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Lea Sprunger ne pense qu'au tour de piste

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Christoph Köstlin
Portrait de la magnifique Lea Sprunger, numéro 12 européenne du 400 m haies.
Athlétisme

Dans sa famille, on trouve des footballeurs professionnels, des cavaliers, des cavalières et même le hockeyeur Julien Sprunger. Lea Sprunger a trouvé sa voie. Elle rêve de finales et de médailles sur 400 m haies, une discipline pour laquelle elle était prédestinée. Portrait.

Par Eva Breintenstein

Tout le monde l’a déclaré, aussi bien son propre entraîneur que les meilleurs coachs du monde: cette fille peut faire un malheur sur 400 m haies. Lea Sprunger, heptathlonienne puis sprinteuse, savait qu’elle finirait un jour sur le tour de piste et ses dix haies. A 26 ans, elle entame sa deuxième saison dans sa nouvelle discipline. «Elle est faite pour mes qualités, dit-elle. Rester calme, ne pas trop réfléchir, aller à la simplicité.»

Le tour de piste est réputé comme étant la distance la plus exigeante. C’est encore un sprint et déjà une course d’endurance, les obstacles en prime. Le 400 m haies se joue dans la tête, plus que n’importe quelle autre épreuve. La volonté et la résistance sont des conditions sine qua non. Accroupis dans leur starting-block, les athlètes savent qu’ils vont souffrir. Ils finissent les jambes brûlantes. Celui ou celle qui se met à paniquer ou qui court sans plan tactique bien arrêté est déjà battu(e). A 26 ans, Lea Sprunger n’avait encore jamais eu recours à un coach mental. C’est aujourd’hui nécessaire.

Ce «nécessaire» la fait réfléchir, il va à l’encontre de sa nature spontanée. Mais elle sait que sa progression passera par là. Sa carrière a pris son envol en 2009. Elle avait 19 ans et avait obtenu la médaille de bronze de l’heptathlon aux Européens juniors. Première césure en 2012 quand elle décide de passer sur 200 mètres. Trois mois plus tard, sa qualification pour les Jeux olympiques est assurée. Elle conjugue le tout avec son rôle de capitaine du relais 4 x 100 m. La saison dernière, elle décide de changer encore une fois son fusil d’épaule, optant pour le 400 m haies. Lea finit l’année en tant que numéro 12 européenne. Elle termine 13e lors des Mondiaux de Pékin, pour sa septième course sur la distance. «Au-delà de mes propres espérances. On m’avait tellement répété qu’il fallait que je m’arme de patience.»

Garder son calme, ne pas trop y penser, simplement le faire. C’est le leitmotiv de Lea. Capitaine du relais 4 x 100 m, courroie de transmission entre les sprinteuses et l’entraîneur, elle ne craignait pas d’exprimer sa pensée et celle de ses coéquipières. Organisatrice-née, fille stable et fiable, elle n’a pas manqué une seule épreuve en quatre ans. Leader faisant preuve de doigté, elle est un exemple. Elle sait ce qu’elle veut, suit sa voie sans faire de bruit. Lors des grandes compétitions, où il s’agit de partager une chambre et où l’heure du repas et le moment du café sont fixés à la minute près, ce régime est souvent exagéré pour elle. «J’aime bien être seule, mais je dois me corriger, car ce n’est pas aimable pour les autres. J’y travaille…»

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J'aime être seule. Cela m'énerve parfois, parce que ce n'est pas agréable pour les autres.

 

Une famille de grands sportifs...

Elle a passé ces dernières années dans l’ombre de sa sœur, Ellen, de quatre ans son aînée et deuxième meilleure heptathlonienne que la Suisse ait jamais connue. A son exemple, Lea s’est essayée à l’heptathlon. Elles ont grandi à Gingins, sur la route de Saint-Cergue. L’idole des jeunes du village y est Jo-Wilfried Tsonga. Le tennisman joue au basket avec les gamins du quartier. La famille Sprunger n’a pas de télévision, dans sa maison située en bordure de forêt. Les enfants – trois sœurs, Nadia est la troisième du clan, et un frère, Ralph – passent le plus clair de leur temps à s’amuser dehors. Jusqu’à ses 18  ans, Lea partage sa chambre avec Nadia, la plus jeune. Toutes deux sont toujours très liées.

Avec Ellen, il a d’abord fallu s’entendre. Quand elles vivaient encore chez leurs parents, elles se côtoyaient aussi bien à l’uni qu’à l’entraînement. Un voisinage pas toujours facile pour deux caractères forts, et différents. Ellen dit aujourd’hui de sa sœur Lea: «Elle s’adapte à tout, est de commerce agréable et généreuse. Quand on a besoin d’elle, elle est là.» A Lausanne, Lea partage un appartement avec une collègue. Mais quand tout le monde se retrouve en famille à Gingins, Nadia et Lea sont toujours «les deux petites». Comme jadis, quand Ellen-la-grande se demandait: «Où sont passées les deux petites?» On notera que la «petite» Lea mesure aujourd’hui 1 m 83.

La famille est essentielle dans sa vie. Il s’agit d’ailleurs d’une grande et belle famille. 

Son papa a douze frères et sœurs. L’un des frères fut footballeur en Super League (LNA à l’époque), à Nordstern Bâle, Chênois, Delémont et YB; un autre oncle fut champion de Suisse de saut d’obstacles en 2011, à 59 ans (un record). Cela donne, compte Lea, 12 oncles et tantes ainsi que 45 cousins et cousines. On citera encore Janika Sprunger, la cavalière, fille du champion de Suisse. Le frère de celle-ci, Michel, fut footballeur pro à Winterthour. Sans oublier le hockeyeur international de Fribourg-Gottéron, Julien Sprunger. «Un jour, j’aurai aussi une grande famille», songe Lea. Sans doute après les Jeux de Tokyo, en 2020. «Ce sera alors le moment de raccrocher gentiment.»

Athlète d’élite, Lea ne pourrait pourtant pas vivre de son sport. Depuis ses études en management et communication, elle travaille à 30% dans l’agence Playmaker de son entraîneur, Laurent Meuwly. Elle y est responsable du Marathon de la Côte, de A à Z, ce qui lui permet de répartir ses heures en fonction de ses séances d’entraînement. Elle qui a déjà couru devant 80 000 spectateurs aux Jeux de Londres et à Pékin était morte de trac avant la première de cette course populaire, en septembre 2014. «Je n’en ai pas dormi pendant des nuits, j’ai perdu 4 kilos», se souvient-elle. Tout s’est pourtant très bien passé. Elle trouve son boulot passionnant, mais rêve de s’occuper de fleurs. Devenir fleuriste avec sa propre petite boutique.

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Une aubaine pour un entraîneur...

Elle est déjà couverte de fleurs en tant qu’athlète et espère le demeurer. Reste à savoir si sa progression continuera à être aussi linéaire. Elle a déjà couru en 55’’60, un chrono remarqué et remarquable, le deuxième de tous les temps pour une Suissesse après une autre Vaudoise, Anita Protti, qui a couru en 54’’25 il y a vingt-cinq ans! Lea veut être au top au moment de briguer une place en finale (olympique) et même sur le podium (aux Championnats d’Europe). Son ambition ne lui paraît pas démesurée. Il lui faudra améliorer son meilleur chrono personnel d’une bonne seconde. Pour cela, elle va consentir beaucoup de sacrifices. «C’est une athlète qui ne se complaît pas dans le confort. Elle ne dira jamais: «OK, c’est pas mal d’être championne de Suisse et de participer aux Jeux», pense Laurent Meuwly. «Pour un entraîneur, elle est une aubaine», dit celui qui travaille avec l’athlète de La Côte depuis maintenant une décennie. Entre les deux, la confiance règne. «Quand on me dit ce qu’il y a à faire, je le fais», commente sobrement Lea. Garder son calme, ne pas trop y penser, simplement le faire…

La Vaudoise possède une belle marge de progression sur le plan de son endurance. Pour le 400 m, il lui manque les fondamentaux d’un Kariem Hussein. Lui aussi est pourtant arrivé tard à sa discipline de prédilection. Avant d’être champion d’Europe du 400 m haies, il a failli faire une carrière de footballeur. Ex-spécialiste du sprint, Lea Sprunger est au top en matière d’explosivité et de puissance. Mais, à ses débuts, elle n’effectuait jamais le moindre tour de piste chronométré à l’entraînement. En termes de technique et de tactique, elle peut s’améliorer.

Ses jambes interminables représentent un atout. Quand il pleut ou quand le vent est contraire dans la ligne opposée, une athlète possédant sa foulée très allongée peut adapter l’ampleur de sa foulée, alors que de plus petits gabarits feront un pas de moins et franchiront peut-être l’obstacle à contretemps, du faux pied. Tous ces défis ne lui font pas peur. Ils décuplent son envie. Lea: «J’ai plus de plaisir que je n’en ai eu dans toutes mes disciplines précédentes, affirme-t-elle. C’est dur, plus dur, mais méga-passionnant.» Compétitrice dans l’âme, elle a toujours réussi ses meilleures performances lorsque «cela comptait». Le côté impitoyable du 400 m haies va lui donner des ailes.

Au fil des années, elle a gagné en décontraction. «A 20 ans, je m’énervais, je m’impatientais, j’étais de mauvais poil quand tout n’allait pas comme je voulais. Que de séances galvaudées!» Une époque révolue. Sa sœur Ellen confirme: «Elle se fait moins de bile.» Garder son calme, ne pas trop y penser, simplement le faire…

Ce qui est possible en cette année 2016? Tout dépend de son évolution, de celle de ses concurrentes au niveau mondial aussi. Une qualification pour la finale des Championnats d’Europe à Amsterdam, le 10 juillet, reste néanmoins son objectif minimal.

Avoir quitté le relais 4 x 100 m lui a libéré du temps et de l’énergie. Mais c’est seulement au mois de septembre, lors du meeting Weltklasse de Zurich, qu’elle courra son dernier relais. Elle a été de tous les records du relais, ainsi que de la déception des Européens de Zurich, avec ce fichu témoin égaré. L’heure est venue pour elle d’écrire sa propre histoire. Sur 400 mètres haies. 


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