
3,8 kilomètres à la nage, 180 kilomètres à vélo, 42,2 kilomètres de course à pied, un minimum de seize heures de dépassement de soi: le défi que s’apprêtent à relever à Zurich deux Valaisans, Xavier Bruchez et Gaëtan Daves, lourdement handicapé, est titanesque. Avec inventivité, débrouille et détermination, pour que Gaëtan ne perde rien de la course.
Il est calme, Xavier Bruchez. Grand et calme. Dans la maison chaleureuse de ce père de quatre enfants, l’après-midi pluvieux ronronne. La grande table familiale est recouverte d’une jolie nappe, les enfants jouent dans une pièce et la rumeur de la petite ville de Saint-Maurice (VS) ne suffit pas à troubler le silence. Or, cette tranquillité n’est qu’apparente: si pour l’heure Xavier Bruchez se repose, ce n’est que pour mieux se préparer à relever, dans quelques jours à peine, l’un des défis les plus fous qu’il se soit jamais lancés.
Le 24 juillet prochain, ce Valaisan, opérateur en chimie de profession, va concourir lors de l’Ironman de Zurich. Une course extrême: 3,8 kilomètres de nage, 180 kilomètres de vélo, un marathon entier, le tout en un minimum de seize heures d’efforts continus. Ces chiffres à eux seuls peuvent suffire à donner une mesure de l’exploit que constitue pour un homme une telle entreprise, voire à provoquer le vertige ou l’admiration. Or, Xavier Bruchez ne s’en est pas contenté. Après cinq Ironman en solo, il a décidé, cette fois, de concourir avec son cousin, Gaëtan Daves, 21 ans, infirme moteur cérébral (IMC) depuis l’âge de 2 ans! «C’est parti comme ça, sur une boutade… Je suis très proche de la famille de Gaëtan, depuis toujours. J’ai énormément partagé de moments et de tranches de vie avec son père. Avec lui, c’est plus difficile. Je me demandais depuis longtemps comment partager plus, comment réellement faire quelque chose avec lui, comment nous créer des souvenirs communs. C’était son anniversaire, nous étions tous réunis pour fêter ses 20 ans. Je me préparais activement pour un Ironman. Et je lui ai lancé, comme ça: si j’arrive à terminer cette course en moins de 16 heures 30, la prochaine, on la fera ensemble! Il a ri. Tout de suite, il s’est dit prêt à relever le défi. Et voilà. J’ai terminé la course en moins de 16 heures 30 et j’ai tenu ma promesse, alors nous voilà.»
Gaëtan Daves, privé de la parole et qui communique à l’aide d’un ordinateur spécialement conçu, renchérit: «J’aime beaucoup tenter des activités différentes. Des choses que je n’ai jamais faites m’intéressent toujours. Cette année, j’ai déjà fait un spectacle de danse avec une danseuse professionnelle… Ici, j’ai un peu peur parce que c’est la première fois que je participe à quelque chose comme cela. Mais j’ai confiance.»
Durant l’épreuve, Gaëtan, privé de la parole, n’aura pas l’ordinateur qui l’assiste. Il pourra, comme avec son père ici, utiliser un système de signes.
Et voilà les deux cousins embarqués dans une aventure dont ils ne mesurent pas encore l’ampleur, portés par l’enthousiasme de leurs proches, comme le souligne Xavier Bruchez: «Ma femme, Natacha, est extraordinaire. Sans elle, je ne pense pas que nous aurions réussi à tout préparer pour que la participation de Gaëtan puisse se faire dans de bonnes conditions. J’ai l’impression qu’elle est presque plus motivée que moi. Elle m’a même présenté un coach pour que je puisse m’entraîner plus sérieusement et de manière plus pointue. Pratiquement aussi, sans elle, rien n’aurait été possible.»
Défi logistique et financier
C’est que la participation de Gaëtan relève du défi également du point de vue de la logistique. Xavier Bruchez raconte: «Nous avons dû tout inventer, trouver des solutions pour chaque étape de la course, envisager tous les scénarios.» Lors de l’épreuve de natation, Gaëtan, équipé d’un gilet de sauvetage, prendra ainsi place dans un canot pneumatique que Xavier Bruchez traînera. «Nous avons prévu avec les organisateurs qu’une ligne spéciale nous soit dédiée, près du bord. En effet, quand je nage, je ne peux pas entendre si Gaëtan crie. Et il n’aura pas son ordinateur, trop limité en termes d’autonomie et surtout trop lourd, avec lui. Pour des raisons de sécurité, il est important que quelqu’un soit assez proche pour le suivre durant toute la course et voir si tout va bien.» Pour l’épreuve de cyclisme, Gaëtan sera installé dans une poussette, tirée par son cousin. Et enfin, lors de la troisième et dernière partie de la course, Xavier courra en poussant Gaëtan. «Nous avons dû trouver une poussette qui puisse résister au poids de Gaëtan tout en n’alourdissant pas trop l’ensemble. Nous avons opté pour une poussette de cross, prévue pour des jumeaux. Nous l’avons customisée, et c’est parfait. Le tout, en comptant également la coque de protection, avoisine les 60 kilos. Nous nous entraînons depuis six mois et cela me paraît jouable. Notre défi sera de réussir les deux premières épreuves en moins de dix heures, sous peine d’être disqualifiés. On verra!»
Déjà un triathlon olympique!
En attendant, et à la demande expresse des organisateurs de l’Ironman de Zurich, les deux compères ont dû prouver leur aptitude à concourir ensemble en réalisant une première épreuve test: «C’est la seule condition qu’ils ont posée à la participation de Gaëtan. Nous avons donc réalisé un triathlon sur distance olympique organisé à Zoug en juin dernier. Tout s’est bien passé et nous avons été autorisés à nous aligner à Zurich. Je dois dire que nous avons été très bien accueillis.» Il ne restait plus qu’à trouver les 7000 francs nécessaires au financement de l’entier de l’opération: «C’est incroyable! Après la publication d’un appel dans Le Nouvelliste, nous avons reçu des soutiens de tout le canton. Et même du sponsoring d’entreprises. Grâce à toutes ces personnes, nous avons pu boucler notre budget et nous voilà fin prêts!»
Durant la course, à laquelle toute la famille de Xavier Bruchez, sa femme, Natacha, et leurs enfants, Kassandra, 15 ans, Angélique, 12 ans, Kathleen, 9 ans, et Anakin, 6 ans, assisteront, tout a été prévu dans les moindres détails: «Gaëtan pourra se désaltérer à l’aide d’une gourde attachée dans son dos et munie d’un long tuyau d’aspiration. Nous petit-déjeunerons copieusement, puis je me chargerai de lui donner des gels protéinés à intervalles réguliers. Il m’a déjà dit lesquels il préférait.»
Pour Xavier Bruchez, le souci majeur reste la longueur de l’épreuve: «J’ai peur qu’il s’ennuie. C’est long, plus de seize heures… Je vais essayer de voir avec les organisateurs si nous pourrions déroger à la règle qui interdit d’écouter de la musique durant la course. Peut-être qu’il pourrait avoir ses écouteurs, ou une petite radio.» Le principal intéressé acquiesce: «C’est vrai que le temps peut paraître long, surtout durant l’épreuve de vélo. Je préfère nettement la course, où je suis devant et je peux voir le paysage.» Dans sa chambre du foyer Valais de cœur, à Sierre, entouré des dessins de têtes de mort qu’il a confectionnés et de photos de ses nombreuses rencontres, Gaëtan Daves sourit des yeux, tapotant son écran avec son coude: «La vie, c’est du plaisir!»