
Il y a deux ans, Olivier Grandjean a subi un traumatisme crânien. Après des semaines de coma, il a dû réapprendre à parler, lire et écrire. Pris en charge au CHUV, puis à la clinique de la SUVA, il témoigne de son retour à la vie grâce à la science.
Certains affirment qu’Olivier Grandjean est devenu plus spontané, peut-être un peu moins réservé, discret. Lui dit simplement, «maintenant, je suis très émotif. Je pleure facilement. Je n’ai plus vraiment de filtres. Il paraît que c’est une séquelle classique des traumatismes crâniens. Les émotions sont exacerbées.»
Il y a deux Olivier. Celui d’avant l’accident: cadre dynamique dans une multinationale, grand sportif, esprit vif dans un corps sain. Et celui qu’il est aujourd’hui: un survivant revenu du coma. Il a réappris à parler, lire et écrire comme on découvre une langue étrangère. Il se réinvente une signature en même temps qu’une identité, un statut, une place d’homme, de mari et de père.
Décembre 2015. Olivier, épuisé et stressé, hésite à se rendre à la fête de Noël du personnel de son entreprise. Pour l’ambiance et les collègues, il se laisse convaincre. Il est près de minuit quand il glisse à son voisin: «Je ne me sens pas bien, je sors prendre l’air.» Aujourd’hui, il n’a plus aucun souvenir de cette soirée ou des deux semaines qui l’ont précédée. Sa femme Aline reprend le récit. Elle est sa mémoire, l’archiviste de son parcours. «Il s’est levé, a fait deux pas et s’est évanoui. Les examens médicaux ont montré que c’était un simple malaise vagal.» Olivier tombe comme un arbre. Sa tête heurte le sol si violemment que malgré la musique à plein volume, les personnes à ses côtés entendent le son de son crâne se fracturer. Certains devront avoir recours à un soutien psychologique pour oublier ce son effroyable. Les ambulanciers arrivent rapidement sur les lieux. Face à la sévérité du cas, ils décident de conduire leur patient au Centre hospitalier universitaire vaudois. «Je suis arrivée avant lui aux urgences, se souvient Aline. Je l’ai aperçu sur un brancard. On l’emmenait faire un scanner. On m’a dit qu’il allait être opéré et que c’était très grave. L’hémorragie était massive et le tronc cérébral avait été légèrement touché. Son pronostic vital était très réservé.»
C’est le début d’un long parcours pour Olivier, son épouse et leurs deux enfants, Baptiste et Clémence, 13 et 11 ans à l’époque. «J’ai dû leur annoncer l’accident, se rappelle Aline, 40 ans, physiothérapeute. Leur dire, «papa lutte pour rester près de nous». Mon fils a demandé ce que l’on ferait si son père ne se souvenait plus de nous. Je n’y avais pas encore pensé. Du coup, nous avons décoré tout son box aux soins intensifs, avec des instants de sa vie tirés de nos albums photos. Cela a montré à tout le monde qui était Olivier, le père, le mari, le frère, qui court Morat-Fribourg et Sierre-Zinal. Il n’était plus seulement un patient.»
Olivier Grandjean est entré aux soins intensifs du CHUV un 11 décembre. Il y est resté trois semaines, avant d’occuper l’un des deux lits de l’unité de neuro-rééducation aiguë. A son arrivée, il était déjà dans un coma très profond. Les médecins ont ôté une grande partie de son crâne, à gauche, où se trouvait l’hémorragie, pour permettre au cerveau de décompresser. Aujourd’hui encore, sous les cheveux et la peau, il manque un morceau d’os. «Après l’opération, au début, explique Aline, on vous dit que c’est normal qu’il ne se réveille pas. Mais les jours passent, les semaines, et il ne bouge toujours pas. Rien. Parfois, je croyais voir une paupière qui frémissait, puis, fugacement, un éclair de vie dans ses yeux.» Au bout d’un mois, il n’y a pourtant toujours pas de réels mouvements. «Mais son rythme cardiaque changeait quand je lui parlais. J’y ai vu le signe qu’il me reconnaissait.» Ses yeux s’embuent. «J’avais envie d’y croire.»
Aline découvre l’univers du coma. «Un jour, la doctoresse Diserens m’a dit: «Vous lui parlez trop vite. Il faut faire des phrases courtes, avec une seule information et 15 secondes de silence entre deux locutions, pour lui permettre de se concentrer.» La chance d’Olivier? Avoir bénéficié de l’observation clinique particulière de Karin Diserens et de l’équipe de l’unité de neuro-rééducation aiguë du CHUV qui offre, par une stimulation intensive et très précoce des patients, de plus grandes chances de récupération. Le score d’Olivier aux tests classiques est très mauvais. On parle d’état de conscience minimum. «Mais la doctoresse m’a dit qu’elle pensait pourtant qu’il y aurait un éveil.» Olivier passe près de six heures par jour stimulé par les physiothérapeutes, ergothérapeutes, neuropsychologues et infirmiers. «La première fois qu’il est allé au jardin thérapeutique, c’était en hiver. Il était couché dans son lit, un infirmier lui avait mis une veste, il est descendu avec le lit, un autre tenait la perfusion à bout de bras. Il neigeait sur le visage d’Olivier. Cette stimulation sensorielle a fait beaucoup pour qu’il revienne à la vie. On a mesuré la chance d’être ici, avec de tels moyens et de telles équipes aussi investies.»
En février 2016, après deux mois au CHUV, Olivier est transféré à la clinique romande de réadaptation de la SUVA à Sion. En juin, six mois après son accident, il rentre à la maison. Il marche, est remonté sur un vélo, a pu faire un peu de ski. «Je peux travailler au jardin, décrit Olivier, passer la tondeuse, couper la haie. Je vais moins vite, et moins fort, mais je suis fier quand même.» Les larmes d’Olivier coulent. «Je suis content d’être vivant.» Le couple est reconnaissant: «A chaque étape, nous avons été accueillis, soutenus et encadrés, par le corps médical, la SUVA et l’employeur d’Olivier.»
Le traumatisme crânien a laissé des séquelles invisibles pour qui voit passer Olivier sur son vélo. «On nous demande si Olivier a repris le travail. C’est encore tout à fait impossible», souffle son épouse. Olivier souffre d’aphasie, globale et sévère. «Il lui faut un temps pour comprendre et mémoriser. Et surtout, pour exprimer avec précision et nuance sa pensée.» Polyglotte, Olivier, Belge d’origine, a perdu toutes les langues qu’il maîtrisait. «Je ne parle plus que le français avec, bizarrement une pointe d’accent belge qui m’est revenu.» L’avenir est encore incertain mais Olivier n’a pas de temps à perdre. «On sait qu’il y a une sorte de deadline implicite. Au bout de deux ans, on progresse moins.»
Il y a deux Olivier. Ou peut-être bien trois. Celui d’avant, celui d’aujourd’hui et le troisième, enfin, l’Olivier qu’il rêve d’être et qui cherche un nouveau sens à sa vie. «Je suis vivant, mais pas comme avant. Rien n’est plus évident. C’est comme un marathon et la ligne d’arrivée est encore loin. Je vais continuer à progresser. Et même si je ne serai plus jamais le même et que c’est dur à accepter, j’ai de l’espoir. Quand la vie reprend et qu’on est différent, en famille, en couple, au travail, on fait comment?»