
Le journaliste Pierre-Pascal Rossi s’est éteint à 73 ans. Entre récits et images inédites, Raymond Vouillamoz et Benoît Aymon se souviennent.
Pierre-Pascal Rossi était un être discret, secret. Il a exercé son métier de journaliste à une époque où il était encore synonyme d’aventure humaine. Le reporter se faisait témoin, transmettait l’information sans brider son émotion. PPR, comme on le surnommait, a quitté le monde mardi 13 septembre. Il avait 73 ans.
L’écriture fut sa passion. A 15 ans, il voulait être Baudelaire. Il deviendra journaliste, vedette malgré lui sur la TSR, de 1982 à 1989 avec sa diction claire et sa phrase fétiche soulignant une distante humilité au TJ: «Telle a été cette journée en Suisse et dans le monde à notre connaissance.» «Je lui ai succédé. C’était un monument. Je le considérais comme mon grand frère. Il était lunaire, avec sa face cachée, ses failles. Facilement dans l’excès, il allait au bout de ses passions et savait les transmettre. C’était un passeur», souligne Benoît Aymon, son compagnon de Passe-moi les jumelles (PAJU). Rossi surnommait ce programme «les jolis mensonges». Ce n’était plus de l’info, pas vraiment de la fiction, mais «de la carte postale», disait-il.
Doué en tout
Un jour, il dit à Aymon: «Je vais quitter ce monde sans connaître le nom des fleurs.» L’autre lui répondit, sachant le sérieux qu’il mettait en tout: «Fais gaffe, tu vas finir botaniste!» Rossi jouait admirablement du piano mais il s’était lassé, pêchait fort bien à la mouche avant d’abandonner. Il aimait boire et ne s’en cachait pas, témoignant courageusement au sujet de son alcoolisme, en 2003, dans Temps présent.
A travers son regard bleu, il avait un sens aigu des images. «Il a débuté comme photographe», rapporte Raymond Vouillamoz, ancien directeur des programmes de la TSR. Il fut son patron – à l’origine de PAJU – et devint un ami.
Un roman inédit
Rossi lui a légué un roman. «C’est l’histoire basée sur l’idée géniale d’un gardien de musée qui prend peu à peu la place de certains personnages dans les tableaux d’Edward Hopper.» Pierre-Pascal avouait sa difficulté à écrire cet ouvrage. «Il y a quelques jours, j’ai reçu le manuscrit terminé accompagné d’un mot. Il manquait d’énergie pour courir les éditeurs. L’obstacle majeur sera d’obtenir les droits de reproduction des images.»
PPR, comme Hopper, était au carrefour entre le rêve et la réalité. «Il a été figurant dans Le petit soldat de Jean-Luc Godard», rapporte Vouillamoz. Renvoyé du collège à 19 ans, il se retrouva sur le trottoir. Un assistant de JLG lui demanda ce qu’il faisait là puis l’invita sur le tournage. Déjà l’aventure…
Il y a trois ans, il décida de partir à Cuba fêter ses 70 ans. «Pierre-Pascal avait contracté une pneumonie. Ma femme lui a dit: «Soigne-toi, ne pars pas!» ajoute Vouillamoz. Rossi s’envola malgré tout. «Etait-il déjà sujet à une infection? On ne le saura jamais. Sur place, une blessure au doigt s’est infectée, atteignant la moelle épinière. Il s’est réveillé paralysé à l’hôpital avant d’être rapatrié à Genève, puis d’aller à Lucerne suivre une rééducation au centre de paraplégie. Il progressait, le moral était bon. Nous nous sommes même rendus à une expo de chaises roulantes à moteur. On aurait dit le Salon de l’auto. Il était excité à l’idée de choisir la sienne.»
Jeune Philippine adoptée
Ce périple cubain sera l’occasion d’une expo de photos au profit d’une jeune femme.
«Il avait un regret dans la vie, celui de ne pas avoir eu d’enfants. Il avait adopté une jeune Philippine lors d’un reportage et pourvoyait à ses besoins. Elle doit avoir une quarantaine d’années aujourd’hui. Il s’en occupait encore.»
Rossi, joli cœur, plaisait aux femmes. «Sa dernière compagne était en chaise. Elle l’avait repéré de l’autre côté de la salle, dans un restaurant de Neuchâtel. Elle est allée vers lui: «On pourrait manger ensemble?» lui dit-elle. Ils ne se sont plus quittés.»
Raymond Vouillamoz a revu PPR il y a un mois. «Nous devions organiser une fête en son honneur, à Nernier, où il avait acheté un appartement. Il était ravi, mais il a annulé au dernier moment. Il souffrait d’une déprime assez forte et vivait allongé la plupart du temps. Il n’avait plus la force de tenir sur sa chaise.» Pour son dernier voyage, l’amoureux de la nature s’éparpillera aux quatre vents. «Ses cendres seront dispersées sur le lac de Neuchâtel, qu’il aimait tant.»