
Chaque semaine, «L’illustré» rencontre un artiste au coeur de l’actualité culturelle romande. Aujourd’hui, le peintre Luc Andrié, qui s’expose au Musée de Pully avec une remarquable intensité.
Au premier regard, les tableaux de Luc Andrié semblent des aplats de couleurs, bleus ou rose clair, noirs, bruns ou plus indéterminés encore. Si on les regarde plus longtemps, apparaissent alors des yeux, une bouche, un rictus, un visage. Celui de l’artiste le plus souvent. Une façon pour lui de s’affranchir du modèle et de sa joliesse. Du côté du beau, Andrié ne se fait pas de cadeau. Pour commencer, il se photographie torse nu, juste vêtu d’un slip ‒ «Je n’ai plus envie de montrer le sexe; on en voit tellement, il a perdu beaucoup de son attrait!» ‒ selon une mise en scène soigneusement étudiée. Ensuite seulement, le tableau sera peint, par dizaines de couches d’acrylique très dilué qui, progressivement, donnent à la toile une profondeur et une magie troublante jusqu’à l’hallucination. Le travail est rituel, minutieux, forcément long. «Je laisse la toile se faire, je passe plus de temps à la regarder qu’à peindre.» Magie de cette remarquable série: une fois que l’on a aperçu le personnage, on ne voit plus que lui. Mais si l’on s’en éloigne quelques minutes avant d’y revenir, on en verra peut-être un autre, ou le même avec une expression que l’on n’avait pas perçue... «Il y a beaucoup d’écrans entre la réalité et nous, beaucoup de pollution. En prenant le temps de regarder, on évite les clichés.»
Né en 1954, le Vaudois Luc Andrié a passé son enfance et son adolescence au Mozambique, alors colonie portugaise, où son père était missionnaire. A 16 ans, le retour d’Afrique n’a pas vraiment été facile. «J’ai eu du mal à m’intégrer. J’ai grandi dans une dictature. J’ai vu la violence, les armes, les militaires.» Suffisamment pour refuser de faire son école de recrue. A l’époque, les objecteurs de conscience sont sévèrement punis, et Andrié, à 22 ans, se retrouve embastillé au château de Nyon. «Un copain m’avait offert une boîte de couleurs pour m’occuper: ça a été immédiat, la peinture m’a libéré...» Il n’aura d’autre école que cette pratique, intense et passionnée.
Professeur à l’ECAL, cet autodidacte s’est aussi consacré au cinéma, réalisant plusieurs documentaires au Mozambique notamment, où il retourne régulièrement pour revoir les amis et partager avec des artistes. Au début et à la fin de l’accrochage de Pully, deux courts métrages rappellent son attachement au septième art: une montée du drapeau à la fois grave et loufoque ‒ «J’aime bien la bouffonnerie» ‒ et un long plan fixe sur un gardien, un Noir, dont on ne sait pas très bien s’il faut avoir peur ou d’où vient notre gène tranquille de spectateur. Il faut encore dire la chaleur de ses grands éclats de rire. Et puis son humilité,
la discrétion que l’on goûte dans les tableaux de celui qui conclut en disant: «Je n’ai pas envie que mes toiles soient bavardes.»
Musée d’art de Pully, jusqu’au 14 août. www.museedartdepully.ch