre eux.

Nous voici en salle d’opération. Ce matin, il s’agit d’enlever le côlon et le rectum d’un patient atteint de multiples polypes. Une opération délicate d’environ six heures, au terme de laquelle il enchaînera sur une autre intervention. L’homme avoue cent heures de travail par semaine. Et une épouse «qui est une sainte», toujours prête à servir un repas chaud même quand il rentre à minuit.

Comme la déesse aux mille bras, le professeur est capable tout en même temps de répondre à nos questions, de planifier une IRM, de contrôler un examen de sang, de téléphoner en anglais pour rassurer un patient à Doha. Les petites gens comme les millionnaires se pressent dans sa salle d’attente. Dans son bureau, au premier étage des HUG, la photo de son collègue décédé, Gilles Mentha, «un frère spirituel», voisine avec des souvenirs de la Route 66. Parcourue trois fois à moto.

Fan de Johnny

On ne l’imagine pas, mais ce colonel à l’armée, député et conseiller municipal PLR à Vandœuvres est un fan de Johnny Hallyday (il porte à son cou un Johnny crucifié avec sa guitare, un cadeau de sa femme, Nives). «Johnny a le même pendentif mais avec des diamants.» Sourire. S’il fallait ne garder qu’une chanson de son idole? L’envie. L’envie, la vie, le désir, la mort, garder ses patients en vie, le chirurgien voit dans le rock bien plus qu’un style musical, presque une philosophie, une façon d’être au monde. Sa rencontre avec la star, il y a trois ans, mérite qu’on la raconte. «J’ai appris que le staff de Johnny avait appelé l’hôpital pour demander qu’une infirmière puisse se rendre en backstage avant son concert à Genève. Du coup, c’est moi qui y suis allé à sa place.»

L’œil s’anime. Secret médical oblige, motus et bouche cousue, mais visualisons notre professeur à la renommée internationale se transformant soudain en fan pantelant. «Je lui ai dit que, quand j’avais un coup de fatigue en salle d’opération, je pensais à lui. Que son énergie, sa volonté me donnaient un petit coup de fouet!» Johnny n’a pas été insensible au compliment. Les époux Morel, qui ne ratent aucun concert de la star en Suisse, ont été plusieurs fois depuis invités en coulisses.

Ces jours-ci, c’est une autre affaire qui vient parasiter, trop à son goût, la sortie de son livre. Le laboratoire d’isolement et de transplantation cellulaire (LITC), qu’il a créé, est sous le coup d’un audit administratif, soupçonné de mauvaise gestion financière et de manquement à l’éthique, de 2007 à nos jours. Le nom de Philippe Morel y est apparu aux côtés de deux autres sommités des HUG. Il n’a de cesse, depuis, de contester toute responsabilité dans ce qui apparaît comme un imbroglio sur fond de rivalités au sein des HUG. «J’ai effectivement, en 1992, mis sur pied ce laboratoire d’isolement et de transplantation d’îlots de Langerhans que je ne dirige plus depuis de nombreuses années, puisque, dès 1995, ce service a été dirigé par différentes personnes. Tout ceci ne me concerne qu’indirectement, je ne suis qu’un témoin dans cette affaire. Néanmoins, l’enquête des HUG n’a pas fait apparaître à ce jour de gestion déloyale des intérêts publics, ni de pratique illégale. J’espère que le complément d’audit sur le volet financier mettra un point final à cette histoire».

«C’est une catastrophe»

Revenons à ce qui constitue le cœur de son action. Aujourd’hui, 15% des opérations en chirurgie viscérale sont déjà réalisées par le robot Da Vinci et, à l’horizon 2050, comme pour les voitures sans pilote, la machine fera presque tout de A à Z. «Le chirurgien réalisera l’opération sur son écran d’ordinateur le jour précédent, l’enregistrera sur une clé USB avant de l’insérer dans le robot.» L’homme de science parle de la robotique avec la passion d’un jeune homme. S’il ne devait avoir qu’un seul regret dans sa vie, c’est celui-ci: être né un peu trop tôt. «Grâce aux avancées de la médecine, ma petite-fille de 10 mois a une chance sur deux de devenir centenaire!» Ce médecin en ordre de marche permanent aimerait avoir neuf vies, comme son chat, et refuse, dans son esprit, l’asile au mot retraite. Il fourmille de projets après son départ des HUG. «On peut opérer au-delà de 70 ans mais je ne ferai pas l’opération de trop, celle qui peut ruiner une carrière.» Consultant en chirurgie dans le privé ou, pourquoi pas, retenter le Conseil d’Etat après une première tentative malheureuse avec le PDC où on l’avait jugé trop impétueux? «Si on vient me chercher, je suis partant!»

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Philippe Morel admire l’incroyable énergie de Johnny, qu’il a rencontré. Il possède même une croix identique à celle du chanteur. «Mais attention, souligne-t-il, je ne suis pas fétichiste!» Photo: DR

S’il accepte, ce sera avant tout «pour secouer le cocotier. C’est terrible, mais le nombre de donneurs d’organe potentiels en Suisse n’a pas augmenté en vingt-deux ans.» Seuls 5% de Suisses ont une carte de donneur dans leur porte-monnaie. L’urgence d’être humain, c’est l’urgence de la solidarité avec ceux qui attendent un organe. Trente personnes meurent par an dans notre pays faute d’en avoir reçu un. «C’est une catastrophe. La faute à nos politiciens au niveau fédéral. Quand j’entends un député UDC dire à la télévision qu’il n’a pas d’avis sur le don d’organe, je fulmine!»L’homme est connu pour son franc-parler. Un bon client pour les journalistes, car Morel ne joue pas la carte corporatiste et ose la critique même vis-à-vis d’un confrère s’il la trouve justifiée. Il reconnaît être autoritaire. «Commander, corriger, contrôler», c’est son credo. «Chaque fois que je ne l’ai pas fait, je me suis fait avoir.» Il réfute pourtant la critique de l’ego surdimensionné, reconnaît utiliser les médias pour faire avancer sa cause. «Je suis un homme qui doute, d’ailleurs un chirurgien qui ne doute pas est dangereux. Et j’accepte d’être remis en question par des subalternes. Une infirmière instrumentiste m’a fait remarquer il n’y a pas si longtemps que je n’avais pas pris le meilleur fil, je l’ai remerciée pour sa remarque. Je pense souvent à cet éminent chirurgien zurichois qui s’est trompé de groupe sanguin… Personne dans son équipe n’avait osé lui faire remarquer son erreur.»

Toujours croyant

Le journaliste Pascal Décaillet, qui le connaît bien et l’invite souvent sur le plateau de Léman Bleu, dit qu’il lui fait penser à un personnage de Tintin. «Brillant, un peu fou comme tous les utopistes, mais un homme qui a réalisé ses rêves d’enfant. Il est jalousé par ses pairs mais adoré du grand public. Il devrait se présenter au Conseil d’Etat!»

Au moment de le quitter, on demande au professeur si le fait de vivre au contact de l’organique, d’être au fond perpétuellement en backstage de la comédie humaine, a eu une incidence sur sa foi, qu’il n’a jamais cachée. «Je suis toujours au contact, comme vous dites, de la tuyauterie, mais l’aspect technique est très vite gommé et me renvoie à l’histoire du patient. Quand je dois opérer une femme de 35 ans, mère de trois enfants, atteinte d’un cancer que je croyais localisé et qui est généralisé, alors oui, je suis ébranlé dans ma croyance. Je me demande comment je vais lui annoncer ça et où est Dieu dans ces moments-là. Je suis encore croyant. Mais plus par espoir que par raison!»

«L’urgence d’être humain. Vies avec mes greffés». Rencontres avec Joël Cerutti, Editions Slatkine. Les droits de l’ouvrage seront versés à la fondation 
ProTransplant.

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