
Que faut-il faire par rapport à la baisse massive des rentes? L'illustré vous livre ici une analyse. A noter que dans le magazine, disponible en kiosque, cet article est complété par des explications sur le 2e pilier, des conseils pour protéger son capital et des témoignages de personnalités romandes.
Un ami à qui je confiais mettre beaucoup d’énergie à tenter de séparer le vrai du faux dans le sac de nœuds qu’est devenu le 2e pilier a eu cette réponse spontanée: «Ce n’est pourtant pas compliqué à comprendre. Dans vingt ans, on sera tous à poil!» Exprimé de manière un peu crue, ce sentiment que les caisses des assurances sociales seront vides d’ici une à deux décennies est largement répandu parmi la population.
C’est d’ailleurs ce cri d’alarme qui nous a incités à nous pencher sur ce sujet touffu, rebutant même parfois. Et, autant le dire d’emblée, notre plongée dans les arcanes du système n’a pas contribué à nous rassurer. On s’explique. Le 2e pilier étant géré par des institutions privées, nous tenions à nous adresser à des experts indépendants et libres de tout conflit d’intérêts. Et là, surprise. Deux d’entre eux n’ont pas donné suite, alors que deux autres ont accepté de nous éclairer mais sous couvert d’anonymat. Preuve que le dossier est devenu très sensible. Raison de cette nervosité: la chute ininterrompue des rentes depuis dix ans et les incertitudes planant sur l’avenir. Car rien, à ce jour, n’indique que la courbe va s’inverser. Au contraire. A vrai dire, le seul espoir de stabilisation repose sur le projet Prévoyance vieillesse 2020, qui fait actuellement l’objet d’âpres négociations aux Chambres fédérales, où gauche et droite s’écharpent autour du rééquilibrage entre les 1er et 2e piliers. A suivre. De près.
Le purgatoire avant l’enfer?
Concrètement, où en est-on? Comme le caricature l’un de nos experts, «ce n’est pas – encore – une descente aux enfers, mais au purgatoire.» Pour faire court, on dira qu’entre l’article 111 de la Constitution fédérale, sorte de carte de vœux accompagnant la naissance du 2e pilier en 1985, et la réalité d’aujourd’hui, une crise financière mondiale est passée. A l’époque de l’heureux événement, le système de prévoyance alliant l’AVS et le 2e pilier devait, lit-on, «maintenir le standard de vie antérieur de l’assuré au moment de la retraite». Traduites en espèces sonnantes et trébuchantes, les deux rentes cumulées étaient censées couvrir 60% du dernier salaire. Trente-deux ans plus tard, beaucoup de salariés, la majorité sans doute, sont loin du compte... et du conte, si on ose dire. Car, selon une estimation de l’Union syndicale suisse (USS), il faut désormais disposer d’un 2e pilier d’au moins 500 000 francs pour caresser – peut-être – l’espoir de toucher au graal. Un objectif qui n’a jamais cessé de s’éloigner depuis une dizaine d’années. Comme il existe presque autant de plans de prévoyance que de caisses, difficile de chiffrer la perte exacte de tout un chacun. «Selon les caisses, elle varie de quelques pour cent à 30%. Ce qui est certain, c’est que tous les salariés ont perdu», assure Urs Eicher, le président du PK-Netz, l’association qui défend les intérêts de 600 000 travailleurs dans les caisses de pension. Plus précise, l’USS indique que depuis 2010, les 30 000 employés des CFF ont perdu 20% de leurs prestations, alors que leurs 45 000 collègues de La Poste ont vu s’envoler 17% de leur future rente. «Et ce n’est pas fini. Nous devons nous préparer à de nouvelles mesures douloureuses», prédit Urs Eicher.
Le compte à rebours?
Pour Doris Bianchi, adjointe du premier secrétaire de l’USS, on a pourtant atteint le seuil de douleur. «Si le taux de conversion devait tomber sous les 5%, on pourrait légitimement se demander si le 2e pilier a encore un sens», estime-t-elle, constatant que face à la baisse continue des rentes, de plus en plus de gens songent à récupérer leur capital pour aller s’installer à l’étranger. «Selon l’organe de surveillance des caisses, le taux de conversion moyen des caisses privées se situe actuellement à 5,6%», précise notre interlocutrice, en affirmant qu’une très large majorité de ces dernières songe à poursuivre le mouvement de baisse. Cancres en la matière: la société RUAG, entre les mains de la Confédération, et la caisse de pension du personnel de l’Etat, à Zurich, avec des taux de conversion de respectivement 4,56 et 4,89% cette année. «On peut également citer le cas d’AZ Medien, dont dépend notamment l’Aargauer Zeitung, qui a élevé l’âge de la retraite à 66 ans pour éviter une baisse trop brutale de son taux de conversion», argumente la syndicaliste alémanique. «Et je crains que ces exemples ne se multiplient», soupire Urs Eicher.
Franc fort, taux négatif, vieillissement, excuses non valables?
Un catastrophisme que dénonce l’Association suisse des institutions de prévoyance (ASIP), l’organe faîtier de quelque 960 caisses, représentant environ deux tiers des assurés helvétiques et une fortune globale de 450 milliards de francs (soit près de la moitié de la fortune totale du 2e pilier, estimée à 950 milliards). «Contrairement à ce que martèlent la gauche et les syndicats, notre système de retraite, qui repose sur une bonne répartition des risques, continue à faire la preuve de sa solidité et pas mal d’envieux dans les pays qui nous entourent. Certes, le franc fort, les taux négatifs et le vieillissement de la population forment un cocktail défavorable au 2e pilier en ce moment. Reste qu’en trente-deux ans, le taux de conversion de la part obligatoire n’a baissé que de 0,4% (de 7,2 à 6,8%), sans diminution des prestations, grâce aux mesures compensatoires», contre Me Yves-Marie Hostettler, représentant de l’ASIP en Suisse romande, avant de persister et de signer: «L’heure n’est pas à la panique. Nous sommes convaincus que le projet pour 2020 répondra aux défis économique et démographique actuels et pérennisera le 2e pilier.» C’est dit! Franc fort, taux négatifs, vieillissement, autant d’excuses non valables pour Meinrad Pittet, ex-CEO de Pittet Associés, auteur d’un ouvrage de référence parfois considéré comme polémique sur la prévoyance professionnelle (Ed. Slatkine). «Où l’on devient perplexe, voire sceptique, c’est lorsqu’on utilise la problématique du vieillissement et celle de la rentabilité insuffisante des placements du 2e pilier pour imposer une baisse du taux de conversion et réduire ainsi les rentes futures. Avec ce genre de pratique, quel espoir donnons-nous aux jeunes assurés qui débutent dans la prévoyance professionnelle? Socialement, une telle perspective n’est pas crédible», écrivait en 2013 déjà l’expert vaudois, qui perçoit la baisse du taux de conversion comme un non-sens social puisqu’elle contribue, selon lui, à faire exploser les prestations complémentaires.
Conditions-cadres obsolètes
Dans son livre, Meinrad Pittet accuse les décideurs de prendre des décisions à courte vue, alors que le 2e pilier est une affaire de long terme. Droit dans ses bottes, il propose une solution susceptible de maintenir le taux de conversion à 6,8 ou 7%, en finançant le coût avec une cotisation paritaire complémentaire non remboursable en cas de libre passage. Président de la CIEPP, la Caisse inter-entreprises de prévoyance professionnelle, et à ce titre représentant 39 000 assurés (5,4 milliards sous gestion, 9000 PME romandes), Aldo Ferrari en appelle, de son côté, à une adaptation urgente des conditions-cadres, devenues obsolètes à ses yeux. «Les travailleurs à temps partiel sont par exemple gravement pénalisés. Imaginez qu’un salarié ayant deux emplois rétribués 1500 francs par mois chacun n’est pas assuré au 2e pilier puisque chaque revenu n’atteint pas le montant minimum.» Autres aberrations: le saut de cotisation de 5% par tranche d’âge * et le principe «plus vieux, plus cher», alors que la population ne cesse de vieillir. «Une petite PME employant trois personnes de 44 ans voit ses cotisations exploser d’une année à l’autre», relève le syndicaliste, qui sait de quoi il parle. L’an dernier, la CIEPP a bouclé son exercice avec un taux de conversion de 6,8% pour les deux parts, un taux d’intérêt de 0,5% supérieur au minimum LPP exigé et un taux de couverture de 115%. Alors, exception qui confirme la règle ou lueur d’espoir dans les ténèbres? «Non, la preuve, simplement, qu’avec une gestion saine, on peut y arriver.» Le signe aussi que la situation est grave, certes, mais pas désespérée...
* Les primes d’épargne prescrites légalement sont les suivantes: 7% de 25 à 34 ans, 10% de 35 à 44 ans, 15% de 45 à 54 ans, 18% de 55 à 64/65 ans.
A noter que L'illustré n°6, disponible en kiosque, vous propose un dossier complet sur ce sujet cette semaine