
Outsider de l’élection, le conseiller d’Etat genevois, père de trois enfants, table sur son pragmatisme et sa jeunesse pour s’imposer comme le candidat de l’action lors de l’élection du 20 septembre au Conseil fédéral.
Dans quel état d’esprit avez-vous abordé cette élection?
Combatif. J’aime ces ambiances de campagne électorale. Je me sens aussi étonnamment prêt. Je dis «étonnamment», parce que je me trouvais plutôt dans une optique de préparation des prochaines élections cantonales. La démission de Didier Burkhalter a constitué une véritable surprise. Durant le mois de juillet, j’ai donc beaucoup réfléchi, j’ai discuté avec mon entourage. J’ai pesé le pour et le contre. J’ai aussi écouté mes tripes. Début août, la décision de me lancer était claire.
Que pensez-vous pouvoir apporter au Conseil fédéral?
C’est une campagne comme je n’en ai jamais vécu, courte, intense, une campagne de réseau, pour laquelle on s’appuie sur son bagage. Dans une telle configuration, j’ai des atouts à faire valoir, de par mon parcours – cinq ans à l’exécutif de la ville de Genève et cinq ans à celui du canton –, en apportant une expérience différente de celle des parlementaires.
Le fait de ne pas siéger à Berne ne constitue-t-il pas au contraire un inconvénient, les parlementaires vous connaissant moins?
C’est peut-être un inconvénient. Mais le Conseil fédéral a aussi besoin de gens qui ont l’habitude de gouverner et de passer à l’acte. De ce point de vue, le fait de siéger dans un exécutif est plutôt un atout. De plus, la Suisse compte 41 conseillers d’Etat PLR, qui jouent un rôle primordial dans leur canton. Il serait anormal qu’ils ne soient pas représentés.
Quel est votre principal atout?
Il tient en un mot: pragmatisme. Je pense avoir démontré à Genève, bilan à l’appui, une capacité certaine à agir reposant sur une vision et une ligne. J’aime cette phrase: «La politique, c’est l’art de rendre possible ce qui est nécessaire.» Elle résume mon approche. «Il faut penser avec les mains», disait Denis de Rougemont. Mon âge (ndlr: 39 ans), enfin, peut aussi constituer une force, dans un pays où 47% de la population a moins de 40 ans.
Votre âge, en quoi est-il une force?
Ces deux prochaines années, trois ou quatre conseillers fédéraux devraient partir à la retraite. L’enjeu est donc celui de la constitution de l’équipe qui dirigera le pays pour les dix prochaines années. Cette dernière devra gérer des révolutions telles que le virage numérique ou la transition énergétique. Et cela dans un environnement de grandes incertitudes. Face à ces enjeux fondamentaux, nous devons être équipés pour les comprendre, les expliquer et pouvoir y répondre. Toutes ces questions me passionnent; je suis en prise avec elles. J’ai envie de construire la Suisse de demain. Pour ne citer qu’un exemple, Genève est devenu le premier canton dont la loi sur les taxis intègre le paramètre Uber.
Quel est l’enjeu principal de ces prochaines années pour la Suisse?
J’en vois trois. Le plus urgent concerne clairement le domaine de la sécurité et de la souveraineté numériques. Nous devons rapidement développer notre aptitude à nous défendre contre une cyberattaque, tant au niveau des données privées que publiques. C’est un virage que nous ne pouvons pas rater. L’enjeu peut-être le plus important reste la capacité à faire évoluer le monde du travail et la notion même d’emploi. D’ici à 2030, 80% des emplois actuels n’existeront plus ou auront été transformés. Ce chamboulement va provoquer des tensions au niveau de la solidarité intergénérationnelle, mais il doit aussi nous inciter à une réflexion profonde sur la formation. Moi-même, en tant que père de trois enfants, j’ai des inquiétudes: que feront-ils dans dix ans, notre système scolaire leur permettra-t-il de se préparer au mieux à ces changements?…
Et le troisième enjeu?
C’est le plus délicat. Il concerne notre relation à l’Union européenne. Il est essentiel d’avoir de bons rapports avec nos voisins. Je le vois à Genève, canton qui exporte 70% de ses services et marchandises. Ce qui ne veut pas pour autant dire que nous devons nous «coucher». Il faut savoir se défendre dans une logique dynamique, se battre pour ses intérêts, car on a trop souvent donné l’impression de capituler. Nous ne devons pas nous laisser enfermer dans une logique de protectionnisme, d’immobilisme et d’isolationnisme, tous ces mots en «isme», qui dégagent une vision fantasmée d’une Suisse mythique qui n’a jamais vraiment existé.
Comment voyez-vous la Suisse dans vingt ans?
Je vois un pays aux facettes multiples, tourné autant sur Heidi que sur Federer, sur l’épopée des tunnels que sur l’aventure Solar Impulse, sur le high-tech que sur la mécanique de précision. Je vois un pays qui a réussi sa transition énergétique, tout en sauvegardant ses savoir-faire, un pays qui a pacifié ses relations avec l’Europe tout en ayant gagné en souveraineté. Une Suisse sûre d’elle. Nous vivons un moment charnière; j’aimerais en être un acteur.
Demain vendredi, nous vous proposerons la rencontre avec la Vaudoise Isabelle Moret