Quantcast
Channel: L'illustré - Suisse Romande
Viewing all articles
Browse latest Browse all 1064

Quand Maudet invite son meilleur ennemi

$
0
0
Rolf Neeser
Dans la voiture qui les a baladés dans le canton, Pierre Maudet (à dr.) et Roger Köppel ont confronté avec vivacité leurs vues sur l’avenir de Genève et de la Suisse.
Politique fédérale

Ils avaient débattu à la radio romande, au mois de mai, de l’immigration massive et du contrôle des frontières. Conseiller d’Etat genevois, le PLR Pierre Maudet a convié à Genève le conseiller national zurichois Roger Köppel, UDC et fils spirituel de Blocher, pour une visite sur le terrain.

Ils s’étaient rencontrés à distance, le 3 mai dernier, sur les ondes de la radio romande, à la veille du référendum sur la modification de la loi sur l’asile du 5 juin. L’un était dans un studio à Genève, l’autre dans un studio à Zurich. Dans le feu de la discussion, le conseiller d’Etat genevois Pierre Maudet (PLR) avait dit à son contradicteur, le conseiller national zurichois Roger Köppel (UDC), que ses envies de réintroduire des contrôles systématiques aux frontières étaient irréalistes et il l’avait invité à venir à Genève pour se rendre compte de la situation de ses propres yeux. Une invitation en forme de défi.

Les deux hommes se sont donc retrouvés, jeudi 14 juillet à midi, dans la Cité de Calvin, pour une journée vérité. Un exercice de démocratie à la suisse, directe, personnelle. Une envie de ne pas s’emmurer dans ses certitudes, mais de faire l’effort d’aller vers l’autre et de nouer le dialogue. C’est Pierre Maudet, bien sûr, qui a choisi le lieu du rendez-vous: le Bistrot du Bœuf Rouge, dans le quartier des Pâquis. Une brasserie animée qui est l’un de ses stamms. Amabilités, sourires, dialogue tout en finesse… et sans concession.

maudet1.jpg

Pierre Maudet fait découvrir à Roger Köppel ce centre d’excellence mondial en matière de neurotechnologies, devenu une carte de visite pour Genève. Avec Jean-Marc Triscone, vice-recteur de l’Université de Genève (à g.), et Benoît Dubuis, le directeur du centre.

Au menu, une terrine genevoise en entrée, une entrecôte, une île flottante (gigantesque) pour le dessert. Le tout arrosé par un vin blanc genevois, un aligoté, puis par un rouge espagnol, un Perelada (Genève est cosmopolite). Pierre Maudet et Roger Köppel déjeunent, mais ils ont surtout envie de parler. Car si le juriste genevois et le journaliste zurichois, historien de formation et rédacteur en chef de la Weltwoche, ont bien un point en commun, c’est leur côté intello et leur goût des idées et même de la polémique.

Köppel aime la provoc, on ne dit pas pour rien qu’il est le fils spirituel de Blocher. C’est lui qui a dit que les Romands étaient les Grecs de la Suisse, une formule qui a provoqué des cris d’indignation et qui le fait encore marrer. C’est lui aussi qui, au Conseil national, a vigoureusement dénoncé la politique d’asile de Simonetta Sommaruga, au point que la conseillère fédérale, vexée, a fini par quitter la salle, suivie par sa garde rapprochée.

«Roger Köppel a dit beaucoup de choses absurdes pendant notre débat, relève Pierre Maudet avec le sourire. Il a dit par exemple qu’on pourrait fermer la frontière franco-genevoise en cas de vague migratoire, comme l’Autriche l’a fait au col du Brenner. Je veux lui montrer que c’est absolument impossible, car 100 000 personnes passent chaque jour notre frontière. L’isolement, pour Genève, n’est pas une option. Il provoquerait l’effondrement de l’économie.»

Genève au-delà des clichés

«J’aime beaucoup Genève, assure quant à lui Roger Köppel, dans un français parfait. Genève, pour moi, c’est l’incarnation du succès de la Suisse, c’est un mélange idéal entre l’ouverture au monde et l’attachement à la tradition. Et puis, c’est aussi la ville qui a donné naissance à une révolution spirituelle avec Calvin. C’est exactement ce que nous défendons à l’UDC: un pays ouvert et vivant, mais qui contrôle ses frontières et qui veut rester lui-même.»

maudet2.jpg

Aéroport de Cointrin. Loin d’être laxiste, le canton de Genève est le champion pour les renvois forcés de requérants déboutés: près de 450 en cinq mois.

Ce que Pierre Maudet a décidé de montrer à son hôte, c’est que la réalité genevoise ne correspond pas aux clichés de l’UDC d’outre-Sarine. Une démonstration en trois points: Genève a besoin des étrangers pour faire tourner son économie; Genève est le canton qui expulse le plus grand nombre de requérants déboutés; Genève n’a pas de problème de migration.

A la sortie du Bœuf Rouge, première étape au Campus Biotech, à Sécheron, le centre d’excellence en matière de neurosciences. Des projets à la pointe de la recherche mondiale, des chercheurs venus du monde entier. «Nous avons besoin de fluidité pour continuer d’attirer les meilleurs talents, dit Pierre Maudet. On doit leur donner des permis de séjour. Si on ne signe pas l’accord sur la Croatie d’ici à la fin de l’année, on ne pourra pas récupérer 1 milliard d’euros de subventions de l’Union européenne.» Un message ardemment soutenu par le directeur du Campus Biotech, Benoît Dubuis, et par le vice-recteur de l’Université de Genève, Jean-Marc Triscone.

Pas de quoi ébranler Roger Köppel. «Je crois qu’il y a un gros malentendu, dit-il avec douceur. Nous ne voulons pas fermer les frontières, nous ne voulons pas nous replier et nous cacher dans nos glaciers. La vraie question, c’est de savoir comment nous pouvons contrôler la migration pour qu’elle corresponde à nos besoins. Je suis persuadé qu’on peut convaincre l’Europe de coopérer de manière équilibrée.»

maudet3.jpg

Douane de Bardonnex. Des outils pour des cambriolages, des objets familiers qui ont été trafiqués pour dissimuler des stupéfiants: c’est l’ordinaire des douaniers genevois, qui n’enregistrent par ailleurs aucune arrivée de migrants.

Départ ensuite pour l’aéroport de Cointrin, auprès de la police internationale et des gardes-frontières, car si Genève veut attirer les talents, elle veut aussi renvoyer les requérants déboutés. «Il est important d’avoir une procédure rapide, explique Pierre Maudet. Nous avons augmenté massivement les renvois forcés alors qu’il n’y en a plus à l’aéroport de Zurich.» Durant les cinq premiers mois de l’année, précise un responsable de Cointrin, il y a eu près de 450 renvois forcés.

Pour la maîtrise des frontières

Même message de fermeté, une heure plus tard, à la grande douane de Bardonnex. Plus de 40 000 voitures passent chaque jour la frontière franco-genevoise. «Si on devait contrôler tout le monde, il y aurait une file d’attente jusqu’à Lyon, explique un douanier. On peut vérifier, au mieux, 1% des voitures. On agit surtout pour des trafics de drogue ou de marchandises, on n’a aucun problème de migrants. On doit enregistrer peut-être une quarantaine de demandes d’asile chaque année.»

Roger Köppel est bon public. Il écoute, il pose des questions. On se rend compte, en fait, qu’il partage avec Pierre Maudet les mêmes valeurs de base: le sens de l’Etat, l’attachement à l’Etat de droit. Il veut, avant tout, que la Suisse garde la maîtrise de ses frontières, c’est-à-dire de son indépendance et de sa souveraineté. «Si quelqu’un entre illégalement en Suisse, il doit être renvoyé, dit-il avec une rigidité très UDC. Autrement, c’est un scandale. Ces gens restent pendant des années, ils reçoivent l’aide sociale et cela coûte très cher.»

maudet4.jpg
Pierre Maudet prend congé de son hôte à la gare Cornavin: ils se vouvoient toujours, mais ils ont beaucoup sympathisé.

Reste l’ultime question au terme de cette visite: Pierre Maudet a-t-il convaincu son hôte qu’il était impossible de faire des contrôles systématiques à la frontière? «Non, pas du tout, répond Roger Köppel en riant. Mais il faut s’entendre sur le sens du mot «systématique». S’il y a un risque d’immigration illégale massive, comme c’est le cas aujourd’hui au Tessin, on peut faire des contrôles plus intenses, plus ciblés. Les douaniers connaissent leur métier, ils ont de l’expérience, ils savent comment faire les choses. Cela ne veut pas dire que vous fermez hermétiquement la frontière pour tout le monde. Si un gouvernement dit à l’avance que des contrôles systématiques sont impossibles, il donne un signe d’impuissance qui sera perçu comme un encouragement par les passeurs et par les migrants.»

Flux: 


Viewing all articles
Browse latest Browse all 1064

Trending Articles