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Stan the Man, trentenaire conquérant

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Getty Images
Dimanche 11 septembre 2016, stade Arthur-Ashe, New York. Stan Wawrinka, sous les yeux de Novak Djokovic et de 23 000 spectateurs du plus grand stade de tennis du monde, soulève le trophée de l’US Open, son troisième titre du Grand Chelem.
Tennis

Et de trois! Après ses exploits à l’Open d’Australie et à Roland-Garros, le tennisman vaudois a remporté le trophée de l’US Open à l’issue d’un match marathon de quatre heures contre le No 1 mondial, Novak Djokovic.

Un instant, on n’a pas tout à fait cru assister à une victoire. Tellement Stan Wawrinka est resté stoïque quand le dernier revers de Novak Djokovic a filé dans la nuit, juste au-delà de la ligne de fond de court. Pas d’explosion de joie, pas de poing levé, pas même d’index sur la tempe, son (désormais) célèbre signe de guerrier. Juste un regard levé vers le ciel, quelques secondes seul avec lui-même, comme pour mieux savourer l’exploit. «Je me suis senti complètement vidé après le match, j’ai tout laissé sur le terrain», confiait le héros du jour quelques heures plus tard. Puis le No 3 mondial est allé enlacer les siens: Magnus Norman, son entraîneur, Wolfram et Isabelle, ses parents, Djanaée et Naëlla, ses sœurs, Donna Vekic, sa jeune compagne, émue aux larmes.

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La famille Wawrinka presque au complet pour assister à la victoire de Stan (son frère Jonathan était absent). De g. à dr.: ses parents, Isabelle et Wolfram, et ses sœurs, Djanaée et Naëlla. Tout à droite, vêtue des couleurs de la Suisse, Donna Vekic, la nouvelle compagne croate du Vaudois.

Quatre heures plus tôt, à quelques minutes de son entrée sur le central, c’est Stan lui-même qui craquait. Un aveu glissé par l’intéressé en conférence de presse d’après-match: «J’étais nerveux comme jamais je ne l’avais été auparavant. Cinq minutes avant d’entrer sur le court, alors que je discutais de quelques points tactiques avec Magnus (ndlr: Magnus Norman, son coach) dans les vestiaires, j’ai commencé à trembler et j’ai pleuré. J’ai dû me faire violence pour me dire que j’étais prêt physiquement et techniquement. Je me suis concentré sur le match et j’ai tout donné.» Déjà battu par le Vaudois en finale de Roland-Garros en 2015, Novak Djokovic a plié sous le rouleau compresseur Iron Stan après un match marathon de quatre heures remporté 6-7 6-4 7-5 6-3 par Wawrinka.

Plus fort que Borg et McEnroe

Dimanche soir à New York, le kid de Saint-Barthélemy a remporté l’US Open devant les 23 000 spectateurs du central Arthur-Ashe, le plus grand stade de tennis du monde. Un troisième graal en Grand Chelem après ceux décrochés à l’Open d’Australie en 2014 et à Roland-Garros l’année dernière. Un exploit immense, même au regard des 17 tournois majeurs remportés par Roger Federer. A titre de comparaison, la France, malgré quatre joueurs dans le top 20 (Gaël Monfils, Jo-Wilfried Tsonga, Richard Gasquet et Lucas Pouille), n’a plus connu de victoire en Grand Chelem depuis le sacre de Yannick Noah il y a... trente-trois ans, et Andy Roddick est le dernier Américain en date à avoir soulevé un trophée de cette envergure, lors de l’US Open 2003. A 31 ans, le Vaudois devient le 22e joueur de l’ère Open à accrocher trois tournois majeurs à son palmarès.

Il dépasse les légendes

Björn Borg et John McEnroe, qui, bien que plus titrés que le Suisse, n’ont remporté leurs Grands Chelems que sur deux surfaces différentes. L’US Open est le 15e titre de la carrière de Stan, dix ans exactement après sa première victoire à Umag, en Croatie, remportée après une finale contre un certain Novak Djokovic. Déjà lui. Le Suisse est alors âgé de 21 ans et porte le matricule 69 mondial. Suivront Casablanca en 2010, Chennai en 2011, Estoril en 2013. Mais c’est à l’aube de ses 30 ans que Wawrinka se métamorphose en Stan the Man. En moins de deux ans, le champion a remporté pas moins de huit titres, dont deux majeurs. «Je joue beaucoup mieux aujourd’hui parce que j’ai davantage d’expérience. Je me connais mieux, je vis les choses plus sereinement qu’à 20 ans», confiait-il dans L’illustré à quelques jours de ses 30 ans. Le trentenaire conquérant semble l’être plus que jamais, il est vrai. Et cela n’étonne pas son ancien coach, Dimitri Zavialoff. «Je pense que Stan a davantage conscience de ses qualités et de plus en plus confiance en lui. Quand on est jeune, on ne mesure pas complètement son potentiel. C’est quelque chose qui vient avec le temps et l’expérience», explique celui qui l’a coaché durant quinze ans. Stan le disait déjà en 2014 à Melbourne, au lendemain de son premier sacre majeur: jamais il ne s’était imaginé remporter ne serait-ce qu’un seul Grand Chelem de sa vie. Lui, le «petit Romand» dans l’ombre du grand Rodgeur; lui, le bosseur acharné que le talent de son aîné bâlois a si longtemps éclipsé des projecteurs; lui, l’ado timide devant les caméras, aux antipodes du showman Federer.

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Adversaires sur le court, Novak Djokovic et Stan Wawrinka sont copains en dehors. Sur les tournois, ils ont pour habitude de s’entraîner ensemble. La finale de l’US Open était leur 24e confrontation, la 6e en Grand Chelem. Le Serbe, No 1 mondial, a remporté dix-neuf rencontres, contre cinq pour Stan. Photo: DR/RPI/Imago

Qu’il est long, le chemin parcouru depuis le court en terre battue d’Echallens, où l’enfant de 10 ans tapait ses premières balles. Un Grand Chelem, en rêvait-il déjà à cet âge-là? «Comme tous les jeunes joueurs, il avait forcément ce regard émerveillé et plein d’illusions en regardant une finale à la télévision. Mais sans se douter qu’un jour, lui aussi vivrait ce rêve, poursuit Dimitri Zavialoff. Quand on tape des balles sur le court de son village, c’est forcément inimaginable de se projeter un jour en train de soulever un trophée du Grand Chelem sur un central.» Vingt ans plus tard, le gamin l’a fait. Avec, toujours, cette même impression de ne pas y croire.


La quinzaine new-yorkaise de Wawrinka en chiffres

7 victoires 0 défaite

21 sets gagnés, 6 perdus

163 jeux gagnés, 118 perdus

967 points gagnés, 845 perdus soit 53% de points gagnés sur les 1812 joués.

Sur 929 mises en jeu:

526 premières balles 57%

61 aces 6,6%

27 doubles fautes 2,9%

Sur 967 points gagnés:

331 coups gagnants 34%

Sur 845 points perdus:

314 fautes directes 37%

Sur 82 balles de break:

35 concrétisées 43%

Sur 71 balles de break contre lui:

55 sauvées 77%

Sur 210 montées au filet:

140 victorieuses 67%

Service le plus rapide: 217 km/h (contre Djokovic)

 

Stan, premier des invincibles

● Avec ce troisième titre majeur en trois finales, Wawrinka rejoint le Brésilien Gustavo Kuerten à la première place du classement insolite des vainqueurs en Grand Chelem n’ayant jamais perdu en finale. Mais l’invincibilité du Suisse surpasse celle du Brésilien (triple vainqueur de Roland-Garros) par sa diversité.

Au classement plus conventionnel des victoires en tournoi du Grand Chelem, Wawrinka est désormais quatrième, à égalité avec Andy Murray, si l’on ne prend en compte que les joueurs en activité. Mais au classement des vainqueurs depuis 1968, date de l’ouverture de ces tournois aux professionnels, le Vaudois se classe désormais au 18e rang, après Federer (17); Nadal, Sampras (14); Djokovic (12); Borg (11); Lendl, Agassi, Connors (8); Wilander, McEnroe (7); Edberg, Becker (6); Newcombe, Laver (5); Rosewall, Vilas, Courier (4). Ph. Ct


«C’est le cerveau qui dicte la volonté de gagner, comme celle d’arrêter»

A 31 ans, la performance de Stan Wawrinka laisse sans voix. Que se passe-t-il dans le corps de ces champions? Les explications de Gérald Gremion, spécialiste en médecine sportive.

Juste après son incroyable finale, encore sous le coup de l’émotion, Stan Wawrinka est revenu, dans une salle de presse archi-comble, sur les circonstances de sa victoire face au numéro un mondial, parlant ouvertement de la fatigue et de la difficulté physique et psychique ressenties durant tout le tournoi. Le champion a utilisé des mots aussi forts que «j’étais fatigué, physiquement, mais quand je me sens comme ça, j’essaie de faire durer les rallyes pour que ça fasse mal aux jambes, que ça fasse mal au souffle, que ça fasse mal physiquement». Ou, pour qualifier son état juste avant le match: «J’étais vraiment au bout de ma vie.» Comment le corps humain, fût-ce celui d’un sportif d’élite, peut-il à ce point se plier à un tel effort, quels mécanismes particuliers s’enclenchent pour emporter quelqu’un au-delà des limites? Le point avec le docteur Gérald Gremion, médecin chef du Swiss Olympic Medical Center (SOMC), et médecin adjoint au Département de l’appareil locomoteur du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).

 

Docteur Gremion, quels mécanismes se mettent en place dans le corps humain en cas d’effort prolongé?

Réussir à surmonter un effort aussi intense a clairement des causes multifactorielles. Avant tout, il s’agit d’une question de volonté. Le cerveau décide. Comme l’ont souligné de nombreux sportifs, notamment des marathoniens, tout se passe dans la tête. Pour l’instant, la recherche a très peu de connaissances sur les modalités de ce phénomène. En revanche, nous connaissons beaucoup mieux tout ce qui se passe au niveau hormonal et immunologique. Chaque fois que l’on fait un effort, quel qu’il soit, on détruit un peu de masse musculaire. Cette destruction débouche sur une réaction inflammatoire qui libère notamment une substance appelée interleukine 6. Cette cytokine va permettre le déclenchement de toute une série de phénomènes garantissant un meilleur apport énergétique, comme le fait d’aller chercher du sucre dans le foie, par exemple. Le problème, c’est que, comme toute forme de réaction inflammatoire, l’interleukine 6 libère énormément de douleurs.

Donc, ça ne peut que faire mal?

Pas que. En effet, notre corps est si bien fait qu’en même temps qu’il subit cette réaction inflammatoire, d’autres substances vont être libérées, notamment l’interleukine 10 ou un antagoniste aux récepteurs de l’interleukine 1. Certaines hormones du stress, des «antidouleurs» naturels, comme le cortisol ou la bétaendorphine, entrent également en jeu. Et ce n’est absolument pas propre aux sportifs d’élite. Chacun est capable de cela. On a vu, par exemple, des accidentés en situation de stress intense marcher sur des fémurs cassés. Tout cela est lié à des stratégies de survie.

Y a-t-il des risques liés à une trop grande sollicitation par le corps de ces mécanismes?

Les centres du plaisir et de la douleur sont situés au même endroit dans notre cerveau, d’ailleurs tout proche des récepteurs de la cocaïne, de la nicotine, de l’héroïne ou de l’alcool. Cette structuration fait que le risque d’addiction au sport, appelée bigorexie, est relativement élevé, tout comme celui de la dépendance à diverses drogues. En cas d’arrêt brusque de l’activité physique, des troubles psychologiques importants peuvent apparaître. Stan Wawrinka a 31 ans. Il a beaucoup cité son âge durant ce tournoi.

Y a-t‑il, liée à l’âge, une limite physique à l’effort?

Encore une fois, c’est le cerveau qui dicte la limite. Quand le cerveau en a marre de vivre entre deux valises, petit à petit, le sportif perd en motivation, etc. La décision d’arrêter provient la plupart du temps d’un cheminement psychique. En termes de capacités physiques, la limite dépend de chacun. De plus, le fait de disposer d’une longue expérience aide souvent à ne pas perdre d’énergie dans des efforts inutiles…

Propos recueillis par Chiara Meichtry-Gonet

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