
Julie de Tribolet
Fanny Smith, décrivez-vous en quatre mots? "Je suis passionnée, déterminée, sociable et téméraire."
Interview intime
Revenue de blessure, la Vaudoise de 24 ans termine sa saison de skicross en beauté, avec une médaille d’argent aux Mondiaux de la Sierra Nevada.
Vous venez de terminer votre saison de ski. Comment allez-vous?
Bien, mais fatiguée. Ma saison de ski est terminée, mais je ne peux pas partir tout de suite en vacances comme la majorité des gens l’imaginent. J’ai encore des
obligations envers mes sponsors, je dois préparer la prochaine saison, revoir l’organisation de mon équipe et tester le matériel tant qu’il y a encore de la neige. Ce n’est qu’en mai que je prendrai des vacances.
Des vacances exotiques?
Oui, je pars en Birmanie. C’est le genre de voyage qui me plaît, car après tous ces mois de compétition, j’ai besoin de dépaysement. Tant que je suis jeune, je profite de voyager loin. Plus tard, je visiterai sans doute des régions plus proches de mon lieu de vie.
Vous habitez la région de Villars-sur-Ollon (VD) depuis toute petite. Quelle enfance avez-vous eue?
J’étais une sale gamine! (Rires.) Hyperactive, j’ai commencé à marcher vers l’âge de 10 mois, paraît-il. Ma mère devait fermer toutes les portes de la maison à clé sinon je m’enfuyais. Heureusement, on habitait dans le petit village de Gryon, mais c’est vrai que j’ai fait pas mal de fugues. Quelquefois, lors des commissions, je décidais tout à coup d’aller chercher mon grand frère Thibault à l’école. Je m’enfuyais, je tapais à toutes les portes de l’école et je criais le nom de mon frère à tue-tête. J’ai infligé de grosses frayeurs à ma mère. J’ai un fort caractère depuis toujours.
Quels souvenirs conservez-vous de votre première descente à skis?
Mes parents m’ont mise sur les skis à 2 ans. Autant dire que je n’ai aucun souvenir de cette période chasse-neige. Je me souviens en revanche que j’enfilais les chaussures de ski de mon frère et m’amusais à marcher lourdement dans tout le chalet avec. Ma famille n’en pouvait plus! Par la suite, j’ai descendu mes premières pistes avec ma mère, qui était professeure de ski. C’est par ce biais d’ailleurs qu’elle a rencontré mon père à Villars. Il avait beaucoup voyagé avant de s’occuper des perches aux remontées mécaniques. Or ma mère prenait toujours les mêmes perches de ski: celles que mon père distribuait.
Vos parents étaient-ils sévères?
Ils ont surtout toujours été très positifs. Ils m’ont poussée à faire des choses coûte que coûte, et tant pis si ça ratait. Cela dit, lorsqu’il fallait mettre les choses au point, ils le faisaient. Mais j’ai dû recevoir une fois une fessée ou une claque de ma mère. Jamais de mon père. Par contre, quand il faisait de gros yeux noirs, tu comprenais que tu devais tout de suite filer doux.
Vous habitez toujours Villars?
Oui, dans un appartement qu’un de mes mécènes me prête généreusement. Je vis seule depuis mes 18 ans, ce qui me convient étant donné que j’ai très vite appris à être indépendante. Villars, c’est vraiment mon chez-moi, c’est familial, tout le monde se connaît, tout le monde se salue. Je me rends régulièrement à Lausanne pour mes entraînements. C’est une tout autre atmosphère. Normalement, quand je me réveille, j’ouvre mes fenêtres sur une vue incroyable du massif alpin. Un petit rituel qui me manque beaucoup quand je suis en plaine.
Votre première cuite et votre première sortie en boîte, vous vous en souvenez?
Ma première cuite, c’était avec mon grand frère, vers mes 16 ans. On organisait des soirées au chalet quand mes parents n’étaient pas là. Un soir, le chalet était réservé pour les amis de mon frère et puis le lendemain, c’était pour ma soirée. Je crois que je ne me suis rendue qu’une seule fois en boîte de nuit de toute ma vie. Ma première sortie fut la dernière. J’ai eu une adolescence différente de mes amis qui font souvent la fête, mais je ne les envie pas.
Vous n’êtes donc pas un oiseau de nuit?
Non, pas de boîte de nuit en tout cas. On me demande souvent des recommandations pour des sorties à Lausanne, mais en fait je n’en sais rien. Je fais la fête une seule fois par année, le 1er Août à Villars. Tout le village sait que c’est mon jour! Bon, bien sûr je suis sans doute la seule à dire que le 1er Août à Villars, c’est de la balle (rires). Il fait beau, il fait chaud, je suis bien entourée, c’est encore plus chouette que d’aller en discothèque. Mes amis d’enfance, et même ceux qui ne sont pas de Villars, font le déplacement, car ils savent que je ne raterais pour rien au monde cet événement.
Malgré votre agenda chargé, vous trouvez du temps pour entretenir vos amitiés?
J’essaie. Mais c’est difficile. Quand je rentre à Villars, je n’ai jamais rien dans mon frigo, comme d’habitude d’ailleurs! (Rires.) Mes amis organisent des repas, car il savent bien que c’est la meilleure solution pour que je débarque chez eux. Je suis quelqu’un qui a davantage besoin de ses amis que de ses parents. Mais c’est en train d’évoluer doucement. Adolescente, je racontais mes histoires exclusivement à mes amies. Elles sont centrales dans ma vie et j’aimerais les voir plus souvent.
Et vos relations avec vos parents aujourd’hui?
Cet hiver, j’ai enfin pu skier avec eux une journée. Cela faisait au moins huit ans que cela n’était plus arrivé. Je ne me rends pas vraiment compte du poids de mon absence pour ma famille, car j’ai toujours été très indépendante. C’est ma petite sœur Lou, de 9 ans ma cadette, qui me le rappelle le plus. On l’appelle «pot de colle». Dès que je suis à la maison, elle s’accroche à moi et ne veut plus que je la quitte. Elle exprime sa tristesse plus que les autres.
Est-ce que vous êtes amoureuse?
Oui, je suis amoureuse. Mais je n’en dirai pas plus.
Aimeriez-vous fonder une famille plus tard?
Oui, bien sûr! Même si j’ai toujours dit à ma mère que je ne voulais pas d’enfants. Je réfléchis beaucoup au monde actuel et à son évolution. Avoir des enfants, c’est relancer une génération dans un monde dont l’avenir est incertain et même inquiétant. Mais, d’un autre côté, ne pas avoir d’enfants, c’est renoncer à un bonheur. J’aimerais bien partager mes connaissances avec eux, essayer de les aider à devenir des citoyens positifs qui pourraient peut-être changer la société.
Quand vous ne portez pas vos habits de sport, vous vous habillez plutôt de manière féminine?
Le cliché de la sportive en tongs Adidas, en pantalon de training avec un gros sweat est assez vrai. Les Suisses en sont les meilleurs exemples, d’ailleurs! Mais mon entraîneur, Guillaume Nantermod, qui me suit depuis mes 15 ans, a toujours été strict sur mes tenues. On ne prenait jamais l’avion en training et pour manger au restaurant le soir, il fallait toujours être présentable, ce qui est normal, je trouve, c’est de la politesse. Je suis une femme féminine, j’aime bien faire attention à mon habillement. Quand je peux éviter la combinaison de ski, j’en profite.
Auriez-vous pu faire un autre métier?
Je ne crois pas. Mais si je devais choisir, ce serait certainement un métier à l’air libre, et un métier où on bouge, parce que je suis hyperactive. Mais je n’ai vraiment aucune idée de ce que je pourrais faire d’autre. C’est presque un sujet d’angoisse, d’ailleurs.
Pourquoi cette angoisse par rapport à la vie professionnelle?
Parce que j’ai voulu arrêter l’école dès que possible. J’ai eu une scolarité très dure, car je suis dyslexique et dysorthographique. J’ai toujours dû travailler comme une folle à l’école, contrairement à mon frère qui ne faisait pas grand-chose et qui collectionnait pourtant les bonnes notes. Aujourd’hui encore, je mets des heures à rédiger un bête e-mail. C’est pénible. Mais heureusement, la majorité des gens sont au courant de mes difficultés et ne m’en tiennent pas rigueur.
Vous rêvez de quoi à part de gagner des courses et des titres?
Je suis quelqu’un de très simple. Tant que j’ai un toit et que je peux me nourrir, je suis heureuse. Je rêve de pouvoir être en bonne santé toute ma vie. C’est le plus important. Je rêve aussi de faire le tour du monde. J’adore la culture, rencontrer d’autres gens et partager toutes sortes de choses avec eux.
Votre collègue de skicross suédoise Anna Holmlund est toujours dans le coma après une terrible chute à skis. Vous arrive-t-il de penser que votre sport peut vous coûter la vie?
Non. Et il ne faut pas penser ainsi. N’importe qui peut se faire renverser par une voiture sur le chemin du travail. Les accidents mortels de la route sont plus nombreux qu’au ski. Je ne pense pas à la mort parce que je suis une professionnelle et que je connais les risques que je prends. Mon entraîneur ne me force jamais à m’engager dans une course si je ne le sens pas au premier entraînement, ou si elle est trop risquée. Il ne faut jamais aller au casse-pipe.
Est-ce que vous êtes croyante?
Non.
Vous avez subi deux blessures majeures durant votre carrière, mais vous êtes toujours revenue plus forte sur le circuit. Avez-vous un secret?
Mon sale caractère! Le sport de haut niveau est très difficile en Suisse. Il faut vraiment se battre pour revenir après une blessure. C’est une question de mental. Quand un médecin m’a dit que je ne pourrais plus faire de ski, je ne l’ai pas cru un instant. Je me suis dit: «Toi, mon coco, tu verras la saison prochaine… Je serai encore plus forte sur mes skis.» Et c’est ce qui s’est passé. J’ai gagné trois courses de Coupe du monde. Je pense que seuls les athlètes eux-mêmes peuvent vraiment comprendre les enjeux de leur sport. Je suis assez proche de Lara Gut et de Timea Bacsinszky. On s’écrit souvent et c’est précieux. Car si mes amies d’enfance peuvent me donner quelques conseils, c’est différent. Elles pensent que mon métier est un rêve, avec vacances et grasses matinées comprises.
Vos fans peuvent vous suivre pas à pas sur les réseaux sociaux sur lesquels vous postez des photos de voyage et vos commentaires sur les compétitions. Quel type de relation entretenez-vous avec cette audience?
Si cela ne tenait qu’à moi, je n’aurais pas de compte officiel sur les réseaux sociaux. Mais aujourd’hui, il est obligatoire de communiquer par égard pour nos sponsors. Si j’arrive à faire un peu rêver les gens en partageant mes aventures avec le public, et à bien informer celui-ci, ça me va. Et puis mon métier est assez solitaire. C’est le lot d’une athlète de haut niveau. Alors, parfois, j’ai besoin que le public me pousse un peu pour m’encourager à atteindre mes objectifs via les réseaux sociaux. Mais ce n’est pas un exercice facile pour moi avec mes difficultés d’écriture.
Où serez-vous dans dix ans?
Sur une île! (Rires.) Non, en fait, je n’en sais rien. La vie réserve des rebondissements inattendus. Et puis je suis du genre à vivre au jour le jour. J’ai quand même quelques objectifs à court terme. Je désire notamment aider de jeunes athlètes, notamment par le biais de la Fanny Smith Academy, que j’ai fondée avec mon entraîneur. Chaque fois qu’on me pose cette question, je réponds: «Et vous, vous en serez où?»
Texte: Marine Humbert