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Deux Afghans à pied à la rencontre de la Suisse

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Blaise Kormann
Mohammed Rasuli, à gauche, et Hamid Jafari, tous les deux 26 ans, adorent se laisser surprendre, tout au long de leur tour de Suisse, par la beauté du paysage, comme ici le long d’un bisse valaisan.
Rencontre

Deux requérants d’asile afghans, arrivés en Argovie il y a une année et demie, ont décidé de réaliser un tour complet de leur pays d’accueil, entièrement à pied. Entre rencontres et étonnements, récit d’une démarche hors normes.

En arrivant au rendez-vous, au centre de la commune de Savièse, au-dessus de Sion, ils s’excusent, essoufflés. Ils sont un peu en retard ce matin parce que, avec Sonja Lagger, leur hôtesse ce jour-là, Hamid Jafari, 26 ans, a dû se rendre à la gare de Sion pour récupérer son ami Mohammed Rasuli, lui aussi 26 ans. Dans son allemand fluide, à peine teinté d’accent, Hamid explique: «La commune de Brittnau, dans le canton d’Argovie, responsable administrativement de Mohammed, l’a autorisé à effectuer notre tour de Suisse, mais il doit rentrer dormir là-bas au moins cinq jours par semaine. Hier soir, il a mangé avec nous, puis nous l’avons amené prendre son train et il est revenu ce matin…»


Entre roche et précipice, le bisse du Torrent-Neuf à Savièse réserve bien des surprises, comme cette statue impressionnante, que Mohammed n’a pas manqué d’immortaliser pour alimenter le blog que les deux réfugiés animent. Photo: Blaise Kormann

Mohammed sourit et, lui aussi dans un allemand presque impeccable, renchérit: «Nous sommes très heureux d’avoir eu l’autorisation de pouvoir faire ce voyage. Nous continuons quoi qu’il en coûte. Moi, je rentre à Brittnau quand je dois et Hamid, lui, s’est débrouillé même lorsque sa commune a décidé de suspendre, pendant toute la durée du voyage, le versement des 10 francs par jour qu’il reçoit normalement. C’est beau de pouvoir découvrir la Suisse et les Suisses comme ça, en marchant. Et puis toutes ces personnes qui se sont inscrites pour nous accueillir ou pour nous aider… Dire qu’au début, personne n’y croyait, à notre idée!»

Prendre son destin en main

En regardant ces deux jeunes réfugiés, Mohammed avec son t-shirt aux couleurs de l’Afghanistan et Hamid arborant le même mais rouge à croix blanche, en voyant leurs chaussures de marche – obtenues grâce à la générosité de nombreuses personnes qui se sont intéressées à leur projet fou de réaliser un tour de Suisse complet à pied –, leurs thermos de thé et leurs mines réjouies, rien ne les différencie vraiment de la légion de marcheurs qu’il est usuel de croiser sur les chemins de notre pays. Ce n’est qu’en les écoutant qu’on commence à saisir le poids de leur passé et la détermination qu’il leur a fallu pour concrétiser leur rêve.


Légende

Hamid Jafari, marié à Marzyia, 23 ans, et père de trois enfants, dont la dernière, Annika, est née en Suisse il y a deux mois, raconte: «J’ai toujours eu le sentiment que nous étions responsables de notre propre destin. Comme requérant d’asile, je pense que cette responsabilité est encore plus grande. L’intégration, ce n’est pas attendre que les autres viennent vers nous, c’est aller vers les autres, leur montrer qui nous sommes, connaître leur culture, partager, faire connaissance en somme! Alors quand Mohammed, que j’ai rencontré au centre de requérants d’Aarau, m’a parlé de son idée, je l’ai accueillie avec une grande joie. C’est ça qu’il fallait faire: partir à la découverte de la Suisse! Notre situation est compliquée. Nous avons déposé une demande d’asile et nous attendons une réponse des autorités. Moi, j’attends depuis plus d’une année. Avec notre permis N, nous n’avons pas le droit de travailler, alors, sincèrement, je préfère agir, faire quelque chose plutôt que de m’asseoir et me désespérer.»


Sur la route entre Fully et Savièse, Hamid Jafari et Mohammed Rasuli ont rencontré les membres d’un club canin avec qui ils ont partagé le goûter. Photo: Blaise Kormann

Plus réservé, Mohammed Rasuli, qui fut professeur de mathématiques dans sa ville de Ghazni avant de fuir les violences dont sa famille a été victime, comme beaucoup de membres de sa communauté, les Hazaras, explique: «Oui, depuis mon arrivée en Suisse, j’avais cette idée dans la tête. Je suis très sportif, je m’entraîne à la course à pied tous les jours. Et puis, comme beaucoup de réfugiés, comme Hamid aussi, je suis habitué à marcher longtemps: nous avons entrepris notre voyage depuis l’Afghanistan en grande partie à pied et dans des conditions bien plus difficiles… Un tour de Suisse à la marche me paraissait tout à fait faisable. Surtout, je pensais que c’était le meilleur moyen, à hauteur d’homme, de découvrir ce pays. Mais dès que j’en ai parlé autour de moi, tout le monde a ri. Surtout mes amis requérants. Ils m’ont dit que ce serait impossible, qu’on ne nous laisserait pas partir, etc. Hamid, lui, ne s’est pas moqué. Au départ, je pensais dormir dans les gares, dehors. C’est lui qui a proposé d’aller plus loin et de rencontrer vraiment des Suisses. Alors là, tout le monde a ri encore plus fort. Ils pensaient tous que nous délirions, que personne n’allait nous accueillir, que les Suisses avaient peur de nous…»


Première rencontre à Venthône (VS): c’est Marie-Elise Haenni, de dos, et sa famille qui ont accueilli les deux réfugiés. Photo: Blaise Kormann

Ne se laissant pas démonter, les deux jeunes ont parlé de leur projet à Jan Götschi, un assistant social du centre Drehpunkt d’Aarau, qui s’occupe d’eux. Lui n’a pas ri du tout. Au contraire, il les a encouragés et surtout les a aidés dans leurs démarches administratives. Comme le souligne Hamid: «C’est grâce à Jan et à ses collègues que nous avons pu monter notre site internet et ainsi pouvoir communiquer avec de nombreuses familles qui se sont inscrites pour nous accueillir.»

Leur périple, commencé le 1er mai à Aarau, les a déjà emmenés à Bâle, à travers le Jura, à Fribourg, à Lausanne, dans le Valais, pour se poursuivre à travers les Alpes et les Grisons; ils sont remontés ensuite en Suisse alémanique et ont bouclé, le 2 juin, les 1083 kilomètres prévus, le tout réparti en 26 étapes et autant de rencontres avec des familles suisses.

26 étapes et 40 km 
par jour en moyenne

Maintenant une moyenne de 40 à 50 km de marche par jour, les deux Afghans ont impressionné Sonja Lagger: «Quand j’ai entendu parler du projet, je me suis tout de suite inscrite. Je trouvais incroyablement courageux d’entamer ainsi un tel voyage. Je suis d’origine allemande. Mon père a lui-même été un réfugié après la guerre. Mohammed et Hamid sont curieux de tout. Et, de notre côté, c’est vraiment intéressant de pouvoir connaître leur histoire.»


Hamid Jafari et Mohammed Rasuli s’arrêtent chaque nuit dans une famille différente. Lors de leur première étape, de nombreux amis réfugiés comme eux les ont accompagnés. Photo: Blaise Kormann

Comme beaucoup de leurs hôtes et de personnes rencontrées en chemin, cette professeure d’allemand a décidé de les accompagner quelques heures. Avec elle, Mohammed et Hamid vont admirer le bisse du Torrent-Neuf, un ouvrage très ancien, récemment réhabilité. Le long du tracé, Hamid ne peut cacher son admiration: «J’ai travaillé pendant des années en Iran sur des chantiers. Orphelin de père, j’ai dû, dès l’âge de 11 ans, subvenir aux besoins de ma famille. Je connais donc bien le travail. Je peux mesurer le courage et la ténacité qu’il a fallu aux anciens pour amener l’eau à leur communauté.»Un chemin de croix installé le long du parcours laissera songeurs les deux marcheurs: «Nous sommes musulmans. Dans notre pays, la religion ou l’appartenance ethnique sont sources de guerre et de violences inouïes depuis tellement d’années. Ici, des gens de religions et de langues différentes vivent ensemble sans problème. S’il y a un souci, ils discutent et trouvent une solution. Je pense que nous avons beaucoup à apprendre de cela. Vraiment beaucoup.»


Il y a deux ans, Hamid et Marzyia, 23 ans, ont fait le voyage depuis l’Iran à pied, en bus et en bateau. Ils sont ici en Turquie, avec leurs deux fi ls, Ali, 4 ans, et Mohammed, 18 mois. Photo: 

De Savièse, Hamid et Mohammed vont rejoindre Venthône, au-dessus de Sierre, une trentaine de kilomètres plus loin. Là-haut, c’est la famille Haenni qui les attend. Marie-Elise, infirmière, et son mari Yves, professeur retraité, vivent dans une grande maison villageoise. Tout est prêt pour l’arrivée des deux jeunes. Marie-Elise Haenni a préparé du thé et un gâteau. Elle s’inquiète de la présence de sa grande chienne: «Nous hébergeons depuis deux ans un jeune arrivé mineur en Suisse. Lui aussi est Afghan, Hazara plus précisément, comme la plupart de ceux qui sont réfugiés chez nous. Pour lui, au début, avec notre chienne, c’était très difficile. Il en avait tellement peur, lui qui n’avait jamais connu que des chiens méchants…»

Pas même une ampoule!

Après avoir emprunté le chemin du vignoble sous un soleil de plomb, Hamid Jafari et Mohammed Rasuli arrivent devant chez les Haenni. L’air de rien, joyeux. Le contact est tout naturel, tout simple. Ils racontent leur marche du jour: «Nous avons traversé les vignes. On a vu tous ces plants atteints par le gel. Quelle tristesse!» Autour de la grande table, dans cette cuisine si accueillante, Hamid Jafari et Mohammed Rasuli savourent leur thé. Ils ont retiré leurs chaussures, se massent un peu – à peine – les orteils. L’irruption de la grande chienne, en imposant intermède, les fera sursauter, puis rire aux éclats, comme toute la famille Haenni…

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