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Jacqueline de Quattro: "Ma spiritualité est liée à la nature"

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Blaise Kormann
Jacqueline de Quattro, qui êtes-vous, en 4 mots? «Endurante, courageuse, optimiste, sereine.»
Interview intime

A 56 ans, la ministre vaudoise évoque son passé de très jeune maman, sa passion du judo, si utile pour encaisser les croche-pieds de la vie. Certains la trouvent naïve, elle préfère parler d’honnêteté.

Un souvenir lié à votre enfance qui vous met en joie?

Jacqueline de Quattro: Les marches en forêt avec mes parents. Nous n’avions pas assez d’argent pour pratiquer des activités chères mais nous adorions tous la nature. Alors ma maman faisait deux litres de tilleul au citron, achetait des cervelas, des pommes et on partait se balader. Je râlais très fort la première demi-heure parce que ça montait; une fois dans la forêt, j’étais heureuse, je ne voulais plus rentrer à la maison. Mes parents m’apprenaient à reconnaître les champignons, les plantes comestibles, le chant des oiseaux, les traces des animaux! Je me souviens de mon premier cervelas grillé au bout du bâton. Même si je ne suis pas spécialement fan de cette charcuterie, c’était la chose la plus délicieuse au monde!

Comment qualifieriez-vous votre enfance?

Très heureuse. J’ai eu la chance d’avoir des parents très proches, qui m’ont inculqué le respect de l’autre, le respect de la nature. Mon père voyageait beaucoup et m’a appris à respecter les valeurs et les cultures étrangères, mais aussi à affirmer les miennes.

Qu’est-ce qu’il y avait dans votre chambre comme posters?

Le groupe Abba et des portraits d’animaux sauvages! J’avais des idéaux écolos, je voulais sauver la planète!

Pourquoi n’avez-vous pas adhéré au parti écologiste?

L’écologie n’est pas pour moi un mouvement politique mais une conviction. J’adore la nature mais je ne mettrais jamais la grenouille avant l’homme.

Pourquoi avoir choisi le droit à l’université?

Le licenciement d’une personne très proche de moi, victime d’une restructuration injuste et qui en a beaucoup souffert, a fait fonction d’électrochoc. Je voulais devenir juge pour réparer les injustices de ce monde. Puis, à l’université, j’ai rencontré un charmant étudiant en médecine italien...  

Un coup de foudre, comme dans les romans d’amour?

Absolument. J’avais 19 ans, c’était magnifique! C’était si fort que je me suis retrouvée enceinte en troisième année de droit et maman à 20 ans. C’était compliqué mais nous avons assumé. Du moment qu’on y était, nous avons mis le deuxième en route tout de suite! Tout en finissant mes études puis en travaillant. C’était une période intense mais très heureuse, même si on ramait avec 1000 francs par mois (je faisais des enveloppes de 250 francs par semaine. La dernière, c’était souvent pâtes à l’eau). Je travaillais comme greffière à côté de mes études et mon mari faisait des gardes à Cery! Il est arrivé qu’il s’endorme en plein amphithéâtre de médecine sur un emballage de Pampers qu’il venait d’acheter.

Vous avez eu des responsabilités très jeune, vous n’avez pas le sentiment parfois d’être un peu passée à côté de votre jeunesse?

Non, cela ne m’a pas manqué. Et quand j’ai eu 40 ans, les enfants se sont envolés et j’ai retrouvé une liberté totale. Le départ de mon mari, quelques années auparavant, a été plus difficile. Et puis un soir, je me souviens, nous étions autour de la table avec mes enfants de 15 et 17 ans et on s’est dit: fini de déprimer, on va de l’avant! Nous avons sorti l’atlas et décidé de partir en vacances, rien que nous trois. Cela nous a beaucoup soudés.

Le judo, que vous avez pratiqué en compétition, vous a-t-il aidée à surmonter les épreuves?

Beaucoup. C’est une école d’humilité qui aide à se recentrer sur soi. Où l’on apprend aussi à respecter ses adversaires et à ne jamais les sous-estimer! J’ai la chance depuis plus de quarante ans d’avoir  un maître japonais extraordinaire, Maître Mikami. Il a d’ailleurs remis son dojo à Sergei Aschwanden, qui fut un de mes élèves. Je suis très fière de lui.

Vos enfants sont aussi ceinture noire. Vous infliger un ippon à l’adolescence, ce devait être jubilatoire, non?

Ils ont fait leur crise d’adolescence comme les autres, mais ce qui était chouette, c’est que, même lorsqu’on était fâchés et qu’on évitait d’aborder certains sujets, on se retrouvait toujours sur le tatami!

Quelles valeurs espérez-vous leur avoir transmises?

Le respect de l’autre, le respect de soi.

On vous prend parfois pour leur grande sœur?

Jamais. Je ne suis pas non plus la copine de mes enfants, je reste la maman. Mais comme je les ai eus très jeune, nous avons fait beaucoup de choses ensemble. Je me rappelle avoir joué aux Indiens avec eux devant la maison. A un moment, on s’est donné des noms. Je serai la squaw Vieille Casserole, ai-je annoncé. Un des gamins qui jouait avec nous m’a dit: ben ça vous va bien car vous êtes un peu vieille!  Je l’avais trouvé un peu gonflé! J’avais 25 ans (rire).

L’idée de toujours se surpasser est omniprésente dans votre histoire, est-ce que cela vient du fait qu’une femme doit toujours prouver deux fois plus qu’un homme sa compétence?

Oui, et le judo m’a aussi inculqué cette mentalité, qu’on retrouve chez les Japonais. Le Japon est un pays qui compte beaucoup dans ma vie. Déjà parce que mes parents sont partis vivre un an là-bas quand j’avais 10 ans. Mon père dirigeait le pavillon suisse de l’Exposition universelle de 1970 à Osaka. Ce fut une grande déception pour moi de ne pas les accompagner, tout avait été organisé pour que je sois du voyage, les billets avaient été achetés mais l’école a refusé. Ce sont mes grands-parents qui ont dû déménager pour venir habiter chez nous. Heureusement, j’adorais mes grands-parents et mes parents ont eu cette idée géniale de me présenter cela comme une aventure. Ma mission à moi, c’était de bien travailler à l’école en attendant d’aller moi aussi au Japon. Et chaque semaine, ils m’envoyaient une lettre avec un origami ou quelque chose de japonais. J’ai commencé à rêver de ce pays et, quand ils sont rentrés, je leur ai dit: la prochaine de la famille qui ira au Japon, c’est moi! J’ai dû attendre longtemps mais j’y suis allée. C’est un pays fabuleux. En attendant, je me suis mise aux arts martiaux: judo, ju-jitsu et karaté.

Le fait d’être une championne d’art martial change-t-il le regard des hommes sur vous?  

J’ai parfois l’impression que cela ne leur plaît pas forcément, en effet. Tant pis! Moi, je suis très à l’aise (sourire).

Votre compagnon s’est-il montré impressionné?

C’est moi qui suis impressionnée par son intelligence et par sa force de travail. C’est quelqu’un de brillant!

On parle souvent de votre obstination, d’où vient-elle?

A 17 ans, ceinture noire, j’ai pris une leçon que je n’ai jamais oubliée. Je devais projeter en uchi-mata un gaillard bien plus grand et costaud que moi. Il me manquait quelque chose au niveau de la puissance et de la technique, je n’y arrivais pas. J’ai demandé de l’aide à Maître Mikami. Il a arrêté l’entraînement et m’a dit: fais-le. Evidemment, cela ne marchait pas. Refais, m’a-t-il ordonné. J’ai refait la prise trente fois avec un semblant de succès à la fin, d’autant que mon partenaire s’est quasiment laissé tomber. Je suis trop nulle, ai-je dit à mon maître, dépitée, je n’ai rien compris au judo. C’est vrai, mais tu as échoué 99 fois et réussi une fois, cela veut dire que tu peux encore réussir, a-t-il souri. A chaque obstacle, je repense à cet épisode et je me dis: essaie encore! Tu peux y arriver. Si je n’arrive pas à gravir la montagne, alors je la contourne mais je ne lâche jamais! En dix ans, tous mes projets de loi ont passé au Grand Conseil!

Et concernant l’échec de votre vie conjugale?

Je me suis reconstruite sur cet échec en me disant qu’on ne peut pas forcer quelqu’un à vous aimer éternellement. C’est une forme de résilience. Je suis d’accord de payer le prix pour atteindre ce que je veux mais, si le prix est trop élevé, je trouve sage de me demander si cela en vaut la peine.

Vous n’avez jamais regretté aucun des prix à payer?

Jamais. J’ai une superbe relation avec mes enfants, j’ai gardé une paisible complicité avec mon ex-mari et je suis très heureuse depuis dix ans avec mon compagnon.

Avocate, vous avez défendu des femmes victimes de violence domestique. Récemment, vous vous êtes insurgée contre le refus de la justice française de libérer Jacqueline Sauvage, condamnée à 10 ans de prison pour le meurtre de son mari. Comment l’auriez-vous défendue?

Je suis choquée par le fait que, pendant quarante-sept ans, cette femme a été violentée, ses filles violées par leur père, son fils s’est suicidé, et c’est ce suicide qui l’a décidée à passer à l’acte. Bien sûr, elle a tué quelqu’un et c’est répréhensible. Mais elle a tué son bourreau. J’aurais plaidé à fond la légitime défense! Je suis sûre que je l’aurais sortie de là!

Vous êtes une personne spirituelle?

Oui, mais ma spiritualité est liée à la nature, aux arbres, j’aime les lieux sacrés. Une cathédrale gothique me parle autant qu’un temple shintoïste. J’ai emmené cet été ma maman à Stonehenge, en Angleterre. Ces menhirs déposés en cercle, il y a cinq mille ans, dans une plaine où il n’y a ni montagnes ni rochers aux alentours, m’ont fascinée et émue. Il y avait des centaines de touristes mais tout le monde se taisait. Il s’y dégageait une grande sérénité.

La mort vous fait-elle peur?

Non. La vie est un mouvement perpétuel. Je vois mes parents vieillir, je vois que je prends des rides, mais il y a la naissance de ma petite-fille. Je vois les feuilles tomber, la neige arriver mais je sais que sous cette neige la vie va renaître. Je ne crois pas à la résurrection mais à ce cycle naturel. Vieillir ne me fait pas peur. Je ne ferai jamais usage du Botox. J’ai plus de problème à accepter qu’un genou que j’ai abîmé à de multiples reprises en compétition me restreigne dans mon agilité et ma conviction de pouvoir me sortir de toutes les situations.

On vous dit parfois naïve...

Ce que certains nomment naïveté, moi je l’appelle honnêteté. Je reconnais ne pas être une bête politique en ce sens que je ne calcule pas tous les coups à l’avance. La politique partisane ne m’intéresse pas.

Les critiques sur votre physique vous ont-elles parfois atteinte, notamment quand le dessinateur Burki vous affublait d’une dentition peu flatteuse?

Les soins orthodontiques coûtaient trop cher quand j’étais enfant, ensuite c’était trop tard pour les rectifier, mais je vis bien avec les dents que j’ai. Les dessins de Burki ne m’ont jamais blessée. Il est critique, jamais méchant. Je lui ai d’ailleurs acheté seize dessins qui décorent mon bureau. Je suis très fière de ma collection.

 

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