
Spontanée, sensible et chaleureuse, issue d’une fratrie de neuf enfants en Autriche, l’épouse de Didier Burkhalter a aussi un grand cœur. Elle est la nouvelle ambassadrice de la Croix-Rouge suisse. Rencontre en toute simplicité.
Assis dans son fauteuil, Jean caresse l’orchidée qu’il tient entre ses mains. Prostré, silencieux. Il semble avoir déjà perdu de vue la petite femme en robe rouge qui se tient pourtant là, juste devant lui. L’homme de 92 ans ne dit pas un mot, mais les rides qui ont creusé son visage parlent pour lui. Les années et la maladie ont enfoui ses souvenirs et rendu difficile son contact avec l’extérieur. «Que cette journée soit belle, prenez soin de vous», lui adresse Friedrun Sabine Burkhalter dans un sourire. La femme en robe rouge, c’est elle. Ce mardi après-midi, l’épouse du conseiller fédéral, 50 ans, est en visite au Home de Clos-Brochet à l’occasion de la Journée des malades. Pour sa deuxième mission, la nouvelle ambassadrice de la Croix-Rouge suisse distribue des fleurs aux 76 résidents de cette institution neuchâteloise pour personnes âgées. Avec, pour chacun, quelques mots réconfortants, un peu de chaleur dans l’automne de ces vies. Cette action, nous dit-elle, lui tenait tout particulièrement à cœur. «Les personnes âgées m’émeuvent par leur spontanéité et leur regard. Je trouve touchant de les voir isolées dans leur propre monde et pourtant en recherche intense de contact.»
Elle évoque aussi ce grand-père qu’elle n’a pas connu, les récits familiaux de la Seconde Guerre mondiale, ces histoires qui chahutent l’enfance innocente. «Mon grand-père a vécu les deux conflits. Ma mère m’en a beaucoup parlé. J’ai été marquée.» Une sensibilité qui s’inscrit au-delà de son histoire personnelle et qui l’a convaincue de s’engager auprès de la Croix-Rouge suisse en ce début d’année. «Je rêve d’une baguette magique. Mais si je peux apporter une petite contribution, quelques sourires, une prise de conscience, c’est déjà ça.»
Friedrun Sabine Burkhalter parle doucement, marque une pause avant de répondre avec ce petit accent discret qui trahit ses origines venues d’ailleurs. «On me demande parfois si je viens du Nord.» Mais c’est en Autriche qu’elle est née, dans un minuscule village montagnard du Vorarlberg, dans l’ouest du pays. La future épouse de Didier Burkhalter est la neuvième de la fratrie. La famille vit dans la ferme du grand-père. «Mon père travaillait beaucoup, ma mère était souvent seule pour s’occuper de nous. Elle a eu beaucoup de courage, c’est un modèle», dit-elle. La cadette partage la même chambre que ses aînés. A neuf, on apprend l’entraide souvent plus vite que les autres.
«Je suis une enfant de la terre, explique Friedrun Sabine. Aujourd’hui encore, j’aime jardiner, voir pousser les plantes, avoir les mains dans la terre. L’été, nous faisions les foins dans des champs en pente près de la ferme. Cette odeur m’a marquée, c’est le parfum le plus fort de mon enfance.» Une enfance modeste mais souvent heureuse, tient-elle à préciser. En pleine nature et entourée d’animaux. «J’adorais passer du temps avec nos chèvres. J’étais une sorte de Heidi autrichienne, s’amuse-t-elle aujourd’hui. Une année, j’ai d’ailleurs défilé à carnaval dans ce déguisement avec une de nos chèvres.»
Arrivée en Suisse
La vie la guidera bientôt sur les terres de la célèbre petite fille des Alpes. Après quelques années d’école de commerce, elle débarque en Suisse pour apprendre le français. «Je suis arrivée à Genève. J’ai tout de suite eu du plaisir à parler français. Je l’ai vite appris, d’ailleurs.» A 19 ans, elle épouse Didier Burkhalter. Le futur conseiller fédéral, de sept ans son aîné, a déjà commencé son engagement politique. Deux ans plus tard naît le premier de leurs trois fils. «J’ai eu un immense bonheur à être mère au foyer et à m’occuper de nos enfants. Ces moments avec eux ont été très précieux. C’est une chance d’avoir pu faire ce choix-là, je suis consciente que beaucoup de parents ne l’ont pas.»
Quelques années plus tard, elle reprend des études pour devenir enseignante de langues. Elle se dit autodidacte et curieuse, amoureuse du français et de ses expressions, de la littérature et des livres d’histoire.
«Ma femme est une chance pour moi, mais aussi pour la Suisse», confiait Didier Burkhalter au début de son année présidentielle en 2014. Une reconnaissance publique envers son épouse, soutien infaillible dans l’ombre de sa carrière politique. Quelques heures après son élection au Conseil fédéral, en septembre 2009, cette dernière avait pourtant le triomphe modeste. «C’est la fin d’une campagne longue et éprouvante», lâchait-elle simplement à la télévision. «Cela fait très longtemps que mon mari et moi vivons ces choses ensemble», explique Mme Burkhalter aujourd’hui. On la perçoit à la fois discrète et spontanée, chaleureuse et tout en retenue. «Je déteste le jeu, j’aime l’authenticité. Mais je ne fais pas les choses sur un coup de tête, je suis quelqu’un de réfléchi.»
Réception chez les Obama
C’est dans son enfance que Friedrun Sabine a forgé ses valeurs. La simplicité, le respect des différences et de la nature, le courage. «C’est très important, le courage. Et l’empathie. Il y a tant de souffrance dans notre monde.» Alors, quand on lui demande quelles rencontres l’ont marquée pendant son année de «première dame», elle cite d’abord ce voyage en Pologne. «Le musée du ghetto de Varsovie et Auschwitz. Nous avons été accompagnés par une jeune Suissesse qui est la petite-fille d’un des derniers survivants du camp de concentration.» Et puis, dans le désordre, la réception présidentielle chez le couple Obama, le brunch à la ferme du 1er Août, les voyages, les rencontres avec les gens, tout simplement, connus et anonymes.
Il paraît que Mme Burkhalter préfère qu’on l’appelle Sabine. C’est vrai? «Non, j’aime bien mes deux prénoms. Et puis, dans Friedrun, on retrouve le mot Friede, «la paix». Cela me plaît.»
La petite femme en robe rouge est une grande dame.